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Numéro du magazine 33.3 Autre scientifique

Hypercalcémie pathologique chez le chien

Publié 09/02/2024

Ecrit par Jordan M. Hampel et Timothy M. Fan

Aussi disponible en Deutsch , Italiano , Español , English , ภาษาไทย et Українська

Cet article passe en revue le diagnostic différentiel et les options thérapeutiques lors de la prise en charge d’un chien qui présente un taux de calcium élevé.

hypercalcémie chez le chien

Point clés

L’homéostasie du calcium est étroitement régulée par l’hormone parathyroïdienne, la calcitonine et la vitamine D, qui contrôlent principalement la mobilisation du calcium à partir du squelette, l’excrétion rénale et l’absorption intestinale.


Les causes les plus fréquentes d’hypercalcémie chez les chiens sont les cancers, l’hyperparathyroïdie primaire et l’hypoadrénocorticisme. L’hypercalcémie idiopathique est plus fréquente chez le chat que chez le chien. 


Les principaux signes cliniques de l’hypercalcémie sont une polyurie primaire avec polydipsie secondaire, une faiblesse généralisée, de la léthargie, des troubles gastro-intestinaux et une perte de poids.


Afin d’optimiser la prise en charge du chien ainsi que le pronostic, il est indispensable d’intervenir rapidement pour améliorer la calciurèse, tout en recherchant et en traitant la cause sous-jacente de l’hypercalcémie.


Introduction

Le calcium est le cinquième élément le plus abondant dans l’organisme : il est présent dans les fluides corporels sous forme de cation indispensable et il est également stocké dans les organites cellulaires. Il joue un rôle essentiel dans de nombreuses fonctions vitales, intracellulaires et extracellulaires : notamment la transmission neuromusculaire, les réactions enzymatiques, la coagulation sanguine, le tonus vasomoteur, les sécrétions hormonales et le métabolisme osseux. Le calcium est largement distribué dans les tissus et les fluctuations rapides du calcium intracellulaire sont les principaux leviers de régulation des réponses cellulaires lorsque les récepteurs de la membrane plasmique sont activés. Il sert secondairement de messager pour transmettre des signaux externes dans les cellules, afin d’orchestrer les fonctions biologiques en aval 1.

Le calcium intracellulaire est essentiel au fonctionnement normal des cellules mais le dosage du calcium en clinique se limite à estimer son importance dans les fluides corporels où il existe sous trois formes différentes : ionisé, lié aux protéines ou complexé avec des anions ou des acides organiques. Le calcium ionisé (iCa) est la forme biologiquement active, capable de traverser les membranes plasmatiques grâce à des canaux ioniques, des transporteurs actifs et des échangeurs de cations 2 ; il représente 50 % du calcium sérique total. La fraction restante est approximativement répartie comme suit : 40 % du calcium est lié aux protéines et 10 % est complexé. Compte tenu de son importance pour le fonctionnement cellulaire, la concentration en iCa doit être étroitement régulée pour optimiser l’activité d’une myriade de systèmes cellulaires, tissulaires et organiques. Cette régulation fait intervenir l’hormone parathyroïdienne (PTH), le 1,25-dihydroxycholécalciférol (vitamine D3 active ou calcitriol) et la calcitonine 3. Si le calcium est essentiel à la transmission de signaux intracellulaires, il joue aussi un rôle régulateur dans le secteur extracellulaire, notamment pour le fonctionnement de nombreux tissus glandulaires et épithéliaux vitaux, comme la glande parathyroïde, les cellules C de la thyroïde et les reins.

Homéostasie du calcium 

La PTH, la calcitonine et le calcitriol sont les trois principaux médiateurs responsables de l’équilibre des concentrations de calcium dans l’organisme. Ils exercent des activités biologiques complémentaires ou synergiques sur les trois organes cibles que sont les reins, l’intestin grêle et la matrice osseuse inorganique (hydroxyapatite) 3 (Figure 1).

Mécanisme de l’homéostasie calcique

Figure 1. Mécanisme de l’homéostasie calcique. Les trois principaux médiateurs qui équilibrent les taux de calcium dans l’organisme (PTH, calcitonine et calcitriol) peuvent exercer des effets biologiques complémentaires et synergiques sur trois organes cibles : le rein, l’intestin grêle et la matrice osseuse inorganique (hydroxyapatite). À la surface des cellules parathyroïdiennes, les récepteurs au calcium détectent les fluctuations du calcium extracellulaire. En cas d’hypocalcémie, la PTH fait augmenter la calcémie en stimulant la résorption osseuse et la réabsorption rénale du calcium. La PTH contribue indirectement à l’absorption du calcium dans l’intestin grêle en favorisant la conversion de la vitamine D en vitamine D3 active (calcitriol) dans les tubules rénaux proximaux, grâce à l’augmentation de l’activité de la 1-alpha-hydroxylase.
© Redessiné par Sandrine Fontègne

C’est la PTH qui joue le principal rôle régulateur, en contrôlant minute par minute les fluctuations du taux de calcium dans l’organisme. Si la calcémie augmente, la sécrétion de PTH diminue et entraîne une perte nette de calcium par les tubules rénaux distaux, une réduction de l’absorption du calcium au niveau intestinal et une diminution de la résorption osseuse par les ostéoclastes 4. Inversement, si le taux de calcium sérique diminue, les glandes parathyroïdes sécrètent de la PTH qui agit sur les tubules rénaux distaux pour stimuler la réabsorption de calcium et l’excrétion de phosphore par les reins. La PTH contribue aussi indirectement à augmenter l’absorption intestinale de calcium en favorisant la conversion de la vitamine D en vitamine D3 active (calcitriol) dans les tubules rénaux proximaux, grâce à la stimulation de l’activité de la 1-α-hydroxylase 4. La PTH agit aussi sur le squelette en activant la prolifération des cellules osseuses existantes (ostéoblastes) ; cet effet précoce augmente la densité minérale osseuse 5. Une sécrétion continue de PTH peut cependant augmenter l’expression des protéines RANKL par les ostéoblastes, ce qui entraîne l’activation et la survie des ostéoclastes, et une augmentation consécutive de de la résorption osseuse 6.

Le calcitriol participe à la régulation du calcium principalement en augmentant la synthèse des protéines calbindine-D, qui augmentent l’absorption du calcium alimentaire dans l’intestin grêle puis sa libération dans la circulation sanguine 7. Le calcitriol peut également exercer un effet de rétroaction négative sur la calcémie en se transformant en 24,25-dihydroxycholécalciférol, une forme moins active, et en diminuant la transcription de la PTH par l’ARNm.

La calcitonine n’est pas un facteur majeur de régulation instantanée du calcium mais cette hormone peut aider à réduire en urgence le taux sérique de calcium en cas d’augmentation trop rapide. La libération de calcitonine par les cellules C de la glande thyroïde est stimulée par l’hypercalcémie et l’ingestion d’un repas riche en calcium entraînant la sécrétion d’hormones digestives (gastrine et cholécystokinine). Son activité biologique consiste surtout à inhiber la résorption osseuse par les ostéoclastes 8.

Jordan M. Hampel

L’hypercalcémie peut résulter d’un large éventail de processus pathologiques. Le traitement approprié, la gravité des signes cliniques et le pronostic global dépendent de l’étiopathogénie sous-jacente.

Jordan M. Hampel

Diagnostic différentiel

Chez le chien et le chat, l’hypercalcémie correspond à diverses situations physiologiques et pathologiques appartenant à deux grandes catégories : celles qui dépendent des parathyroïdes et celles qui n’en dépendent pas. Les parathyroïdes sont impliquées dans l’hyperparathyroïdie primaire et (plus rarement) l’hyperparathyroïdie secondaire, d’origine nutritionnelle ou rénale. Toutes les autres causes d’hypercalcémie sont considérées comme non-parathyroïdiennes : il s’agit principalement de troubles cancéreux (Figures 2, 3), toxiques, idiopathiques, métaboliques, squelettiques et granulomateux 9. Dans les études récentes portant sur un grand nombre d’animaux, les causes pathologiques les plus fréquentes d’hypercalcémie ionisée chez le chien étaient les tumeurs, l’hyperparathyroïdie primaire et l’hypoadrénocorticisme. En comparaison, les causes les plus souvent identifiées chez le chat étaient les tumeurs (comme le carcinome épidermoïde buccal), la maladie rénale chronique, l’hypercalcémie idiopathique (secondaire à des perturbations du système de détection du calcium) et, plus rarement, l’hypervitaminose D 10,11,12,13,14. Les cancers sont donc les causes les plus fréquentes d’hypercalcémie chez les animaux de compagnie : ils sont en cause chez 60 % des chiens et 30 % des chats 11,12,13 (Figures 4, 5). Il existe plusieurs acronymes et moyens mnémotechniques pour se rappeler des différents signes cliniques associés à l’hypercalcémie. Comme celle-ci peut souvent révéler l’existence d’une affection sous-jacente importante, l’expression “gosh darn it” (sapristi ! en français) est souvent utilisée par les anglosaxons (Tableau 1).

Les causes de l’hypercalcémie peuvent être classées en deux grandes catégories : celles qui dépendent de la parathormone et celles qui n’en dépendent pas

Figure 2. Les causes de l’hypercalcémie peuvent être classées en deux grandes catégories : celles qui dépendent de la parathormone et celles qui n’en dépendent pas. Les causes non- parathyroïdiennes sont nombreuses mais un cancer est souvent présent. Un setter irlandais d’âge moyen est ici présenté pour une boiterie généralisée, une douleur squelettique diffuse et une PUPD. Le dépistage sanguin indique un taux de calcium total élevé et une élévation nette des globulines sériques. La radiographie montre des lésions ostéolytiques ponctuelles discrètes dans divers os, dont l’humérus droit.
© Photomicrographie, avec l’aimable autorisation du Dr Louis-Philippe de Lorimier

Une aspiration de moelle osseuse met en évidence un pourcentage élevé de plasmocytes présentant des caractéristiques malignes

Figure 3. Une aspiration de moelle osseuse met en évidence un pourcentage élevé de plasmocytes présentant des caractéristiques malignes, confirmant le diagnostic de myélome multiple. 
© Photomicrographie, avec l’aimable autorisation du Dr Michael Rosser 

Si l’élévation de la calcémie est souvent due à un cancer, plusieurs mécanismes distincts peuvent en être responsables 15,16. La première cause d’hypercalcémie, et la plus fréquente, est la production de facteurs solubles par les cellules tumorales qui entraînent une résorption osseuse ; ce phénomène est connu sous le nom d’hypercalcémie humorale maligne (HHM). Un deuxième mécanisme repose sur l’invasion directe de l’os par des cellules tumorales, qui provoque l’ostéolyse couramment observée dans les carcinomes ou les tumeurs hématopoïétique de la moelle osseuse telles que les leucémies, les lymphomes et les myélomes multiples. Enfin, et c’est le cas le moins fréquent, la production de la forme active de la vitamine D par les cellules exprimant la 1-α-hydroxylase augmente l’absorption intestinale du calcium.

Les cancers sont les causes les plus fréquente d’hypercalcémie chez le chien

Figure 4. Les cancers sont les causes les plus fréquente d’hypercalcémie chez le chien. Ce fait est illustré par le cas de ce Whippet âgé, présentant une hypertrophie généralisée des ganglions lymphatiques périphériques (observer l’hypertrophie du ganglion mandibulaire) et une élévation du taux de calcium ionisé.
© Photomicrographie, avec l’aimable autorisation du Dr Louis-Philippe de Lorimier

L’examen cytologique d’un prélèvement fait par aspiration à l’aiguille fine

Figure 5. L’examen cytologique d’un prélèvement fait par aspiration à l’aiguille fine dans une masse située dans le médiastin antérieur confirme la présence d’un grand lymphome lymphoblastique. 
© Photomicrographie, avec l’aimable autorisation du Dr Michael Rosser 

Tableau 1. « GOSH DARN IT » (Bon sang, zut…) : un acronyme mnémotechnique utile pour lister les causes d’hypercalcémie

  • Maladies Granulomateuses : mycoses systémiques, infections mycobactériennes
  • Ostéolyse : carcinome métastatique (prostatique, mammaire, épidermoïde), myélome multiple
  • Supposition infondée ou erreur de laboratoire
  • Hyperparathyroïdie primaire : adénome parathyroïdien
  • Toxicité de la vitamine D : rodenticide, traitement contre le psoriasis
  • Maladie d’Addison : hypoadrénocorticisme
  • Insuffisance Rénale : aiguë ou chronique
  • Néoplasie : humorale, production de PTHrp à cause d’un lymphome, d’un adénocarcinome des glandes apocrines des sacs anaux, d’un thymome, etc.
  • Hypercalcémie Idiopathique : observée chez les chats
  • Température élevée : fièvre (cause rare et transitoire)

Hypercalcémie humorale maligne (HHM)

L’hypercalcémie humorale maligne peut reposer sur la sécrétion maligne de peptides liés à l’hormone parathyroïdienne (PTHrp), dont la structure est similaire à celle de la PTH 17, ainsi que de cytokines telles que l’IL-1, l’IL-6 ou le facteur de nécrose tumorale 15. Ces facteurs humoraux entraînent une résorption ostéoclastique généralisée et diffuse, sans lésion osseuse visible à la radiographie. La PTHrp étant une protéine sécrétée, toutes les cellules sécrétoires de l’organisme qui subissent une transformation maligne peuvent potentiellement libérer des quantités excessives de cette hormone.

Un lymphome (ou lymphosarcome : LSA), et en particulier un lymphome médiastinal, est la cause la plus fréquente d’hypercalcémie. Il existe cependant d’autres tumeurs responsables d’hypercalcémie chez le chien et le chat : adénocarcinome des glandes apocrines des sacs anaux (AGASA), carcinome thyroïdien, myélome multiple, tumeurs osseuses diffuses, thymome, carcinome épidermoïde, carcinome et adénocarcinome de la glande mammaire, mélanome, tumeur pulmonaire primitive, leucémie lymphocytaire chronique, angiomyxome rénal, tumeurs des glandes parathyroïdes… En règle générale, une hypercalcémie est présente chez 10 à 35 % des chiens atteints de LSA, plus de 25 % des chiens atteints d’AGASA et environ 20 % des chiens atteints de myélome multiple.

Signes cliniques

Compte tenu du large éventail de fonctions physiologiques remplies par les ions calcium, l’hypercalcémie et l’hypocalcémie ont toutes deux des effets multisystémiques 10,11. L’augmentation de la concentration de calcium sérique inhibe les fonctions cellulaires en modifiant la perméabilité des membranes ainsi que l’activité des pompes incluses dans les membranes cellulaires. Une augmentation de l’iCa intracellulaire peut perturber le fonctionnement cellulaire et réduire la production d’énergie, ce qui entraîne parfois la mort cellulaire et une minéralisation dystrophique ou métastatique. Bien que l’hypercalcémie affecte de nombreux organes, les effets sur le système nerveux central, le tractus gastro-intestinal, le cœur et les reins sont cliniquement les plus importants. Quelle que soit la cause de l’hypercalcémie, l’altération de la fonction rénale est une conséquence clinique importante de l’hypercalcémie, en particulier lors de développement d’une maladie cancéreuse 18. Les signes cliniques associés à l’hypercalcémie peuvent être non spécifiques, insidieux et de gravité variable, mais les plus courants sont les suivants : polyurie primaire avec polydipsie compensatoire (PUPD), anorexie, léthargie, faiblesse, vomissements, dépression, contractions musculaires, arythmies cardiaques et convulsions 9. Les signes les plus fréquents chez le chat sont plus souvent d’ordre gastro-intestinal (anorexie et vomissements) 19.

Approche diagnostique du chien hypercalcémique

La mesure de l’iCa est plus précise que celle du calcium total chez les animaux. Il est intéressant de noter que l’ampleur de l’élévation de la concentration en calcium tend à être plus importante lorsque l’hypercalcémie est d’origine maligne que lorsqu’elle est due à une autre cause 12,13. En cas de suspicion d’hypercalcémie, la première étape clinique consiste à faire une anamnèse et un examen clinique approfondi, incluant une évaluation minutieuse des ganglions lymphatiques périphériques et une palpation rectale (pour rechercher la présence d’AGASA) (Figures 6-8). Sur la base de ces résultats, des examens complémentaires (notamment une numération-formule, un bilan biochimique, une analyse d’urine, des radiographies thoraciques et une échographie abdominale) pourront être réalisés pour obtenir des résultats susceptibles de confirmer la suspicion clinique. Ces examens peuvent aussi mettre en évidence des affections qui n’avaient pas été repérées lors de l’examen clinique.

Examen rectal d’une chienne âgée, issue de croisement, présentée pour un signe du traîneau

Figure 6. Examen rectal d’une chienne âgée, issue de croisement, présentée pour un signe du traîneau, des difficultés à déféquer et une PUPD. Une masse de tissu mou est présente au niveau du sac anal droit et le taux d’iCa est anormalement élevé. 
© Photomicrographie, avec l’aimable autorisation du Dr Louis-Philippe de Lorimier

L’examen cytologique de la masse rectale révèle des caractéristiques compatibles avec un adénocarcinome des glandes apocrines du sac anal (AGASA)

Figure 7. L’examen cytologique de la masse rectale révèle des caractéristiques compatibles avec un adénocarcinome des glandes apocrines du sac anal (AGASA). 
© Photomicrographie, avec l’aimable autorisation du Dr Michael Rosser 

Le scanner met en évidence une grosse tumeur primaire
augmentation anormale du volume des ganglions lymphatiques locaux

Figure 8. Le scanner met en évidence une grosse tumeur primaire (astérisque rouge) (a) et une augmentation anormale du volume des ganglions lymphatiques locaux (astérisques jaunes) (b), confirmant la présence de métastases régionales.
© Timothy M. Fan

Si ces examens ne permettent pas d’identifier la cause de l’hypercalcémie, d’autres dosages peuvent être effectués, notamment la concentration sérique de PTH, de PTHrp et de calcitriol circulant. Lorsque l’hypercalcémie a une origine maligne, la concentration sérique de PTH doit être faible ou indétectable, tandis que le taux sérique de PTHrp peut être mesurable voire élevé. Le taux de calcitriol sérique est généralement normal mais il peut augmenter ou diminuer. Si ces examens classiques ne permettent toujours pas de cerner la cause, il peut aussi être envisagé de réaliser des radiographies exploratoires du squelette, une scintigraphie osseuse (scintigraphie nucléaire), une ponction de moelle osseuse ou un scanner (Figures 9-11).

Les perturbations calciques s’observent lors d’affections graves et potentiellement fatales et, quelle que soit la cause sous-jacente, l’hypercalcémie peut entraîner des complications mortelles si elle n’est pas traitée 20. La mesure de l’iCa nécessite un analyseur spécial qui n’est pas toujours disponible dans les cliniques vétérinaires. Pour tenter de contourner cette contrainte, le praticien devra souvent décrypter les modifications du calcium total (tCa), en considérant les trois fractions du calcium sérique. Malheureusement, il est difficile de les interpréter précisément car le calcium total ne reflète pas exactement le niveau de l’iCa chez le chien. Bien que des formules utilisant l’albumine et les protéines totales aient été proposées pour corriger le calcium total, elles ne sont pas considérées comme fiables et ne permettent pas de valider ni d’expliquer la discordance des dosages du calcium total et de l’iCa 20,21. Pour cette raison, il est recommandé que toute anomalie constatée à propos du calcium total fasse l’objet d’un examen plus approfondi ; des examens supplémentaires devront évaluer la véritable concentration de l’iCa.

La radiographie peut être utile pour rechercher la cause d’une hypercalcémie
chien issu de croisement est ici présenté pour une tachypnée d’apparition progressive

Figure 9. La radiographie peut être utile pour rechercher la cause d’une hypercalcémie. Un chien issu de croisement est ici présenté pour une tachypnée d’apparition progressive, une toux et une régurgitation intermittente ; il ne montre pas d’autres symptômes par ailleurs. Un bilan biochimique révèle une légère augmentation du calcium total et une élévation confirmée de l’iCa. Les radiographies thoraciques latérales (a) et dorsoventrales (b) mettent en évidence une masse médiastinale bien définie provoquant une déviation dorsale et latérale de la trachée.
© Photomicrographie, avec l’aimable autorisation du Dr Louis-Philippe de Lorimier

L’exploration chirurgicale (par thoracotomie intercostale latérale droite) indique une masse médiastinale multilobulée

Figure 10. L’exploration chirurgicale (par thoracotomie intercostale latérale droite) indique une masse médiastinale multilobulée.
© Photomicrographie, avec l’aimable autorisation du Dr Louis-Philippe de Lorimier

l’examen cytologique de la masse oriente vers un thymome

Figure 11. En raison de la prédominance de petits lymphocytes matures, de mastocytes, de macrophages et de plasmocytes, l’examen cytologique de la masse oriente vers un thymome. 
© Photomicrographie, avec l’aimable autorisation du Dr Louis-Philippe de Lorimier

Traitement

Puisque l’hypercalcémie peut résulter d’un large éventail de processus pathologiques, le traitement, la gravité des signes cliniques et le pronostic global dépendent de l’étiopathogénie sous-jacente. Aucun protocole thérapeutique n’est efficace sur toutes les causes mais provoquer une calciurie apporte un bénéfice clinique immédiat à la plupart des chiens. La prise en charge définitive et optimale de l’hypercalcémie exige cependant d’identifier et de traiter la cause sous-jacente, même si certains processus pathologiques complexes sont parfois difficiles à mettre en évidence de manière précise. Au final, c’est l’état clinique du chien qui déterminera le degré d’agressivité du traitement.

Les traitements les plus efficaces de l’hypercalcémie d’origine maligne sont l’exérèse chirurgicale de la tumeur sous-jacente si elle est anatomiquement possible, la chimiothérapie pour induire une rémission clinique (surtout en cas d’hypercalcémie associée au LSA) ou la radiothérapie. Dès que la concentration de calcium sérique atteint 16 mg/dl (4 mmol/l), il est empiriquement recommandé de démarrer une thérapie agressive mais celle-ci doit être adaptée au chien, aux résultats des examens et à l’évolution de la situation clinique en temps réel. Un pronostic défavorable est associé aux chiens qui présentent certaines des caractéristiques suivantes : 

  • les chiens présentant des signes cliniques et une hypercalcémie supérieure à 16 mg/dl (4 mmol/l),
  • les chiens présentant une azotémie rénale sévère,
  • les chiens avec un ratio calcium /phosphore supérieur à 60 et qui présentent une minéralisation métastatique,
  • les chiens présentant une hypercalcémie d’origine maligne et des masses tumorales non accessibles à la chirurgie.

L’intervention thérapeutique initiale consiste à mettre en place une fluidothérapie intensive avec du chlorure de sodium isotonique (0,9 %) pour corriger la déshydratation, une conséquence fréquente de la polyurie primaire induite par l’hypercalcémie (aussi appelée diabète insipide néphrogénique secondaire). L’hémoconcentration causée par la diminution de la filtration glomérulaire entraîne une rétention supplémentaire de calcium car les reins tentent de réabsorber le sodium, ce qui diminue l’excrétion calcique urinaire 9. L’administration adéquate de sérum physiologique par voie intraveineuse permet non seulement de réhydrater l’animal mais elle favorise aussi l’expansion volumique grâce à l’augmentation du taux de filtration glomérulaire et l’amélioration de la calciurèse qui en découle. Le soluté salin ne contient pas de calcium supplémentaire et sa teneur élevée en sodium entre en compétition avec le calcium pour l’absorption tubulaire rénale, ce qui contribue à stimuler l’excrétion du calcium 22. Une fois l’animal bien réhydraté, l’administration de diurétiques de l’anse (par exemple du furosémide à 2-4 mg/kg BID ou TID IV/SC/PO), en parallèle de la fluidothérapie saline constante, est recommandée pour augmenter encore l’excrétion urinaire du calcium et réduire le risque d’une hypervolémie iatrogène. Il faut cependant veiller à éviter la déshydratation chez ces chiens car l’hémoconcentration peut annuler la calciurèse souhaitée.

Les glucocorticoïdes peuvent aider à traiter rapidement certains cas d’hypercalcémie. Idéalement, la cause sous-jacente devrait cependant être identifiée auparavant car l’administration en aveugle risque de fausser le diagnostic définitif (par exemple en cas de tumeur hématopoïétique sous-jacente) ou pourrait même être médicalement contre-indiquée (par exemple en cas de maladie infectieuse granulomateuse). Les glucocorticoïdes contribuent à abaisser la calcémie en diminuant la résorption osseuse, en freinant l’absorption intestinale du calcium et en augmentant l’excrétion rénale du calcium 22. Ils sont particulièrement utiles pour traiter l’hypercalcémie associée à des tumeurs malignes telles que le lymphome, l’AGASA, le myélome multiple, le thymome, l’hypoadrénocorticisme ou l’hypervitaminose D. La prednisone (1-2,2 mg/kg BID IV/SC/PO) ou la dexaméthasone (0,1-0,22 mg/kg BID) sont les glucocorticoïdes les plus couramment utilisés, tous deux étant peu coûteux et facilement disponibles. La posologie sera ensuite progressivement réduite car les chiens ne sont pas censés recevoir longtemps des doses aussi élevées.

Les bisphosphonates constituent une autre option pour traiter l’hypercalcémie ; ces médicaments ont été développés pour inhiber la résorption osseuse pathologique associée à l’ostéoporose et aux métastases osseuses chez l’homme. Le zolédronate et le pamidronate sont les plus couramment utilisés en médecine humaine ; ils peuvent normaliser le taux de calcium en 4 à 10 jours et leurs effets durent 1 à 4 semaines environ 23. Bien que plus de données soient actuellement disponibles à propos de l’utilisation du pamidronate, le zolédronate s’est avéré efficace dans le contrôle de l’hypercalcémie aiguë chez le chien 24. La posologie des différents bisphosphonates varie en fonction de la puissance de l’effet antirésorption et de leurs effets secondaires potentiels (Figure 12). Pour le zolédronate, la dose recommandée est de 0,1-0,25 mg/kg, diluée dans du sérum physiologique et administrée par voie IV en perfusion à débit constant pendant 15 à 20 minutes. Le pamidronate sera administré à raison de 1,0-2,0 mg/kg, dilué dans du sérum physiologique et administré pendant 2 à 4 heures. Il est important de garder en mémoire que des lésions rénales aiguës ont été observées lors d’études précliniques sur la toxicité de ces médicaments, en cas de perfusion avec des doses élevées. Bien que les posologies recommandées ci-dessus pour les animaux s’inscrivent dans une durée de perfusion longue et réduisent donc considérablement le risque de lésions rénales, la fonction rénale du chien devra toujours être étroitement surveillée pendant la durée du traitement. L’alendronate, un bisphosphonate oral, a été testé chez des chats présentant une hypercalcémie idiopathique persistante et il semble bien toléré 14,25 ; des études supplémentaires sont cependant nécessaires pour évaluer son efficacité (car sa biodisponibilité orale extrêmement faible) et pour savoir s’il doit être préféré à d’autres bisphosphonates dans cette espèce.

Un border collie présente une résorption pathologique sévère de l’ulna
traitement par radiations ionisantes et l’administration mensuelle de zolédronate a complètement stoppé l’ostéolyse

Figure 12. Un border collie présente une résorption pathologique sévère de l’ulna (pointes de flèches rouges), secondaire à une tumeur plasmocytaire maligne invasive (a). Le traitement par radiations ionisantes et l’administration mensuelle de zolédronate a complètement stoppé l’ostéolyse (b) ; une restauration qualitative et quantitative de l’os est observée (pointes de flèches vertes).
© Timothy M. Fan

La mithramycine, la calcitonine et le nitrate de gallium sont d’autres médicaments théoriquement utilisables lors d’hypercalcémie mais leur coût, leurs effets secondaires et leur protocole d’administration limitent leur intérêt. La mithramycine (plicamycine) est un antibiotique antitumoral qui inhibe la synthèse de l’ARN dans les ostéoclastes, ce qui entraîne une inhibition rapide de la résorption osseuse 22. Ce médicament n’est plus recommandé en médecine vétérinaire et humaine à cause des risques de thrombocytopénie, de nécrose rénale et hépatique, et d’hypocalcémie qu’il présente. La calcitonine est une autre option thérapeutique car elle ralentit la résorption osseuse en inhibant l’activité et la formation des ostéoclastes. Elle fait donc diminuer rapidement la calcémie dans les heures qui suivent son administration (plus vite que n’importe quel autre médicament) mais ses effets sont relativement brefs car ils sont compensés par l’effet rétroactif des récepteurs qui régulent la calcémie. Le nitrate de gallium est un agent antitumoral qui inhibe les ostéoclastes et diminue la solubilité de résorption de l’hydroxyapatite en se fixant sur les cristaux d’hydroxyapatite. Ce médicament est généralement utilisé dans les cas réfractaires aux bisphosphonates et certaines études ont montré qu’il était plus efficace que ces derniers pour réduire la calcémie en cas d’hypercalcémie d’origine maligne. Il n’est pourtant pas considéré comme un traitement de première intention en raison de son potentiel néphrotoxique.

Timothy M. Fan

L’homéostasie du calcium est un mécanisme physiologique étroitement régulé qui permet à l’organisme de maintenir une concentration stable de calcium ionisé, puisqu’il s’agit de la forme active de l’électrolyte.

Timothy M. Fan

Conclusion

La concentration du calcium ionisé est très étroitement régulée dans l’organisme et des variations peuvent entraîner des effets systémiques importants et néfastes sur plusieurs organes. L’hypercalcémie paranéoplasique est une complication grave et relativement fréquente chez le chien. Différents types de tumeurs sont capables d’induire une hypercalcémie en modifiant l’homéostasie du calcium, ce qui entraîne des signes cliniques. Le lymphome à cellules T est la tumeur canine le plus souvent associée à une hypercalcémie mais d’autres types de tumeurs, ainsi que des maladies non-cancéreuses, doivent être envisagées lorsqu’un chien présente une concentration élevée de calcium. Si les signes cliniques associés à l’hypercalcémie sont souvent non spécifiques, il est important de détecter rapidement la cause sous-jacente. Une fois identifiée, la mise en place d’une thérapie durable et un traitement de soutien minimiseront les complications potentiellement mortelles et contribueront à améliorer le pronostic.

Références

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Jordan M. Hampel

Jordan M. Hampel

La Dre Hampel est diplômée de l’Université de l’Illinois depuis 2020 En savoir plus

Timothy M. Fan

Timothy M. Fan

Le Dr Fan est diplômé du Virginia-Maryland Regional College de médecine vétérinaire depuis 1995 En savoir plus

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