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Veterinary Focus

Numéro du magazine 33.3 Autre scientifique

Nouvelle approche de l’arthrose canine : étiologie, détection, diagnostic

Publié 22/03/2024

Ecrit par Éric Troncy

Aussi disponible en Deutsch , Italiano , Español et English

Les cliniciens savent-ils vraiment repérer l‘arthrose chez le chien ? Avons-nous des idées préconçues à ce sujet ? Cet article remet en question notre compréhension de cette maladie.

Chien essayant de monter des escaliers

Points clés

L‘arthrose est un problème très fréquent chez les animaux de compagnie, mais cette maladie ne concerne pas que les animaux âgés. 


Les facteurs de risque de l‘arthrose canine sont bien documentés, ils incluent notamment la génétique, la stérilisation, le poids et la taille du chien, ainsi que des caractéristiques et la conformation spécifiques à la race.


La douleur est la manifestation clinique la plus importante de l‘arthrose canine, mais le degré de douleur dépend de l’état de l‘articulation, en particulier de son innervation et de sa vascularisation.


Si le clinicien adopte une approche proactive de l‘arthrose, cela peut avoir des effets bénéfiques à long terme pour les chiens.


Introduction – Le quoi, le comment et le pourquoi de l’arthrose

Cet article traite de l‘arthrose canine en commentant des affirmations extraites de diverses pages web et d‘articles de synthèse. Leur validité est questionnée et les réponses apportées visent à permettre au lecteur d’appréhender plus globalement les connaissances actuelles sur l‘arthrose canine. L’aspect prospectif de la lutte contre cette maladie est également envisagé.

Quelle est la fréquence de l’arthrose ?

« Comme chez l’Homme, l‘arthrose est un problème très fréquent chez les animaux de compagnie. On estime qu‘environ 30 à 50 % des chiens et des chats seront atteints par l‘arthrose à un moment ou à un autre de leur vie. »

Est-ce vrai ? Quelle est la prévalence réelle de l‘arthrose canine dans les pays occidentaux ? 

La prévalence de l’arthrose irait de 6,6 % (d‘après des données portant sur 3 884 chiens vus en clientèle généraliste au Royaume-Uni 1) à 20 % chez les chiens âgés de plus d‘un an 2,3. Ce dernier chiffre date cependant de 1997 (les données de l‘étude n‘étant pas accessibles) et est issu d’une population de chiens référés en Amérique du Nord. La prévalence de la maladie est sans doute plus élevée dans ce type de population canine 4. En se basant sur un questionnaire adressé à 504 propriétaires fréquentant 9 cliniques vétérinaires aux États-Unis, une étude a récemment estimé la prévalence de l’arthrose (confirmée par un examen vétérinaire +/- radiographies) à 37,3 % 3. Ce taux est plus élevé que ceux rapportés précédemment, mais la taille de l‘échantillon de population était faible et des biais sont probables. Enfin, la prévalence annuelle de 2,5 % a été estimée à partir d‘une population de 455 557 chiens fréquentant des cliniques généralistes au Royaume-Uni 4. Il serait donc raisonnable de penser que, dans un pays comme le Canada qui comptait environ 8 millions de chiens en 2023, l‘arthrose touche environ 200 000 chiens chaque année, avec une prévalence globale comprise entre 10 et 20 %. 

Plus important, ces études épidémiologiques mentionnent un âge médian au premier diagnostic de 10,5 ans 4, significativement différent de l‘âge médian de l‘ensemble de la population étudiée, qui était de 4,8 ans 1. D‘autres facteurs de risque sont clairement mis en évidence, les premiers étant le poids et la taille du chien 4,5,6. La stérilisation est également associée à une augmentation de la fréquence de l‘arthrose 7 : les hormones sexuelles sont en effet connues pour protéger contre l‘arthrose et la stérilisation entraîne indirectement une prise de poids. L’influence des facteurs génétiques est supposée être importante 5 et nécessite des recherches plus approfondies car les défauts de conformation (relatifs en particulier à la taille du corps et des membres) et les angulations des articulations (comme décrits dans les standards de races) sont des causes majeures d‘arthrose canine. En revanche, l‘influence respective de la race (il n‘y a pas de différence significative entre les chiens croisés et les chiens de race pure 1,4), du format (l‘incidence est plus élevée chez les races moyennes à grandes) et du sexe (les mâles seraient légèrement plus à risque 4) est moins évidente.

Selon l‘expérience de l’auteur, c’est vers l’âge de 8 ans que l‘arthrose est le plus souvent diagnostiquée et, par rapport aux autres groupes d‘âge, les chiens de plus de 12 ans sont les plus à risque de présenter des signes d’arthrose 4. S‘agit-il donc d‘une maladie du vieillissement, chez le chien comme chez l‘Homme 8 ? L‘arthrose peut pourtant être diagnostiquée chez de jeunes chiens (âgés de 1,5 à 2 ans), mais il est probable que les propriétaires ne remarquent les signes que tard dans la vie des chiens. Ceux-ci sont alors examinés à un stade où les signes sont plus avancés et plus évidents 4,5. La non-identification des stades précoces de l‘arthrose serait-elle due à une sensibilisation insuffisante du public (aussi bien les propriétaires de chiens 9 que les vétérinaires) ou à l‘utilisation de méthodes de détection inadéquates, qui conduisent à associer de manière erronée l’arthrose au vieillissement normal ? Comme cela a été mentionné 5, les données liées à l‘âge doivent être interprétées avec prudence, et seules des études longitudinales permettraient d’explorer plus avant la relation entre l‘âge et le développement de l‘arthrose. 

Qu’est-ce que l’arthrose ?

« L‘arthrose est une maladie dégénérative progressive des articulations synoviales. Elle provoque une douleur et une inflammation chronique de faible intensité, ainsi qu’une détérioration structurelle et fonctionnelle de l‘articulation à long terme. L‘affection touche de nombreux tissus, notamment le cartilage, l‘os sous-chondral, la capsule articulaire et le liquide synovial. » 

Est-ce exact ? Qu‘en est-il des autres structures impliquées dans l‘arthrose ? 

La définition est partiellement correcte mais, ainsi que l‘ont récemment montré des études d‘imagerie par résonance magnétique, l‘arthrose affecte également les ligaments et les tendons de l‘articulation touchée 10. Le risque de développement de l’arthrose pourrait aussi être augmenté en présence d’une altération antérieure des articulations ou d’une perte de masse musculaire, comme la sarcopénie chez les animaux gériatriques 5. Même si l‘arthrose affecte d‘abord la matrice cartilagineuse, elle entraîne finalement la dégénérescence de toutes les structures articulaires : l‘os sous-chondral, la capsule articulaire, le liquide synovial, ainsi que les ménisques, les ligaments, les tendons et les muscles. Lorsque le cartilage commence à s‘amincir, les tendons et les ligaments sont soumis à des contraintes plus importantes et finissent par s‘étirer anormalement, ce qui provoque un épanchement synovial et la formation d‘ostéophytes. Les modifications structurelles de l’articulation entraînent l’apparition d’une douleur lors des mouvements, avec libération de facteurs inflammatoires et cataboliques. Cependant, comme cela a été décrit chez l‘Homme 11, intensité de la douleur n‘est pas nécessairement proportionnelle aux lésions anatomiques observées à la radiographie 12

La douleur est la manifestation clinique la plus importante de l‘arthrose canine, et c’est l’ensemble de l‘articulation qui conditionne le degré de douleur, en particulier son degré d’innervation et de vascularisation. Bien que le cartilage ne soit pas innervé, le périoste, l‘os sous-chondral, les tissus mous (incluant les insertions ligamentaires), les ménisques et la synovie le sont (Figure 1). Les facteurs inflammatoires et neurotrophiques libérés au niveau de l‘articulation (comme le facteur de croissance nerveuse (NGF)) contribuent à augmenter la réactivité des fibres à la douleur. Il a été montré que le taux de NGF était plus élevé dans le liquide synovial des chiens arthrosiques et présentant une boiterie chronique que dans celui des articulations saines 13. Une sensibilisation périphérique peut se produire et elle est alors caractérisée par une hypersensibilité de l‘articulation affectée. Une néovascularisation à la jonction ostéochondrale contribue à amplifier l‘inflammation et la sensibilisation. La stimulation en continu et la haute fréquence des signaux envoyés par les nocicepteurs au cerveau conduisent au phénomène de « wind-up ». Au final, ils pourraient être à l’origine d’une neuroplasticité, d’une sensibilisation centrale et d’une altération de la modulation endogène de la douleur 14. Les lésions structurelles des articulations perturbent la mobilité en entraînant des douleurs, des raideurs et des boiteries. La mobilité réduite aggrave alors la faiblesse musculaire et ligamentaire, ce qui immobilise un peu plus l’articulation et favorise l‘atrophie musculaire, entretenant ainsi le cercle vicieux de la douleur (Figure 2) 10. C‘est l‘une des raisons pour lesquelles un exercice contrôlé est recommandé dans les premiers stades de l‘arthrose canine 15

L‘arthrose est donc une maladie dégénérative de l‘articulation synoviale, mais cette définition simpliste est trompeuse. Une seule lésion structurelle conduit souvent à une hypersensibilité à la douleur fonctionnelle, et l‘expression neurologique peut finalement avoir des conséquences biologiques, psychologiques et sociales (Figure 3).

Vue schématique d’une articulation saine et arthrosique

Figure 1. Comparaison entre une articulation saine et malade : lorsque l‘arthrose se développe, diverses voies pathologiques se combinent pour produire la sensation de douleur.
© D’après Aliénor Delsart/redessiné par Sandrine Fontègne

L’arthrose est-elle surtout due à l’âge ?

« Chez l‘Homme, l‘arthrose est généralement liée au vieillissement et à l‘usure articulaire mais l‘arthrose canine a généralement une cause sous-jacente spécifique, et elle est donc souvent observée plus tôt dans la vie. Les causes peuvent être des troubles du développement (dysplasie du coude ou de la hanche par exemple), des ruptures ligamentaires et des problèmes traumatiques (par exemple, une fracture du condyle de l‘humérus où l‘os cassé touche l‘articulation). L‘alimentation, l'obésité, la génétique, l‘âge, la race et l‘environnement sont des facteurs de risque qui influencent le développement et la progression de l‘arthrose. » 

Quelles sont les preuves qui étayent cette affirmation ? L‘arthrose n‘est-elle pas une « maladie du vieillissement » et quelles sont les conséquences si les animaux âgés ont un risque de 60 à 90 % de développer l‘arthrose ?

L'affirmation est correcte mais, contrairement à une idée reçue, l‘arthrose n‘est pas limitée aux populations âgées, en particulier chez les animaux de compagnie. On associe souvent à tort l‘arthrose au vieillissement normal, à cause des limites des méthodes de diagnostic (voir ci-dessous), et cela ne devrait plus être automatique. Les propriétaires considèrent souvent comme « normale » l‘apparition de signes d‘arthrose chez un chien âgé. Cette perception nuit à la détection précoce de l‘arthrose alors qu’un diagnostic tardif limite considérablement les possibilités de traitement, au point que l‘euthanasie doit souvent être proposée (et acceptée par le client) 16. Ce phénomène est entretenu par l‘idée que l‘arthrose est un processus dégénératif progressif et incurable, qui nécessitera de traiter le chien toute sa vie. 

Comme cela a été souligné plus haut, le risque que l’arthrose se développe avec l‘âge est important chez les animaux de compagnie. Une étude faite dans une cohorte de labradors (n = 48) a montré que la prévalence de l‘arthrose était de 15 % à l’âge de 2 ans, mais qu‘elle passait à 67 % à 14 ans 17. D‘autres études indiquent également que la prévalence de l’arthrose augmente avec l‘âge ; l’une d’elles a révélé que jusqu‘à 80 % des chiens âgés de plus de 8 ans en sont atteints 5, tandis qu‘une autre (sur une petite cohorte de 48 chiens) a indiqué que 91 % des chiens présentaient des changements histopathologiques compatibles avec l‘arthrose de l‘épaule à la fin de leur vie 18

Chez le chien, l’arthrose touche fréquemment le squelette appendiculaire (hanche, grasset, jarret, épaule et coude) et les facteurs de risque de l‘arthrose sont bien documentés, comme cela a été vu plus haut. La littérature montre que l‘arthrose peut se développer à tout âge et qu‘elle peut aussi bien être due à une cause indéterminée (arthrose primaire) qu’à une cause sous-jacente spécifique (arthrose secondaire) 5. L’arthrose peut ainsi se développer après une rupture du ligament croisé ou une lésion des ménisques (exemples : à la suite d‘une glissade sur la glace ou de la pratique répétée d’un sport tel que l‘agility). Des études longitudinales ont par ailleurs montré que l‘apparition de l‘arthrose pouvait non seulement être retardée, mais aussi évitée, lorsque la consommation énergétique des chiens était limitée 17,18. Une intervention alimentaire précoce (dans ce cas, une réduction de 25 % de l‘apport calorique global) peut donc être bénéfique pour la qualité de vie liée à la santé (QVLS), qui englobe le bien-être physique, psychologique (mental, émotionnel) et social du chien arthrosique (Figure 3).  

Bien que le risque d’arthrose soit en effet plus élevé chez un chien âgé, les propriétaires ne sont généralement pas proactifs après l‘apparition des premiers signes, si bien que les interventions relatives au mode de vie de l‘animal arrivent trop tard. En pratique, les mesures préventives consistent à instaurer une surveillance accrue de la part du propriétaire, des visites plus régulières chez le vétérinaire avec des examens approfondis, une adaptation du régime alimentaire et de l‘activité physique, ainsi que des modifications spécifiques de l‘environnement 15. Les études longitudinales (comme celles menées sur les patients humains douloureux) sont essentielles pour prévoir si l’arthrose évoluera lentement ou rapidement chez un chien, et pour prédire l‘apparition d‘une douleur persistante et délétère 19. Elles devraient permettre de limiter les risques de sensibilisation centrale, de préserver la QVLS de l‘animal et d’entretenir le lien entre l‘Homme et l‘animal. L‘un des problèmes réside toutefois dans les limites des méthodes de détection. Malgré leur manque de sensibilité, la radiographie et l‘examen clinique restent les références en matière de diagnostic. Elles ne permettent cependant pas de repérer l‘âge auquel l‘arthrose apparaît, ni d’évaluer les bénéfices d‘une intervention précoce 20

Infographie pour comprendre la douleur liée à l’arthrose

Figure 2. Le cercle vicieux de la douleur dans l‘arthrose : la mobilité réduite aggrave la faiblesse musculaire et ligamentaire, ce qui encourage encore plus l’immobilisation et favorise l‘atrophie musculaire, entretenant ainsi la douleur.
© Dr Éric Troncy et Aliénor Delsart

Quels sont les signes de l’arthrose ?

« La raideur, la boiterie et la douleur sont les principaux signes de l‘arthrose. La raideur et la boiterie sont particulièrement évidentes après une période de repos, surtout si le chien a été actif auparavant. La raideur disparaît souvent au bout de quelques minutes. La douleur articulaire associée à l‘arthrose peut se manifester de différentes manières : notamment par des gémissements, des perturbations du sommeil et des changements de comportement (incluant l‘agressivité). La réticence à grimper, à sauter et à faire de l‘exercice est un signe important. » 

Est-ce bien le cas ? Qu‘est-ce qui fait penser à un propriétaire que son animal souffre d’arthrose et qui le pousse à consulter ? Comment la détection de l‘arthrose pourrait-elle être améliorée ?

Boiterie et raideur sont des altérations orthopédiques fréquentes chez les chiens atteints. Lorsqu‘elles sont présentes, elles sont facilement identifiées chez les chiens de format moyen à grand. Propriétaires (et vétérinaires) observent des anomalies de la motricité lors des activités quotidiennes, en particulier chez les jeunes chiens adultes 21. Dans les premiers temps, ces changements sont généralement subtils, intermittents et insidieux, mais ils deviennent permanents dans les stades plus avancés 22. Une observation très attentive permet de repérer des attitudes posturales protectrices (flexion des membres ou du bassin, report de poids d’un côté) et des allures anormales (vitesse, raideur des membres, amplitude des foulées). Avec le temps, l‘arthrose devient plus facile à identifier car le chien hésite ou refuse de faire certaines choses comme courir, monter sur une chaise ou dans une voiture, grimper ou descendre les escaliers… Moins de battements de queue et un port d’oreilles bas peuvent également signaler la présence d’une douleur chronique chez le chien 21. Il peut aussi présenter divers troubles psychologiques, comme une dépression émotionnelle (Figure 3), un état anxieux (pouvant être soit aigu, soit se manifester par des réactions excessives, une tendance à protéger une partie du corps de manière agressive, des comportements d’automutilation tels que le léchage excessif ou le mordillement de la queue), ou un temps de sommeil prolongé. Ces troubles sont souvent responsables des modifications sociales : le chien devient moins sociable, il joue moins (avec son propriétaire ou avec d‘autres chiens), ou il tarde à accueillir son propriétaire à la porte 23. Une étude menée auprès de 23 propriétaires de chiens a montré que les signes d’arthrose les plus évidents étaient la mobilité réduite après l‘exercice et la lenteur à changer de posture le matin, ou après un moment de repos 22

Une étude qualitative récente 9, portant sur 10 propriétaires de chiens arthrosiques, note que les propriétaires adoptent la plupart du temps une attitude attentiste face aux premiers signes de la maladie, sauf dans les cas suivants : lorsque le chien exprime une douleur aiguë, lorsque le propriétaire estime avoir un lien fort avec son animal, qu’il est conscient des limites de ses connaissances ou qu’il a confiance en son vétérinaire. 

En résumé, l‘arthrose canine est une maladie dégénérative chronique qui est sous-détectée et sous-diagnostiquée 15. La façon dont les propriétaires de chiens reconnaissent ses premières manifestations est encore mal connue 9. Étant donné que l‘arthrose a des conséquences directes sur la façon dont les propriétaires et les chiens interagissent, il serait intéressant d‘étudier les activités quotidiennes qu‘ils effectuent ensemble et qui peuvent être modifiées par l‘arthrose. Cela pourrait aider à identifier le(s) point(s) qui font que les propriétaires remarquent la douleur de leur chien, et qui les motivent à consulter un vétérinaire. 

Infographie sur trois dimensions de la douleur dans l’arthrose

Figure 3. La trilogie de la douleur arthrosique : une seule lésion peut conduire à une hypersensibilité à la douleur fonctionnelle, que le chien finit par manifester sur les plans biologique, psychologique et social.
© Dr Éric Troncy et Dr Thierry Poitte/Volodymyr Plysiuk (aggressivité)/AMR (dépression)/Gollykim (escaliers)/Aladino Gonzalez (chien qui renifle)

Tous les chiens arthrosiques présentent-ils des douleurs et des boiteries ?

« Lorsque l‘arthrose se développe dans une articulation, elle est incurable et affectera l‘animal pour le reste de sa vie. Il existe généralement deux formes d‘arthrose : l‘arthrose chronique active, qui provoque douleur et boiterie, et l‘arthrose chronique silencieuse (asymptomatique), qui peut provoquer des raideurs passagères mais pas de douleur ni de boiterie. Un chien peut souffrir d’une forme silencieuse d‘arthrose pendant de longues périodes, tout en présentant occasionnellement des épisodes de la forme active. Celle-ci peut par exemple se développer à cause d’un exercice physique intense, sollicitant excessivement l‘articulation arthrosique. »

Est-ce vrai ? La douleur et la boiterie sont-elles systématiques dans l‘arthrose canine ?

Une articulation arthrosique se caractérise par une perte progressive et irréversible de l‘intégrité des tissus. C’est l‘ensemble de l‘articulation qui est alors soumis à une défaillance chronique 5. Des études prospectives à long terme sur l‘arthrose spontanée sont cependant nécessaires pour mieux comprendre les relations complexes qui existent entre les changements structurels de l‘articulation et la déficience fonctionnelle associée à la sensibilisation nociceptive (Figure 2). La vitesse à laquelle les lésions d’arthrose évoluent et la façon dont elles se développent au cours du temps dans les articulations du chien sont encore mal connues. Ces incertitudes sont exacerbées par l‘étiopathogénie complexe de la maladie et par les différents facteurs en cause : le type d‘articulation concernée, la (sur)mobilisation de l‘articulation et une multitude de facteurs tissulaires intrinsèques. Comme pour d‘autres maladies, il est très important de détecter l’arthrose précocement pour aider le propriétaire et l‘animal à mieux faire face au problème. Les liens entre les signes cliniques reconnaissables de l‘arthrose (principalement la douleur et la boiterie) et l’étendue des changements structurels au sein de l‘articulation ne sont pas non plus bien connus 20. Apparaissent-ils dès que des changements moléculaires se manifestent ou lorsque la dégradation articulaire est évidente ? Sont-ils liés à la sensibilisation ? En outre, nous ne savons pas dans quelle mesure les lésions révélées par l‘imagerie reflètent l‘intensité des signes cliniques. En d‘autres termes, les changements radiographiques sont-ils corrélés au déficit fonctionnel ? Nos connaissances resteront lacunaires tant que nous ne disposerons pas de méthodes sensibles pour détecter les signes de douleur, la gêne articulaire et les modifications de la qualité de vie. La situation est rendue encore plus confuse du fait qu‘aucun système d‘évaluation de l’arthrose par imagerie n‘a encore été validé pour servir de repère standard à la nécessité de soigner l’arthrose. 

Certains vétérinaires affirment que les signes cliniques de l‘arthrose évoluent en dents de scie. Le fait que les chiens arthrosiques puissent avoir « de bons et de mauvais jours » semble cependant simpliste et cette hypothèse devrait être envisagée prudemment. En l‘absence de preuves solides provenant d‘études prospectives sur l‘arthrose spontanée (et d‘une méthode sensible d‘évaluation de l‘expression de la douleur et de la gêne articulaire), l‘ambiguïté demeure : une amélioration/aggravation des signes cliniques est-elle réelle ou est-elle due à la variation inhérente à la mesure ? Pour les cliniciens, ce doute nuit à l’évaluation objective de l‘efficacité thérapeutique, car elle pourrait faire partie de l‘évolution naturelle de la maladie.

Éric Troncy

Faire des radiographies en routine chez les chiens d’âge mûr pourrait et devrait être un moyen de mieux dépister l‘arthrose, tout en servant de référence pour le suivi de la progression éventuelle de cette affection.

Éric Troncy

Quelle est la meilleure technique diagnostique ?

« Les articulations arthrosiques sont souvent épaissies, l’amplitude de mouvement est restreinte, et la musculature du membre affecté est invariablement atrophiée. La détection d’une douleur à la manipulation d’une articulation arthrosique est un critère important pour faire la différence entre la forme active et la forme silencieuse de la maladie. La radiographie est la technique la plus utilisée pour diagnostiquer l‘arthrose et exclure d‘autres causes possibles de douleur articulaire et de boiterie. La radiographie montre généralement la présence d‘un épanchement (augmentation du liquide synovial dans l‘articulation), d‘une fibrose (augmentation du volume de la capsule et de la synovie) et des formations osseuses anormales (ostéophytes, sclérose) autour de l‘articulation. » 

Est-ce vrai ? La détection d’une douleur lors de la manipulation est-elle fiable et comment devons-nous utiliser la radiographie ?

La douleur, la crépitation, l‘épanchement articulaire, l‘épaississement de l’articulation et l‘amplitude anormale des mouvements sont tous des signes distinctifs de l‘arthrose canine 15 qui peuvent être utiles pour estimer la gravité de l‘affection. Cependant, dans une étude qualitative menée auprès de 26 vétérinaires généralistes, tous les participants ont estimé que leur évaluation était subjective et présentait une grande variabilité entre les praticiens 9. La plupart des participants ont eu du mal à décrire la façon dont ils intégraient ces éléments dans leur décision finale, et certains ont contesté leur pertinence. L’examen orthopédique visant à détecter la présence d‘arthrose chez un chien reste d’ailleurs un défi. Dans une clinique, il est en effet difficile d’observer l‘animal marcher (analyse de l’allure), en position debout (posture), tout en évaluant sa capacité à changer de position et la façon dont il récupère après une activité physique intense. Ces informations cruciales doivent être fournies par le propriétaire et, bien que cela prenne du temps, une anamnèse complète et précise sera très utile, en insistant particulièrement sur les facteurs de risque décrits précédemment. La plupart des cliniciens font le diagnostic de l‘arthrose après avoir identifié un problème de conformation de l‘articulation, une laxité articulaire, une réduction de l‘amplitude des mouvements, une atrophie musculaire, un épanchement, une douleur et une crépitation mais, dans la plupart des cas, la suspicion devra être confirmée par des radiographies. 

La radiographie constitue l’examen de référence pour le diagnostic clinique de l‘arthrose, mais elle n‘est pas assez sensible pour détecter les stades précoces 20. Un mauvais positionnement ou un contraste insuffisant peuvent aussi nuire à l‘interprétation des clichés. Il existe enfin peu de corrélation entre les signes radiographiques, la mobilité du membre 12,24 et l‘évaluation de la douleur 25. Dans l‘étude qualitative précédemment citée 9, la radiographie n’était utilisée que dans certains cas : généralement chez les jeunes chiens présentant une boiterie aiguë ou chez les chiens âgés présentant une douleur et une aggravation rapide de l’affection. Les cliniciens ont admis s‘appuyer sur les informations fournies par le propriétaire et sur l‘examen clinique pour établir le diagnostic. Ils justifiaient ce choix en invoquant le manque de temps pour les consultations, et déclaraient que la radiographie ne changerait pas leur opinion finale. 

Le fait d’être assuré est également un « facteur de risque » important pour le diagnostic de l‘arthrose : ce dernier est deux fois plus probable chez les chiens assurés que chez les individus non assurés 4. L’augmentation du taux de diagnostic est en grande partie explicable par les dépenses inhérentes aux examens d‘imagerie nécessaires pour confirmer l‘arthrose, ainsi qu’au coût prévisionnel du traitement à long terme de cette affection. En conséquence, il est probable que les propriétaires non-assurés (soit la plupart d’entre eux) ne bénéficient généralement ni d’un diagnostic de certitude, ni d’un suivi post-diagnostic, ni d’un traitement ou de recommandations spécifiques pour gérer les chiens atteints. Le bien-être des chiens concernés pourrait donc être compromis 4

Les radiographies sont généralement assez sensibles pour permettre d’identifier certaines modifications structurelles liées à l‘arthrose et elles restent prioritaires lors du diagnostic d‘un problème articulaire 10,20, d’autant plus que ces examens sont abordables, facilement disponibles et sûrs. Étant donné que les éleveurs utilisent le dépistage radiographique comme une aide décisionnelle dans les programmes de reproduction, ne devrions-nous pas envisager de faire systématiquement des radiographies chez les chiens d’âge mûr pour informer les propriétaires à propos de la santé articulaire de leurs chiens ? Au lieu d‘être utilisées principalement pour confirmer une suspicion d’arthrose, les radiographies de routine à ce stade de la vie pourraient devenir un moyen de dépistage de l‘arthrose, et servir de référence pour surveiller l‘évolution potentielle de l‘affection. Même si ces examens ont un coût, ils ne doivent pas être considérés comme inutiles, en raison de la forte prévalence des signes radiographiques d‘arthrose chez les chiens adultes et de la difficulté à repérer les signes cliniques de l‘affection 5. En l‘absence de signes cliniques d‘arthrose, cette approche pourrait inciter le propriétaire à prendre des mesures préventives proactives, au lieu de réagir uniquement lorsque la douleur et la boiterie deviennent évidentes, ainsi que d‘autres altérations biologiques, psychologiques ou sociales dramatiques.

Conclusion 

La profession vétérinaire se doit d’adopter une approche proactive de l‘arthrose pour lutter contre l’idée fausse selon laquelle l‘arthrose est une conséquence normale du vieillissement. Lorsque l’arthrose est détectée précocement, grâce à des examens radiographiques et la mise en évidence des déficiences fonctionnelles du chien, il est possible de mieux agir pour limiter le développement d‘autres signes cliniques. La réalisation d’examens d’imagerie en routine chez les chiens d‘âge moyen permettrait aux cliniciens de disposer d‘une base concrète pour parler de l‘arthrose et de son traitement avec le propriétaire, tout en l’aidant à mieux comprendre ce qu‘il est possible de faire pour l’animal. En contrepartie, cela soulage le propriétaire et améliore la relation entre le vétérinaire et son client.

 

Remerciements : Cet article, rédigé par l‘équipe du GREPAQ, résume une expérience de 30 ans dans le domaine de l‘arthrose. Les auteurs sont (dans l‘ordre) les étudiants diplômés : Aliénor Delsart, Laurie Martin et Marilyn Frezier, toutes trois doctorantes, et des experts du domaine : Colombe Otis (PhD) ; Maxim Moreau (PhD), Aude Castel (DEV, MSc, Dip. ACVIM-neurologie), Bertrand Lussier (DMV, MSc, Dip. ACVS) et Éric Troncy, (DEV, MSc, PhD, DUn-pharmacologie). 

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Éric Troncy

Éric Troncy

Éric Troncy est professeur et dirige actuellement le groupe de recherche GREPAQ à l‘Université-de-Montréal En savoir plus

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