Covid-19 : la réponse télémédecine

L'auteure exprime ses remerciements à Philippe Baralon, Antje Blättner et Pere Mercader pour leur contribution à cet article.

Introduction

Les téléconsultations ont très vite fait « la Une » de la profession vétérinaire ces dernières semaines, en raison de l'épidémie de coronavirus. Bien que son taux d'utilisation varie considérablement d'un pays à l'autre (le Royaume-Uni a par exemple adopté la technologie plus rapidement que d’autres pays européens (Figure 1)), de nombreuses cliniques avaient déjà commencé sérieusement à envisager d'utiliser cette solution avant la pandémie. La législation et la règlementation des téléconsultations diffèrent toutefois beaucoup entre les pays. La télémédecine est interdite dans certains pays ; en France par exemple, l’Ordre des vétérinaires fait pression sur le gouvernement* pour qu'il crée une législation d'urgence permettant les téléconsultations pendant l'épidémie de coronavirus. Au Royaume-Uni, les restrictions des droits du vétérinaire à prescrire à distance ont été assouplies par l'organe directeur, le Royal College of Veterinary Surgeons** : celui-ci a déclaré que « la prescription à distance de médicaments sur ordonnance devrait être autorisée lorsqu'elle est appropriée ».

*https://www.veterinaire.fr/la-profession/boite-a-outils-covid-19/les-communiques-de-lordre.html

**https://www.rcvs.org.uk/setting-standards/advice-and-guidance/coronavirus-covid-19/

Pourquoi la télémédecine ?

Réaliser des téléconsultations pendant la pandémie COVID-19 grâce à une plateforme vidéo qui peut également enregistrer des paiements permet à un cabinet vétérinaire de continuer à générer un revenu pendant la période de confinement, alors que seuls les déplacements essentiels sont autorisés. Cela peut également améliorer beaucoup le bien-être des animaux et rassurer les propriétaires pendant l'épidémie. Il est important de noter que les téléconsultations permettent aussi au personnel vétérinaire vulnérable, à qui l’on conseille de s'isoler, de continuer à travailler à domicile. Quant aux propriétaires qui ne peuvent pas quitter leur maison pour une raison quelconque, ils peuvent ainsi avoir accès à des conseils et des soins vétérinaires.

Les téléconsultations permettent aux vétérinaires de minimiser les contacts sociaux ; les interactions en face à face peuvent être largement remplacées par la vidéo, les paiements peuvent être collectés par la plateforme de consultation et, si la téléconsultation indique que l’animal doit être transféré du propriétaire au vétérinaire, cela peut aisément avoir lieu en respectant les recommandations de distanciation sociale. Lors du transfert, l’animal ne représente qu’un risque de transmission passive du virus, comme pour d’autres surfaces ou lors de la réception d'un colis. Bien que quelques cas d'infection d'animaux par le COVID-19 aient été signalés, ce sont jusqu’ici des cas isolés et l'Organisation mondiale de la santé (OMS)* considère actuellement qu'il n'existe aucune preuve qu'un chien ou un chat puisse transmettre la maladie à l’Homme.

*https://www.who.int/news-room/q-a-detail/q-a-coronaviruses

Par rapport à une consultation téléphonique, la télémédecine offre plusieurs avantages. La communication est plus efficace car le propriétaire voit le vétérinaire, ses expressions faciales et son langage corporel. Plus important, le clinicien peut observer l'animal se comporter normalement à son domicile. Lors de l’appel vidéo, le vétérinaire guidera le propriétaire de manière à obtenir des images lui permettant de voir l’animal le mieux possible, en changeant l'angle de la caméra, en améliorant l'éclairage ou en se concentrant sur une partie de l'animal à examiner en particulier. Cette interaction en temps réel est plus productive qu'une conversation téléphonique, même lorsqu’il a été demandé aux propriétaires d'envoyer des vidéos ou des photos de leurs animaux avant l’appel.

Quand utiliser la télémédecine ?

Les vétérinaires du monde entier doivent décider rapidement quelle est la meilleure façon d'intégrer la télémédecine à leur pratique pendant la pandémie du COVID-19, quelle application utiliser et comment mener au mieux les consultations. Le contexte de la santé humaine, de la santé publique et du bien-être des animaux rend la téléconsultation très utile ; il est conseillé de la privilégier pour interagir avec les clients chaque fois que cela est possible. Les vétérinaires peuvent utiliser la vidéo pour divers types de consultations, notamment le triage, les examens de première intention, les contrôles avant renouvellement d’ordonnance, les soins infirmiers, les examens post-chirurgicaux et les consultations sur le comportement. Certaines cliniques vétérinaires recourent également aux téléconsultations pour permettre aux propriétaires d’animaux hospitalisés de voir leur animal pendant l’hospitalisation.

Choisir la plateforme

Il est possible d'utiliser des applications de messagerie non spécialisées telles que Zoom, WhatsApp ou Facetime pour les téléconsultations mais elles présentent plusieurs inconvénients. L’un d’eux, non négligeable, est le fait que le vétérinaire doive partager ses coordonnées avec son client qui peut alors tenter de le contacter via l’application à un moment inapproprié. De plus, le règlement doit forcément se faire par une procédure distincte, qui implique généralement de donner son numéro de carte de débit ou de crédit par téléphone. Un vétérinaire est habitué à se faire rémunérer lorsque l’animal est physiquement présent et il peut se sentir mal à l'aise pour faire payer son temps en l'absence d'un acte physique. Utiliser une plateforme qui facilite le paiement automatique par le client avant la téléconsultation peut donc permettre d’augmenter le nombre de consultations payantes par rapport aux consultations gratuites.

Parmi les autres avantages à utiliser une plateforme vétérinaire spécialisée, il faut citer la souplesse de la prise de rendez-vous en ligne, ainsi que la possibilité de proposer aux clients des consultations individuelles à une heure précise avec le vétérinaire de leur choix. Cela permet de prévoir différents prix pour différents types de consultation ou de ne pas facturer certaines consultations, telles que des contrôles post-opératoires. Certaines cliniques vétérinaires choisissent d'utiliser une approche combinée tandis que d'autres préfèrent fixer les rendez-vous uniquement lors d’interaction individuelle. Afin de minimiser les tensions et de rendre l'expérience du client aussi peu stressante que possible, il peut être judicieux de proposer un calendrier de rendez-vous en ligne mais, étant donné la rapidité d'introduction de ce service dans les cabinets vétérinaires, il est normal que certaines cliniques souhaitent contrôler autant que possible le processus. Il est important de noter que cet article ne recommande pas de plateformes spécifiques de téléconsultation car leur disponibilité varie d'un pays à l'autre.

Impliquer et former l’équipe

Il est évident que les diagnostics et les traitements vétérinaires rencontrent des limites importantes lors de téléconsultation. Réfléchir en équipe à tout ce qui peut et ne peut pas être diagnostiqué ou traité à distance en toute sécurité contribuera à renforcer la confiance dans la manière dont l'outil peut être utilisé. Il est utile de prévoir d’associer les téléconsultations aux visites physiques ultérieures qui seront nécessaires. Il est essentiel d'aider l'équipe à comprendre la valeur d'une téléconsultation, en termes de recueil de commémoratifs et de conseils initiaux, même si le client est ensuite averti à la fin de la téléconsultation qu'il devra amener son animal à la clinique. Il est également utile de connaître les différents facteurs qui garantissent le succès d'une téléconsultation, comme le montre l’(Encadré 1).

Présenter les consultations en vidéo aux clients

Une politique tarifaire pour les téléconsultations doit être établie avant de proposer le service. Pendant l'épidémie de COVID-19, quand une grande partie des activités quotidiennes du cabinet a lieu par téléconsultations, facturer normalement les consultations est commercialement logique. Le vétérinaire investit son temps comme d’habitude et, si le problème est entièrement résolu par vidéo, le résultat est aussi valable que d'habitude pour le propriétaire. Si le client doit par la suite amener son animal à la clinique, le prix peut être ajusté le cas échéant, en réalisant l'examen physique gratuitement ou à un coût réduit.

Informer les clients de la disponibilité des téléconsultations est une autre étape importante pour réussir à implanter la télémédecine. Si les clients ne savent pas que ce service existe pendant l'épidémie, beaucoup d'entre eux penseront sans doute que les soins vétérinaires ne sont pas disponibles, en particulier dans des pays comme le Royaume-Uni où les vétérinaires n'ont pas été identifiés par le gouvernement comme des « travailleurs essentiels ». Si les clients supposent que les soins vétérinaires ne sont pas possibles, cela peut avoir des conséquences négatives car ils essaieront sans doute de résoudre le problème eux-mêmes, en utilisant des forums ou des vidéos en ligne plutôt que de demander l'avis d'un expert.

Former le personnel d'accueil pour qu'il comprenne et se sente à l'aise avec le rôle des téléconsultations est une autre étape importante. Si une consultation à distance est proposée aux clients par tous les membres de l'équipe chaque fois que cela est approprié, le nombre de téléconsultations quotidiennes augmentera considérablement.

Une approche proactive est sans doute la meilleure option. Tout d’abord, un courriel sera envoyé à tous les clients *: c’est une étape incontournable pour promouvoir le service et leur demander de s'inscrire sur la plateforme de téléconsultation choisie par la clinique. Les réseaux sociaux seront aussi utilisés, en adoptant une approche au « goutte à goutte » et en affichant régulièrement des rappels ; ceux-ci peuvent être rendus plus attractifs en incluant des illustrations simples qui seront facilement réalisées à l'aide de services de graphisme en ligne tels que Canva**.

*si possible règlementairement dans votre pays
**www.canva.com‎

Des photos et des histoires de vétérinaires consultant en vidéo peuvent également servir de supports utiles pour promouvoir le service (Figure 2). Les publicités payantes sur les réseaux sociaux peuvent ici être parfois utiles pour s'assurer que les messages sont vus par le plus grand nombre de clients possible, en ciblant les personnes qui « aiment » déjà la page Facebook du cabinet. Un marketing ciblé peut également être utilisé pour s'assurer que les visiteurs du site de la clinique sont également touchés. Veillez à ce que le service soit présenté avec des liens clairs vers le site web de la clinique. Les blogs ou vlogs (blogs en vidéo) peuvent être utilisés pour illustrer les téléconsultations, avec des récits (anonymisés de manière appropriée) de cas traités avec succès par télémédecine. Au final, la diffusion de ces informations profitera à la fois à la clinique et au client, et permettra d'améliorer le bien-être des animaux.

Au-delà du COVID-19

Les attentes des clients évoluent rapidement. L'enquête semestrielle VetsDigital en donne un exemple intéressant : elle a analysé les attentes des propriétaires d'animaux de compagnie à propos du temps acceptable de réponse aux questions posées sur les réseaux sociaux au cours des cinq dernières années (Figure 3). Les clients s'attendent généralement à accéder instantanément aux services ; n'oubliez pas que nos clients sont des consommateurs dans d'autres domaines de leur vie et qu'ils sont habitués à obtenir facilement des produits et des services sans quitter leur domicile via Amazon Prime, Netflix et les divertissements à la demande. De même, ils s'habituent de plus en plus à téléconsulter leur médecin. Nous savons déjà qu’une visite à la clinique vétérinaire peut être difficile pour de nombreux propriétaires (Encadré 2). Comme les attentes des clients continuent à évoluer rapidement, les cliniques vétérinaires qui répondent à ces attentes se développeront, tandis que celles qui n’évoluent pas risquent d'être laissées pour compte.

Durant les 3-4 dernières années, ce changement des attentes des clients a favorisé l'émergence de diverses plateformes vidéo dans de nombreux pays, offrant des téléconsultations vétérinaires. Ces services sont devenus populaires auprès des propriétaires, d'autant plus qu'ils ont été adoptés par les compagnies d'assurance santé animale qui les offrent à leurs clients. Ces services ont le mérite d'ouvrir l'accès aux soins vétérinaires à ceux qui sinon, n'y auraient peut-être pas eu accès du tout. Cette tendance a cependant suscité l'inquiétude des cliniques vétérinaires locales qui voient certaines consultations « faciles » disparaître au profit de ces services en ligne. Une autre limite au service provient du fait que les téléconsultations qui ne sont pas faites par le vétérinaire habituel ne peuvent pas être aussi efficaces. Par exemple, au Royaume-Uni, il est actuellement interdit aux vétérinaires de fournir des médicaments sur ordonnance à un animal qu’ils ne soignent pas. Si la technologie de la téléconsultation devient disponible pour les vétérinaires installés, cet outil peut procurer des avantages bien plus importants pour l'animal. Dans de nombreux pays (incluant le Royaume-Uni), les vétérinaires peuvent prescrire des médicaments sur ordonnance si l'animal a été vu récemment. Ils peuvent également effectuer des consultations de suivi et des contrôles postopératoires qui seraient impossibles pour un vétérinaire tiers à distance. En outre, lorsqu'une clinique locale effectue un triage ou une première consultation par vidéo, elle recueille des commémoratifs qui seront utilisés si l'animal doit être présenté pour un examen physique, plutôt que de devoir les compiler à nouveau. La téléconsultation peut également servir à aider le propriétaire à savoir quand son animal devra être présenté pour un examen physique et pour lui donner des conseils utiles lors de la prochaine visite, comme par exemple apporter un échantillon d'urine de l’animal.

Bien que les propriétaires souhaitent avoir la possibilité de consulter un vétérinaire en vidéo, il semble également qu’un nombre bien plus important de propriétaires utiliseraient cette option s'ils pouvaient avoir affaire à leur vétérinaire habituel plutôt qu’à un clinicien inconnu ou à une société (Figure 4).

La pandémie du COVID-19 a accéléré l'introduction de la télémédecine dans les cabinets vétérinaires du monde entier. Bien menée, la téléconsultation peut contribuer à maintenir la viabilité financière d'une clinique, protéger la santé des clients et des professionnels, et apporter de grands bénéfices aux animaux de compagnie. Les vétérinaires doivent reconnaître la nécessité d'offrir un tel service et s'assurer qu'ils peuvent le proposer de manière professionnelle et attentionnée.