COVID-19 : donner la priorité à l’équipe
L’exercice vétérinaire est soumis à une épreuve inédite avec la pandémie de COVID-19
Publié 20/05/2020
Aussi disponible en Deutsch , Italiano , Polski , Español et English
Des problèmes exceptionnels peuvent nécessiter des solutions spécifiques mais, pour survivre à la pandémie de COVID-19, il est nécessaire que chaque clinique vétérinaire s'efforce de minimiser les coûts et réfléchisse aux moyens de maintenir son chiffre d'affaires pendant cette période difficile.
Dans les semaines les plus dures de la pandémie actuelle, les vétérinaires peuvent s'attendre à une baisse significative de leur chiffre d’affaires qui, si elle se poursuit, pourrait menacer leur existence même.
Afin de réduire les coûts fixes, il faut chercher à baisser la masse salariale dans une proportion à peu près égale à celle de la perte de chiffre d’affaires liée aux prestations de services vétérinaires.
Comme le confinement des cliniques fait considérablement diminuer le nombre de visites, il est important de limiter la perte de chiffre d’affaires en maintenant, voire en augmentant, le panier moyen par client.
Une combinaison de bon sens, de générosité, de créativité et de sens du service peut grandement influencer la façon dont une clinique fait face à la crise et à l'après-crise.
Les auteurs remercient Antje Blättner et Susie Samuel pour leur contribution à cet article.
Face à une crise telle que celle du COVID-19, nous devons affronter l'incertitude. Au moment de l’écriture de ces lignes, ni l'ampleur ni la durée de la pandémie ne sont connues mais il est déjà évident que le virus a eu un impact très rapide et violent sur l'économie du secteur vétérinaire. Il faut espérer qu'il sera relativement bref. Toutefois, il est évident que pendant cette période, les propriétaires de cliniques vétérinaires constatent une chute dramatique de leur chiffre d’affaires. Il est donc essentiel de réduire les coûts afin de minimiser les pertes et d'éviter une crise financière. Malheureusement, étant donné le calendrier de la pandémie actuelle, il est impossible d'adapter proportionnellement toutes les dépenses aux recettes, à cause de l'importance des coûts fixes. Cet article propose un plan d'action pour aider les cliniques à tenir au cours des difficiles prochaines semaines ou mois ; la grille du Tableau 1 résume les actions prioritaires (Figure 1).
Calendrier | Premier objectif | Actions prioritaires |
---|---|---|
1 mois |
Arrêter l’hémorragie
Garantir la trésorerie |
Reporter autant que possible toutes les dépenses Geler tous les investissements
Limiter le niveau des stocks
S’inscrire à tous les programmes publics de soutien, de crédit et d’aides financières aux petites entreprises
|
2-3 mois |
S’adapter à la nouvelle situation
Minimiser les pertes financières |
Négocier avec l'équipe et adapter sa taille à la nouvelle situation
Lancer des initiatives visant à susciter de nouvelles recettes (par exemple, la télémédecine) |
4 + mois | Se préparer à la reprise post-crise |
Ecrire un business plan incluant 2 ou 3 scénarios de reprise (selon différentes vitesses) et la taille de l'équipe correspondante qui sera nécessaire
Ecrire un business plan incluant 2 ou 3 scénarios de reprise (selon différentes vitesses) et la taille de l'équipe correspondante qui sera nécessaire |
Tableau 1. Actions prioritaires à envisager en fonction du calendrier.
La plupart des coûts d’une clinique vétérinaire sont fixes : à savoir les locaux, l'équipement et (principalement) le personnel. L'adjectif « fixe » ne signifie pas que ces coûts ne peuvent pas être modifiés mais il sous-entend qu'ils ne peuvent pas être adaptés rapidement ou facilement. Par exemple, il n'y a presque rien qui puisse être fait quant au coût des locaux dans un court laps de temps. A propos du matériel, il est bien sûr possible de reporter les achats non essentiels de nouveaux équipements mais à part cela, peu de choses sont possibles puisque le personnel a besoin de tout le matériel nécessaire pour continuer à offrir le même niveau de service pendant la période de confinement.
Pere Mercader
Pour gérer les coûts fixes pendant la crise, le plus efficace est de se concentrer sur la gestion des équipes ; bien qu'il s'agisse d'un coût fixe important, c'est celui qui peut (dans une certaine mesure) être le plus facilement ajusté. Nous devrions d’abord viser la réduction de la masse salariale dans une proportion à peu près égale à celle de la perte de chiffre d’affaires, ou (pour être plus précis) au chiffre d’affaires issu des services (plutôt que des biens vendus). Le Tableau 2 montre l'impact d'une diminution des recettes sur la balance des profits et pertes d'une clinique généraliste classique pour petits animaux, en conservant les hypothèses de base faites dans l’article « COVID-19 : votre entreprise en soins intensifs ». On montre ainsi que, si les recettes diminuent de 30 %, les conséquences sur l'Excédent Brut d'Exploitation, un bon indicateur du profit, peuvent être considérablement limitées si les coûts salariaux ont été réduits en parallèle.
Situation pré-crise | -30 % de chiffre d’affaires sans ajustement de la masse salariale | -30 % de chiffre d’affaires avec ajustement de la masse salariale | |
---|---|---|---|
Chiffre d’affaires | 100 | 70 | 70 |
Produits et fournitures (coûts variables) | 25 | 18 | 18 |
Salaires (associés et salariés) (coûts fixes) | 45 | 45 | 35 |
Frais généraux (par exemple : locaux et frais administratifs) (coûts fixes) | 18 | 18 | 18 |
Excédent Brut d'Exploitation* | +12 | -11 | -1 |
Tableau 2. Variation du résultat selon que les coûts salariaux peuvent être ou non réduits lorsque le chiffre d’affaires baisse (tous les chiffres sont en %).
* L’EBE (Excédent brut d’exploitation) est un moyen de mesurer la performance financière globale d’une société et ce taux est souvent utilisé pour illustrer les profits d’une entreprise.
Tout d'abord, bien que l'impact de la pandémie ait été brutal et au cas où la crise serait relativement brève, la chose la plus importante à avoir à l'esprit est de garder la clinique prête à rebondir rapidement et efficacement lorsque tout sera résolu. Le propriétaire ou les associés de la clinique ne doivent donc pas réagir de manière excessive. Ne pensez pas qu'il est urgent de réduire la masse salariale en licenciant des personnes ou en mettant fin à la période d'essai de nouveaux membres dans l’équipe, surtout s'il a été difficile de les recruter. Le point clé ici, c’est de penser à l'après-crise : les affaires vont redémarrer et la reprise peut être très rapide, de sorte qu'il faudra du personnel pour gérer la reprise.
Dans la plupart des pays européens (et ailleurs), les gouvernements proposent divers cadres juridiques pour permettre aux entreprises de réduire leur masse salariale sans licencier. Le système le plus répandu est celui de l’activité partielle. Les principes de ce système méritent d'être rappelés ici.
Ce système est un bon moyen d'alléger rapidement le poids des coûts salariaux d'une entreprise. Dans les pays où une telle option n'existe pas, le congé sans solde (qui permet de conserver le contrat de travail intact) peut être envisagé mais il est beaucoup plus préjudiciable aux salariés et ne peut être utilisé que pendant une courte période. Si l’option est disponible, il est crucial qu'une clinique vétérinaire mette en place le système de chômage partiel aussi rapidement que possible, mais seulement après avoir soigneusement évalué ses besoins en personnel.
Une autre option à envisager est de demander aux salariés d’utiliser leurs congés accumulés pendant la période de confinement, tant que l'équipe au complet n'est pas nécessaire. Bien que cela ne réduise pas réellement la masse salariale (car il s'agit de congés payés légaux), cela permettra à la clinique d'éviter une pénurie de personnel après la période de confinement, lorsque la charge de travail augmentera.
Du point de vue de la gestion financière, il est important de revoir et de réorganiser la composition et la rotation des membres de l'équipe au moins une fois par semaine, (voire deux fois) afin de déterminer la structure d'équipe adéquate pour faire face à la charge de travail ; cela concerne aussi bien les vétérinaires que le personnel support (accueil, infirmerie et administratif). Le fait d'être confiné ne devrait pas réduire le niveau de service habituellement fourni aux clients et aux animaux, et il est donc essentiel de garder des ressources humaines optimales. Le confinement fait assurément diminuer la charge de travail de la clinique mais il est important de se rappeler la nécessité de limiter la perte de chiffre d’affaires ; par conséquent, il faut au moins maintenir (et si possible augmenter) le panier moyen (Figure 2). En fait, puisque les cliniques se concentrent sur une proportion plus grande de cas compliqués ou graves en période de confinement (la plupart des actes de médecine préventive étant reportés), cela doit contribuer à augmenter le panier moyen. Il faut donc avoir suffisamment de personnel disponible.
Philippe Baralon
Il est évidemment très difficile de prévoir la charge de travail quotidienne à la clinique et il est probable que l'équipe aura soit un surcroît de travail, soit du temps libre. Pour offrir la meilleure qualité de service, et bien que cela paraisse contre-productif, il est fortement conseillé de disposer d’un léger excédent de vétérinaires et d’ASV plutôt que d’une équipe insuffisante. La solution consiste par conséquent à rappeler certains membres du personnel dès que la charge de travail dépasse les capacités, même si cela doit se faire dans le respect de la réglementation nationale en matière de chômage partiel. Les jours où la demande est faible, il peut être intéressant de profiter de l'occasion pour former les salariés (en utilisant par exemple des webinaires) ou pour implémenter de nouveaux services qui ont été précédemment reportés (par exemple, organiser des sessions de travail sur les plans de prévention ou le suivi des maladies chroniques). C'est une bonne façon de préparer le redémarrage lorsque le confinement sera assoupli ou levé, tout en apportant un message positif à l'équipe.
Il est indéniable que la crise du COVID-19 aura un impact économique et émotionnel sérieux sur les cliniques vétérinaires ; sauf de très rares exceptions, elles peuvent s'attendre à une baisse de 15 à 50 % de leur chiffre d’affaires normal, du moins pendant les semaines les plus dures de la pandémie. Face à ce scénario inquiétant, il est compréhensible que le premier réflexe des associés d’une clinique vétérinaire soit de trouver un moyen rapide de réduire ses coûts fixes (ce qui affectera inévitablement les salaires) et de reporter le paiement des factures aux fournisseurs. Cependant, ainsi que nous le ferions pour un cas clinique, une fois que le patient (c'est-à-dire la clinique) est stabilisé dans l'unité de soins intensifs (grâce à l'ajustement des salaires et à la gestion de la trésorerie), nous devrions identifier les moyens d'améliorer la santé globale afin de faciliter la convalescence. C'est là qu'intervient la gestion des recettes : la clinique doit déterminer comment minimiser la baisse attendue de la clientèle. Pour obtenir de bons résultats, nous devons utiliser un panel d’outils diversifié : une combinaison de bon sens, de générosité, de créativité et de sens du service peut faire une réelle différence.
Lucile Frayssinet
Sachez que nous vivons une période très émotionnelle et que les clients (incluant les propriétaires d'animaux de compagnie) sont généralement très attentifs au rôle joué par les gouvernements, les entreprises et les marques pendant la crise. On peut aussi bien être perçu comme amical, impliqué et cherchant à rendre service, qu’opportuniste, commercialement agressif et insensible aux besoins réels des patients et des clients : la frontière est ténue. Pour être créatif et évaluer les nouvelles initiatives potentiellement génératrices de chiffre d’affaires à mettre en place, il est conseillé aux dirigeants de la clinique de vérifier d'abord les points suivants dans cette « check-list ».
En gardant ces points de contrôle à l'esprit, voici un certain nombre d'idées qui pourraient être étudiées en équipe à la clinique.
Un certain nombre de rendez-vous étaient déjà programmés dans l'agenda de chaque clinique pendant les semaines de confinement ou de fermeture au public. Dans certains cas, les clients considèreront que ces évènements sont automatiquement annulés ; dans d'autres cas, les clients hésitants appelleront pour savoir quoi faire (ou ils s'attendront à être appelés !) alors que certains auront tout simplement oublié le rendez-vous. Il peut être judicieux de téléphoner à tous ces clients et, en fonction de la raison de leur visite, leur proposer un nouveau rendez-vous (par exemple : « nous planifions une consultation pour vous et Rocky le même jour et à la même heure mais dans 4 semaines ; ne vous inquiétez pas si le confinement est prolongé, nous vous rappellerons quelques jours avant pour vous proposer une nouvelle date ») (Figure 3). En ce qui concerne la médecine préventive, il peut être souhaitable d’adopter une autre approche, en particulier pour les chiots et les chatons ; par exemple, en proposant au propriétaire de maintenir le rendez-vous mais en le rassurant sur les mesures de biosécurité mises en place à la clinique pour minimiser les risques.
Si la charge de travail est moindre que d'habitude, passez un peu de temps à exploiter la base de données de la clinique pour identifier les propriétaires qui pourraient utilement être contactés. Certains de ces appels, en plus de susciter une réaction très positive de la part des clients, peuvent aussi générer du chiffre d’affaires de manière naturelle.
Cela peut être une solution pratique et utile à de nombreux propriétaires qui doivent rester confinés chez eux, pour que leurs animaux reçoivent sans attendre les soins médicaux dont ils ont besoin.
La télémédecine est maintenant un service (tant en médecine humaine qu'en médecine vétérinaire) assurément destiné à durer. Bien utilisée (c'est-à-dire si l’animal est un patient de la clinique et dans le bon contexte), elle peut être un atout important pour la plupart des cliniques. Le cadre juridique de la télémédecine vétérinaire varie d'un pays à l'autre mais celle-ci est de mieux en mieux comprise et acceptée par les Ordres vétérinaires nationaux ; la plupart d’entre eux exigent normalement que la relation vétérinaire-patient préexiste pour pouvoir mettre en œuvre la télémédecine. Dans de nombreux pays, il existe désormais de nombreuses solutions commerciales innovantes qui permettent de prendre des rendez-vous en ligne, de faire des téléconsultations et de percevoir des honoraires, en intégrant le tout dans le logiciel métier de la clinique.
Lorsque l'équipe, les connaissances, la technologie (il existe aujourd'hui de nombreuses applications de vidéoconférence) et le temps s’y prêtent, pourquoi ne pas organiser des webinaires thématiques ? Ceux-ci peuvent être ciblés, en invitant de manière sélective 20, 30 ou 50 clients à participer : des propriétaires d’un animal de la même race ou présentant la même maladie, ou qui partagent un intérêt commun (Figure 4). Vous pouvez également envisager d’organiser un webinaire sur un sujet plus général ou d’actualité, tel que « les adaptations comportementales des chiens et des chats pendant et après le confinement ». C’est un excellent moyen de maintenir le lien avec les clients et cela pourrait probablement créer des opportunités de chiffre d’affaires par le bais de certaines ventes en lien avec le sujet.
Pour les cliniques dont certains clients ont souscrit à des plans de prévention, le moment est peut-être venu de prendre des mesures positives. Par exemple, un courriel à l'ensemble de vos contacts (et/ou une publication sur votre site web et les pages des médias sociaux) annonçant que vous avez décidé, par courtoisie envers vos clients, de prolonger d’un mois (par exemple) la durée de tous les plans de santé actuels, sans frais supplémentaires. Cela peut sembler être une façon de perdre ou de différer une partie du chiffre d’affaires mais ce sera probablement bénéfique : votre bonne volonté sera mise en évidence et le taux de renouvellement des plans de santé arrivant à échéance augmentera probablement.
Pour conclure, toutes les propositions présentées doivent être examinées à l’aune du calendrier. Il est primordial que chaque propriétaire ou associé de clinique prenne rapidement des mesures appropriées et réfléchies pour traverser cette tempête sans précédent, et puisse s’en relever en étant prêt à avancer et à progresser. Bien qu'aucune entreprise ne puisse espérer sortir indemne de cette menace mondiale, mieux la clinique sera préparée, mieux elle résistera aux problèmes posés par cette pandémie.
Philippe Baralon
Philippe Baralon a obtenu son diplôme de l’École nationale vétérinaire de Toulouse, en France, en 1984 et a poursuivi ses études en économie (maîtrise d’économie, Toulouse, 1985) et en administration des affaires (MBA, HEC-Paris 1990). En savoir plus
Pere Mercader
Le Dr Mercader s’est établi comme consultant en gestion auprès des cliniques vétérinaires en 2001 et a depuis développé son activité en Espagne, au Portugal et dans certains pays d’Amérique latine. En savoir plus
Lucile Frayssinet
Le Dr Frayssinet est diplômée de l'École Nationale Vétérinaire de Toulouse depuis 2019. En savoir plus
L’exercice vétérinaire est soumis à une épreuve inédite avec la pandémie de COVID-19
Pour survivre financièrement à la pandémie virale, il est crucial de bien comprendre les bases économiques...
L'épidémie de COVID-19 a obligé la plupart des vétérinaires à envisager la télémédecine...
Les animaux de compagnie en bonne santé ont besoin de vétérinaires en bonne santé...