La protéinurie rénale féline
La protéinurie est fréquemment observée lors d’une analyse d’urine...
Numéro du magazine 30.1 Autre scientifique
Publié 11/06/2020
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La protéinurie secondaire à l’hypertriglycéridémie primaire est un trouble métabolique fréquent mais sous-diagnostiqué chez le schnauzer nain ; Eva Furrow décrit ici la procédure diagnostique et les options thérapeutiques.
L’hypertriglycéridémie primaire est courante chez le schnauzer nain ; elle s’accompagne de protéinurie, de thrombo-embolie lipidique glomérulaire et d’autres affections glomérulaires.
Les chiens atteints ne présentent généralement pas d’azotémie ou d’hypoalbuminémie ; si ces anomalies sont présentes, il faut rechercher d’autres causes de maladie glomérulaire.
L’hyperadrénocorticisme fait partie du diagnostic différentiel de la protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie ; cette hypothèse doit être écartée en présence de signes cliniques ou d’anomalies à l’examen clinique.
Le traitement passe par la restriction des matières grasses alimentaires et éventuellement par des médicaments hypolipidémiants ; la protéinurie sera traitée par des inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone.
L’hypertriglycéridémie primaire, également connue sous le nom d’hypertriglycéridémie idiopathique familiale, est une affection fréquente mais sous-diagnostiquée chez le schnauzer nain. L’expression de ce trouble métabolique dépend de l’âge : la prévalence passe de 15 % chez les schnauzers nains avant 3 ans à plus de 75 % chez les chiens de plus de 9 ans 1.
L’hypertriglycéridémie est généralement associée à un risque accru de pancréatite, de mucocèles biliaires et d’élévation des enzymes hépatiques 2 3 4 ; plus récemment, on a également constaté chez le schnauzer nain que l’hypertriglycéridémie pouvait s’accompagner de protéinurie et de pathologie glomérulaire 5 6 7.
Une protéinurie est constatée chez environ 50 % des schnauzers nains présentant une hypertriglycéridémie primaire, et une corrélation fortement positive est observée entre les concentrations sériques de triglycérides à jeun et le ratio protéines urinaires sur créatinine urinaire (RPCU) dans cette race 5 6. De plus, les biopsies rénales de schnauzers nains protéinuriques présentant une hypertriglycéridémie montrent des thrombo-embolies lipidiques (Figure 1a) (Figure 1b) (Figure 1c) (Figure 1d) 7. Ces résultats suggèrent que l’hypertriglycéridémie serait la cause plutôt que la conséquence de la maladie glomérulaire. Cet article présente les caractéristiques et les conséquences de la protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie chez le schnauzer nain, et fournit des informations sur la manière de diagnostiquer et de gérer cette affection.
La présentation clinique de la protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie est décrite dans le (Tableau 1). Comme mentionné précédemment, cette affection est plus fréquente chez les schnauzers nains senior et matures 5. Mâles et femelles sont affectés à une fréquence similaire ; aucune prédisposition sexuelle n’a été signalée. Sauf en cas de comorbidités, les chiens affectés ne présentent aucun signe clinique 5 6 ; par exemple, une polyurie ou une polydipsie n’ont pas été signalées. Aucune particularité à l’examen physique n’est non plus spécifiquement associée à l’affection, bien qu’une hypertriglycéridémie puisse entraîner un dépôt oculaire de lipides 8. Ainsi, la protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie est souvent détectée de façon fortuite, lorsqu’une analyse d’urine est effectuée dans le cadre d’un bilan de santé de routine ou lors de comorbidité.
Données associées à la pathologie | Données NON associées à la pathologie | |
Analyse d’urine |
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RPCU |
- des concentrations de triglycérides à jeun de 100 à 400 mg/dL (1,1 à 4,5 mmol/L) sont associées à une protéinurie légère, RPCU < 2 - Des concentrations de triglycérides à jeun > 400 mg/dL (> 4,5 mmol/L) sont associées à une protéinurie d’origine glomérulaire, RPCU > 2 |
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Biochimie sérique |
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Hémogramme |
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Tableau 1. Caractéristiques clinico-pathologiques d’une protéinurie associée à une hypertriglyceridémie chez le schnauzer nain.
* La protéinurie par bandelette n’est pas un indicateur fiable pour le RCPU ; même des traces de protéinurie suggèrent un état pathologique lorsqu’elles sont présentes dans l’urine diluée ( 10 ).
Les résultats de laboratoire observés lors de protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie sont aussi présentés dans le (Tableau 1). L’importance de la protéinurie est fortement corrélée aux concentrations sériques de triglycérides à jeun 5 6. Une protéinurie s’observe chez 25 à 41 % des schnauzers nains présentant une hypertriglycéridémie légère (100 à 400 mg/dL, 1,1 à 4,5 mmol/L), et le degré d’élévation du RPCU est généralement modéré (soit < 2). En revanche, la protéinurie se manifeste chez 85 à 88 % des schnauzers nains présentant une hypertriglycéridémie modérée ou grave (> 400 mg/dL, > 4,5 mmol/L) ; le RPCU est alors supérieur à 2 chez la plupart des chiens, les valeurs dépassant parfois 5. La densité urinaire (DU) est variable et semblable à celle des schnauzers nains d’âge comparable, sans protéinurie associée à une hypertriglycéridémie. Le sédiment urinaire est inactif à l’examen.
La protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie ne s’accompagne pas d’hypo-albuminémie ou d’azotémie 6. Il est important de noter que la concentration de la créatinine sérique varie selon les races ; la médiane chez le schnauzer nain en bonne santé est inférieure à 1,0 mg/dL (< 88 μmol/L) 6 9.
L’hypercholestérolémie est rare chez le schnauzer nain présentant une hypertriglycéridémie primaire légère mais elle est fréquente chez ceux qui présentent une hypertriglycéridémie modérée à sévère ; elle touche environ 40 % des chiens dont le taux de triglycérides sériques dépasse 400 mg/dL (> 4,5 mmol/L) 1. L’hypertriglycéridémie modérée à grave est également associée à des élévations des enzymes hépatiques : 60 % des schnauzers nains dont le taux de triglycérides sériques dépasse 400 mg/dL (> 4,5 mmol/L) présentent une élévation des phosphatases alcalines et d’au moins une autre enzyme 4. Ceci serait dû à une accumulation de lipides hépatiques. Aucune anomalie hématologique ne paraît liée à la protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie mais une légère thrombocytose (numération plaquettaire de 400-500 x 103/μL) est fréquente chez les schnauzers nains âgés 6.
La présence conjointe d’hypertriglycéridémie et de protéinurie chez un schnauzer nain permet de suspecter une protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie, mais elle ne suffit pas pour confirmer le diagnostic ; d’autres causes de ces anomalies doivent d’abord être écartées. Une approche diagnostique simple est présentée dans le (Tableau 2). Un profil biochimique du sérum (Figure 2) et une analyse d’urine sont essentiels pour exclure les causes pré- et post-rénales de la protéinurie et pour détecter des anomalies (par exemple : hypoalbuminémie, azotémie) pouvant indiquer la présence d’une forme plus grave de maladie glomérulaire 11 12. Il est également important de savoir que certains médicaments sont associés à l’hyperlipidémie (corticostéroïdes et phénobarbital, par exemple), et que des troubles métaboliques peuvent être responsables d’une hyperlipidémie secondaire 13. Le diabète sucré, l’hyperadrénocorticisme et l’hypothyroïdie sont en effet des affections pouvant être associées à une protéinurie 14 15 16.
Étape 1. Évaluer les causes pré- et post-rénales de la protéinurie (11)
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Étape 2. Évaluer les signes d’autres formes de maladie glomérulaire plus grave (12)
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Étape 3. Envisager d’autres causes d’hyperlipidémie (17)
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*Note: Les chiens atteints d’hyperadrénocorticisme (spontané ou iatrogène) et d’hypertriglycéridémie primaire peuvent présenter des troubles clinico-pathologiques identiques (hyperlipidémie, élévation des phosphatases alcalines et d’autres enzymes hépatiques, protéinurie). Une anamnèse et un examen approfondis sont importants pour différencier ces affections.
L’hyperadrénocorticisme peut être particulièrement difficile à différencier de l’hypertriglycéridémie primaire car des profils similaires d’élévation des enzymes hépatiques apparaissent avec les deux affections. Si des signes cliniques (par exemple : polyurie, polydipsie, polyphagie) et des anomalies à l’examen clinique (par exemple : alopécie, distension abdominale, hyperpigmentation) compatibles avec l’hyperadrénocorticisme sont présents, il est recommandé de faire un test de suppression à la dexaméthasone à faible dose, pour dépister un éventuel hyperadrénocorticisme 17. Si ces signes sont absents, le ratio cortisol/créatinine urinaire peut être utilisé pour tenter d’exclure l’hyperadrénocorticisme. Obésité, pancréatite et cholestase sont également associées à une légère hypertriglycéridémie chez le chien 13 18.
Au final, la protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie est un diagnostic d’exclusion. La dernière étape du processus diagnostique consiste à réaliser une biopsie rénale et à examiner des coupes minces et spécialement colorées au microscope à transmission électronique (Figure 1a) (Figure 1b) (Figure 1c) (Figure 1d) 7. Des thrombo-embolies lipidiques glomérulaires, avec ou sans glomérulosclérose segmentaire focale, sont caractéristiques des lésions induites par les lipides. Si aucun dépôt lipidique n’est présent, ou si d’autres types de lésions sont détectés, l’origine de la protéinurie du chien doit être cherchée ailleurs. Il est important de noter que lorsqu’une biopsie rénale est réalisée chez un schnauzer nain à cause d’une protéinurie, une glomérulonéphrite à médiation immunitaire complexe est identifiée dans un cas sur 5 7 et un traitement immunosuppresseur est alors indiqué 19. Avant de procéder à une biopsie rénale chez un chien présentant une protéinurie présumée associée à une hypertriglycéridémie, il faut cependant évaluer la balance bénéfices/risques, telle que le risque de complications liées à la biopsie, par exemple une hémorragie grave 20.
Aucune étude n’a étudié le traitement optimal pour les schnauzers nains présentant une protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie. Toutefois, selon les données obtenues chez l’Homme et les rongeurs, la prise en charge de l’hypertriglycéridémie est importante. Un traitement diététique devrait d’abord être mis en place : il est conseillé de distribuer un aliment à faible teneur en matières grasses (< 25 grammes de matières grasses par 1 000 kcal) 13. Une restriction des protéines alimentaires est recommandée pour les chiens atteints de maladie glomérulaire 21 mais on ignore si cela est bénéfique pour les chiens atteints de protéinurie associée à l’hyperlipidémie. Si la concentration sérique de triglycérides à jeun reste élevée après deux mois d’alimentation exclusive avec ce type de régime, un fibrate sera administré. Cela est particulièrement important si la concentration sérique de triglycérides est > 400 mg/dL (> 4,5 mmol/L) car les risques de protéinurie et de pancréatite sont particulièrement élevés à ce niveau d’hypertriglycéridémie 2 5 6. Le bézafibrate est efficace pour normaliser les concentrations de triglycérides chez les chiens dans les 30 jours suivant le traitement 22 ; la dose recommandée est de 50 mg PO q24h pour les chiens pesant moins de 12 kg, 100 mg entre 12,1 et 25 kg et 200 mg au-dessus de 25 kg. Le bézafibrate est commercialisé en comprimés de 200 mg à libération prolongée. Il doit être fractionné pour les chiens pesant moins de 25 kg mais il demeure efficace pour traiter l’hypertriglycéridémie chez ces animaux. Si le bézafibrate n’est pas disponible, le fénofibrate à 2-4 mg/kg q24h 23 ou le clinofibrate à 10 mg/kg q12h 24 sont d’autres options possibles. Chez l’Homme, myopathie et hépatotoxicité sont les principaux effets secondaires des fibrates mais ces effets n’ont pas encore été signalés chez les chiens aux doses conseillées ci-dessus. Les autres médicaments proposés pour l’hyperlipidémie canine sont les acides gras oméga 3 et la niacine, mais les preuves de leur efficacité font défaut 13.
Eva Furrow
Le traitement de la protéinurie par un inhibiteur du système rénine-angiotensine-aldostérone est recommandé chez les chiens dont le RCPU est constamment > 0,5 21. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine tels que l’énalapril ou le bénazépril peuvent par exemple être utilisés (tous deux administrés à 0,5 mg/kg q24h), ainsi que les inhibiteurs des récepteurs de l’angiotensine tels que le telmisartan (1 mg/kg une fois par jour). Le RCPU, la créatinine sérique, le potassium sérique et la tension artérielle doivent être contrôlés 1 à 2 semaines après le début de l’administration de ces médicaments 21. Des agents antithrombotiques sont également généralement recommandés pour les chiens atteints de maladie glomérulaire protéinurique, mais une tendance prothrombotique n’a pas été identifiée dans une étude réalisée chez un faible nombre de schnauzers nains avec protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie 6. Étant donné le manque de données disponibles, la décision de prescrire un agent antithrombotique reste à la discrétion du clinicien. Un traitement antihypertenseur doit être administré aux chiens présentant une hypertension persistante (> 150 mmHg), conformément aux recommandations consensuelles de prise en charge de la maladie glomérulaire (Figure 3) 21.
Les données longitudinales sur les schnauzers nains présentant une protéinurie associée à une hypertriglycéridémie se limitent à une étude faite sur 8 chiens atteints, pendant une période médiane de 18 mois (3 à 31 mois) 6. Pendant cette période, aucun signe d’évolution de l’insuffisance rénale n’est apparu et aucun décès n’a été attribué à la protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie. Les chiens présentant une protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie ne présentent pas non plus de signes de lésions cardiaques ou d’hypercoagulabilité, comme en témoigne l’activité de l’antithrombine III 6.
L’hypertriglycéridémie primaire prévaut surtout chez les schnauzers nains d’âge moyen et avancé ; elle est souvent associée à une protéinurie d’origine glomérulaire. Il est prouvé que la protéinurie est une conséquence d’une lésion glomérulaire induite par les lipides, et des emboles lipidiques glomérulaires ont été détectés dans les biopsies rénales pratiquées chez des schnauzers nains protéinuriques et hypertriglycéridémiques. La maladie est subclinique et il n’a pas été signalé de conséquences graves de la maladie glomérulaire (hypoalbuminémie, azotémie ou maladie thrombo-embolique). Lorsque l’hypertriglycéridémie et la protéinurie sont détectées simultanément dans cette race, d’autres causes possibles, telles que l’hyperadrénocorticisme, doivent être écartées avant de confirmer le diagnostic présumé de protéinurie associée à l’hypertriglycéridémie. Le traitement consiste à prendre en charge l’hypertriglycéridémie en adaptant le régime alimentaire et en administrant des fibrates si besoin est. L’inhibition du système rénine-angiotensine-aldostérone est également recommandée pour réduire la protéinurie. Selon des données limitées, le pronostic est excellent mais si une hypoalbuminémie, une azotémie ou une isosthénie persistante apparaissent, il faut étudier d’autres processus pathologiques sous-jacents.
Eva Furrow
Le Dr Furrow est diplômée de l'Université de Pennsylvanie et, après avoir complété son doctorat par un internat en médecine des petits animaux En savoir plus
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