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Numéro du magazine 25.2 Autre scientifique

Comment j'aborde… La démodécie

Publié 21/12/2021

Ecrit par Stephen Waisglass

Aussi disponible en Deutsch , Italiano , Español et English

Le diagnostic et le traitement de la démodécie ont évolué depuis que la maladie a été décrite pour la première fois. Ces dernières années, de nouveaux acariens (nouvelle espèce ou nouvelle forme) ont été identifiés. 

Demodex can present as a severe erythroderma, earning it the title “red mange”.

Points clés

La démodécie peut être localisée ou généralisée, et apparaître chez le jeune ou chez l’adulte ; son tableau clinique est très variable. 


Les examens complémentaires classiques que sont le raclage cutané et le trichogramme sont toujours valables ; la technique de prélèvement est importante pour augmenter les chances d’identifier le parasite. 


Les recommandations thérapeutiques et le pronostic varient en fonction du tableau clinique, de l’espèce de Demodex en cause et des stades évolutifs observés. 


Introduction 

Le diagnostic et le traitement de la démodécie ont évolué depuis que la maladie a été décrite pour la première fois en 1842 1. En effet, une publication datant de 1979 2 indiquait : « La démodécie, notamment dans sa forme généralisée, pourrait être l’une des maladies les plus difficiles à traiter et elle répond souvent mal au traitement ». Au contraire, il est maintenant admis dans les manuels de dermatologie récents que « le pronostic de la démodécie généralisée s’est considérablement amélioré depuis le milieu des années 1990… Avec un traitement intensif, il est possible de guérir la majorité des cas, probablement près de 90 %, mais cela peut prendre un an » 3

Ces dernières années, de nouveaux acariens et de nouvelles formes d’acariens déjà connus ont été identifiés. Avant de pouvoir dire de quel acarien il s’agit, il faut d’abord le trouver, sans quoi vous diminuerez à coup sûr vos chances de réussite ! Il est donc crucial de savoir où chercher. Les recommandations thérapeutiques et le pronostic varient en fonction du tableau clinique, de l’espèce de Demodex en cause et des stades évolutifs observés. Comme pour n’importe quel traitement, les risques associés doivent être évalués. Certaines recommandations antérieures se sont révélées sans effet sur la rapidité de guérison de la maladie alors que des traitements adjuvants peuvent s’avérer utiles voire nécessaires, certains risquant toutefois d’entraîner des interactions médicamenteuses potentiellement mortelles. Cet article récapitule les différentes manifestations cliniques de la démodécie, et fait le point sur les examens complémentaires à effectuer, sur les options thérapeutiques à envisager ainsi que sur les pièges à éviter.

Tableau clinique 

Démodécie localisée versus démodécie généralisée 

Chez le chien comme chez le chat, la démodécie peut être localisée ou généralisée. Il est important de faire la différence entre les deux, car la plupart des cas de démodécie localisée ont un pronostic très favorable et guérissent spontanément sans traitement acaricide spécifique. Il n’existe aucune définition universellement acceptée permettant de différencier clairement les deux formes. La démodécie localisée est généralement définie par la présence de « 6 lésions au maximum ayant un diamètre inférieur à 2,5 cm » 3. La démodécie généralisée se traduit généralement par plus de 12 lésions ou l’atteinte de toute une partie du corps (tête et face, par exemple) 3. La pododémodécie entre dans la catégorie « généralisée » 3

Malheureusement, un certain nombre de cas sont intermédiaires entre ces deux catégories, et il serait utile d’avoir un test diagnostique qui permette de trancher.
Récemment, un article a montré que les protéines de la phase aiguë de l’inflammation étaient élevées uniquement chez les chiens souffrant de démodécie généralisée 4. Ces protéines avaient tendance à revenir à la normale après traitement. Le dosage de la protéine C-réactive et de l’haptoglobine pourraient aider à différencier formes généralisées et localisées, et permettre de suivre l’efficacité du traitement, le retour à des valeurs normales étant associé à une réponse positive. 

Démodécie du jeune versus démodécie de l’adulte

L’âge d’apparition est également important ; je définis la « forme juvénile » par une apparition des premiers signes cliniques avant l’âge de 12 mois chez les petites races, 18 mois chez les grandes races et 2 ans chez les races géantes. Toutefois, beaucoup de chiens pour lesquels le diagnostic est établi entre 2 et 4 ans souffrent de problèmes persistants depuis qu’ils sont chiots, et l’âge d’apparition de la maladie peut donc être difficile à déterminer. La démodécie de l’adulte (définie par une absence de problèmes cutanés avant l’âge de 4 ans) a un pronostic plus sombre.

Tableau clinique 

Il est important que le clinicien sache reconnaître une démodécie, mais cela n’est pas toujours évident car la présentation clinique est variable, par exemple : 

• Dermatite papulo-pustuleuse – devant être différenciée d’une pyodermite (Figure 1). 

• Aspect « mité » du pelage (macules ou plages alopéciques) – notamment chez les chiens à poil court, devant être différencié d’une pyodermite, d’une dermatophytose ou d’une anomalie des follicules pileux. 

• Dermatite érythémateuse – jadis appelée « gale rouge » (Figure 2). 

• Plages hyperpigmentées/comédons – la modification de la couleur de la peau (« bleuissement ») peut être un motif de consultation (Figure 3). 

• Squamosis – non spécifique et pouvant être observé dans toute dermatose squameuse ou infection (Figure 4). 

• Pododémodécie – la démodécie peut être particulièrement difficile à identifier dans cette présentation. 

Démodécie généralisée et pyodermite secondaire. Les comédons

Figure 1. Démodécie généralisée et pyodermite secondaire. Les comédons (une des nombreuses manifestations de la démodécie) sont remplis de Demodex. Noter aussi la pustule ; une folliculite bactérienne secondaire est fréquemment observée lors de démodécie. © Stephen Waisglass

 La démodécie peut se traduire par une érythrodermie

Figure 2. La démodécie peut se traduire par une érythrodermie, qui lui vaut son surnom de « gale rouge ». © Karri Beck BSc, DVM, Dip. ACVD

Comédons sur l’abdomen ; de nombreux Demodex canis ont été identifiés dans le produit sur les raclages cutanés effectués chez ce Schnauzer Géant de 2 ans

Figure 3. Comédons sur l’abdomen ; de nombreux Demodex canis ont été identifiés dans le produit sur les raclages cutanés effectués chez ce Schnauzer Géant de 2 ans. Ce chien souffrait de problèmes cutanés chroniques depuis l’âge d’un an. © Karri Beck BSc, DVM, Dip. ACVD

La démodécie se traduit couramment par une dermatose exfoliative

Figure 4. La démodécie se traduit couramment par une dermatose exfoliative. © Stephen Waisglass

La démodécie à Demodex injai peut se présenter différemment ; les chiens atteints présentent généralement une dermatite séborrhéique en région dorsolombaire (Figure 5). Les chiens âgés de plus de 2 ans et les Terriers semblent surreprésentés, bien que le parasite ait été identifié dans d’autres races comme le Teckel et le Lhassa Apso. La corticothérapie excessive et l’hypothyroïdie seraient des causes prédisposantes ; une folliculite bactérienne ou une dermatite à Malassezia secondaires peuvent également être présentes 56

Demodex injai est fréquemment observé chez les Terriers d’âge moyen et est responsable d’une séborrhée

Figure 5. Demodex injai est fréquemment observé chez les Terriers d’âge moyen et est responsable d’une séborrhée touchant principalement les régions interscapulaire et lombaire. © Stephen Waisglass

Chez le chat, la démodécie localisée à Demodex cati est rare ; les signes s’observent le plus souvent au niveau de la tête, du cou et des paupières, et se manifestent par des plages dépilées, squamo-croûteuses plus ou moins prurigineuses 3. Elle peut également se traduire par une otite externe cérumineuse. Les lésions localisées peuvent régresser spontanément, surtout si la cause sous-jacente est identifiée et traitée. Le Siamois et le Burmese pourraient être prédisposés à la forme généralisée, bien que celle-ci soit généralement associée à une maladie sous- jacente importante de type diabète, hypercorticisme, FIV ou FeLV 6. D. cati a été identifié dans des lésions de carcinome épidermoïde in situ 37. Le diagnostic différentiel inclut la dermatophytose (qui peut être concomitante), les pyodermites et les dermatoses allergiques, bien que toutes les causes de dermatite croûteuse et séborrhéique puissent être envisagées 6

La dermatite à Demodex gatoi est une dermatose prurigineuse généralement rencontrée chez les jeunes chats à poil court, et caractérisée par une alopécie ou des poils cassés, un érythème, un squamosis, des excoriations et des croûtes, notamment sur la tête, le cou, les coudes et/ou les flancs, l’abdomen et les membres postérieurs. Une hyperpigmentation peut être présente, et la distribution peut être symétrique 3. Cette forme de démodécie est contagieuse pour les autres chats. Notons que ce parasite semble avoir une distribution régionale – je n’en ai diagnostiqué que trois cas – et l’anamnèse peut donc être évocatrice ; vérifiez si l’animal a vécu dans une zone géographique où ce parasite a été identifié (Sud des États-Unis, par exemple) et/ou s’il existe une possibilité de contagion. En outre, une corrélation pourrait exister avec l’existence d’une dermatite allergique, bien que ce lien reste inexpliqué.

Physiopathologie

Le parasite est un résident normal de la peau du chien ; des études PCR ont en effet montré que la majorité des chiens sains héberge de faibles populations de Demodex 8. L’acarien est transmis de la mère au chiot pendant les 2-3 premiers jours suivant la naissance 3 ; les chiots nés par césarienne et élevés à distance de leur mère ne sont pas porteurs du parasite. Le système immunitaire de l’hôte permet généralement de garder le nombre de parasites sous contrôle 9. Les chiens atteints de démodécie généralisée souffrent probablement d’une anomalie fonctionnelle génétique de la réponse immunitaire cellulaire spécifique, essentiellement des lymphocytes T (dont le nombre reste généralement normal) 3, et il est recommandé d’exclure ces chiens de la reproduction. Aucun cas de démodécie juvénile généralisée à Demodex injai n’a été décrit à ce jour ; l’anomalie génétique supposée être associée au développement du parasite ne serait valable que pour D. canis 1. Le parasite coloniserait aussi la peau des chats sains, mais aucune étude PCR ne permet aujourd’hui de le confirmer. 

Les autres facteurs semblant jouer un rôle important dans la pathogénie incluent : rupture de la barrière cutanée, inflammation, infections bactériennes secondaires et réaction d’hypersensibilité de type IV, pouvant expliquer l’alopécie, le prurit, l’érythème et la formation de comédons associés à la maladie 9

Examens complémentaires

Chez l’Homme, la prévalence de Demodex est proche de 100 % avec une moyenne de 0,7 acarien par cm² de peau sur le visage, surtout au niveau du menton 8. Il semble toutefois que les acariens soient plus difficiles à détecter chez le chien, et la présence d’un nombre même très limité de parasites sur un raclage doit être jugée suspecte. Même si un seul D. canis est observé, il ne faut pas considérer cela comme normal, et des examens complémentaires supplémentaires sont recommandés avant d’exclure une démodécie 10. Notons qu’il faut toujours réaliser des raclages cutanés avant de mettre en place une corticothérapie, l’hypercorticisme étant l’une des principales causes de démodécie de sortie chez le chien adulte.

Le raclage cutané et le trichogramme (prélèvement et examen microscopique de poils) sont les examens classiquement réalisés pour diagnostiquer la démodécie. Le trichogramme est jugé moins sensible que le raclage cutané quand les parasites sont peu nombreux (sensibilité relative de 70 % 11. Toutefois, une étude a montré qu’il n’y avait pas de différence significative entre le raclage et le trichogramme pour la mise en évidence du parasite chez 161 chiens souffrant de démodécie localisée ou généralisée. Le fait de presser la peau avant d’effectuer le raclage permettait d’augmenter sa sensibilité, alors que cela aurait l’effet inverse lors du prélèvement de poils en raison de l’extrusion de kératine folliculaire pendant l’épilation 12

Un ruban de scotch peut également être appliqué sur la lésion après avoir pressé la peau (Figure 6). Cette technique permettrait d’améliorer significativement la détection des parasites par rapport au raclage cutané, en ce qui concerne la détection du nombre total de parasites, ainsi que du nombre de larves et d’adultes (P < 0,05) 13. Aucune différence significative ne serait observée entre les deux méthodes concernant la détection du nombre d’œufs ou de nymphes. Je continue toutefois à penser que le raclage avec pression de la peau reste la méthode la plus sensible, que ce soit par rapport au trichogramme ou à la technique du « scotch avec pression », bien que le scotch-test constitue une bonne option pour les zones difficiles à racler.

Le scotch-test peut être particulièrement utile pour détecter des Demodex

Figure 6 a. Le scotch-test peut être particulièrement utile pour détecter des Demodex dans les zones qui ne se prêtent pas au raclage. © Stephen Waisglass

Le scotch-test peut être particulièrement utile pour détecter des Demodex

Figure 6 b. Le scotch-test peut être particulièrement utile pour détecter des Demodex dans les zones qui ne se prêtent pas au raclage. © Stephen Waisglass

En général, la biopsie cutanée n’est pas considérée comme un bon examen complémentaire pour exclure la démodécie. L’échantillon prélevé est généralement petit et les parasites ont tendance à rétrécir avec les préparations histologiques, rendant leur détection difficile 10. Une exception pourrait être la pododémodécie, pour laquelle les raclages de qualité sont difficiles à obtenir (Figure 7). Quelle que soit la technique utilisée, les conseils suivants peuvent augmenter vos chances d’obtenir un résultat positif : 

La pododémodécie peut être douloureuse, rendant difficile la réalisation des raclages profonds

Figure 7. La pododémodécie peut être douloureuse, rendant difficile la réalisation des raclages profonds. Une biopsie peut être nécessaire pour établir le diagnostic quand ce signe clinique est le seul présent, mais le trichogramme et le scotch-test peuvent également aider. © Karri Beck BSc, DVM, Dip. ACVD

Choisir le site à prélever :

• Prenez votre temps ; examinez attentivement la peau et choisissez les meilleurs sites (ainsi qu’une technique adaptée à la zone choisie). Les bons sites à prélever incluent :

- les zones érythémato-squameuses,
- les comédons/zones hyperpigmentées (elles peuvent paraître « bleues »),
- les zones de manchons pilaires (zones pouvant également convenir aux trichogrammes dans les régions difficiles d’accès telles que les espaces interdigités).

• Les chats peuvent ingérer des parasites s’ils se lèchent excessivement, ce qui peut compliquer leur détection ; il est toutefois possible d’identifier D. gatoi sur des raclages superficiels réalisés à la base du cou (le chat ne pouvant atteindre cette zone) ou via un scotch-test ; il peut également être intéressant de faire un raclage sur un autre chat de la maison moins touché par la maladie et donc se léchant moins.

D. cati est majoritairement présent sur la tête et le cou, D. gatoi en région interscapulaire ; les infestations mixtes à D. cati/gatoi sont possibles.

• Des raclages cutanés profonds sous tranquillisation ou des biopsies peuvent être nécessaires en cas de pododémodécie.

Le raclage : 

• Prévenez le propriétaire que l’aspect de la lésion risque de se dégrader après le raclage. 
• Émoussez préalablement la lame (à l’aide d’un abaisse-langue, par exemple) ; une certaine expérience est nécessaire pour obtenir le tranchant idéal. 
• Pressez le pli de peau avant et pendant le raclage. 
• Maintenez la lame perpendiculairement à la peau pour limiter les risques de coupure. 
• Raclez jusqu’à la rosée sanguine et réalisez des prélèvements à différents endroits. 
• Récoltez suffisamment de matériel pour avoir des chances de détecter le parasite.

Le scotch-test :

• Utilisez un ruban adhésif transparent. 
• Appliquez le morceau de scotch sur une lésion intéressante et pressez le pli de peau en dessous. 
• Retirez le scotch d’un coup sec et collez-le directement sur une lame de microscope. 

Le trichogramme : 

• Épilez dans le sens de la pousse des poils pour augmenter vos chances de prélever la base des poils. 
• Ne pressez pas la peau ; l’objectif est d’obtenir 100 poils par prélèvement. 

Examen des lames 

• Étalez le prélèvement sur une lame de microscope, ajoutez une quantité suffisante d’huile minérale et recouvrez d’une lamelle pour aplanir le niveau et faciliter l’observation. 
• Baissez le condenseur pour mieux observer la motilité des parasites et faciliter l’identification de leurs squelettes. 
• Examinez la totalité des champs au grossissement x10. 
• Recherchez tous les stades évolutifs et notez le nombre de parasites par stade. Cela vous donnera une base de comparaison pour les raclages ultérieurs, et vous aidera ainsi à évaluer la réponse au traitement. 

Autres examens

Démodécie localisée

Les Demodex (ainsi que Cheyletiella, Sarcoptes et les puces) peuvent être identifiés sur des prélèvements de selles fixés dans du SAF*. Il peut être judicieux de rappeler au laboratoire de vous signaler les parasites externes autant qu’internes ! Parfois, la coproscopie donnerait de meilleurs résultats que les raclages cutanés pour le diagnostic de D. gatoi.

*SAF : solution d’acétate de sodium, d’acide acétique et de formol

Les cas localisés de démodécie de l’adulte justifient une surveillance étroite, car cette présentation peut être le signe avant-coureur d’autres problèmes. Il faut vérifier les traitements concomitants (notamment la corticothérapie, y compris l’application régulière de dermocorticoïde), les paramètres hématologiques et biochimiques, en incluant un dépistage de la dirofilariose dans les zones à risque. Une évaluation des fonctions endocriniennes peut être indiquée (en fonction des commémoratifs de l’animal). Dans tous les cas, il est essentiel d’évaluer le régime alimentaire (pour vérifier que l’animal reçoit bien une alimentation équilibrée).

Démodécie généralisée 

Pour les cas généralisés de démodécie juvénile, l’alimentation et le contrôle antiparasitaire jouent un rôle important dans la guérison, et une évaluation de l’état général (incluant bilan hématologique, biochimique et analyse urinaire) est justifiée pour exclure une maladie congénitale. Un dépistage de la dirofilariose (dans les zones endémiques) est indiqué avant d’administrer une avermectine, et un test MDR1 doit être réalisé chez les races prédisposées à ce problème génétique (voir ci-dessous).

Pour les chiens adultes souffrant de démodécie généralisée, la démarche diagnostique doit inclure tous les éléments précédemment cités. En outre, il est recommandé de rechercher minutieusement toute maladie pouvant affaiblir le système immunitaire, notamment via une évaluation des fonctions thyroïdienne et surrénalienne, et un dépistage des tumeurs par échographie abdominale et radiographie thoracique. 

Chez le chat atteint de démodécie généralisée, la démarche diagnostique est la même, en recherchant particulièrement une maladie cortico-induite. Un bilan hémato-biochimique doit être réalisé pour rechercher un diabète, et un dépistage FIV/FeLV est évidemment indiqué. 

 

Les « acteurs » – identifier les « cigares à pattes » 

Demodex chez le chien 

1. Demodex canis réside dans les follicules pileux. L’adulte, en forme de cigare, mesure environ 170-225 μm et possède 4 paires de pattes 5. Les nymphes de D. canis ont un corps plus court mais le même nombre de pattes. Les larves n’ont que 3 paires de courtes pattes et les œufs ont la forme de « bananes enceintes ». 

2. Demodex injai est connu depuis peu (Figure 8). Il est surtout présent dans les glandes sébacées, et tous les stades évolutifs sont beaucoup plus longs que ceux de D. canis – l’adulte mesure 330-370 μm de long (environ le double de D. canis) 5.

Demodex injai.

Figure 8. Demodex injai. Noter la longueur de cette espèce (grossissement x 40). © Stephen Waisglass

Un petit Demodex résidant plutôt en surface (couche cornée), comme D. gatoi chez le chat, a été décrit chez le chien 6 et dénommé Demodex cornei. Il mesure la moitié de la longueur de D. canis et est souvent détecté de manière concomitante 14. Toutefois, des études récentes ont remis en question l’existence réelle de cet acarien. Le lien entre D. canis, D. injai, D. cornei et le parasite de l’Homme, D. folliculorum, a été étudié par analyse de l’ADNr mitochondrial 1. Cette étude a conclu que D. canis et D. injai sont deux espèces différentes, mais que le petit D. cornei est une variante morphologique de D. canis, et il est apparu que D. injai était plus proche de D. folliculorum que de D. canis

Demodex chez le chat 
  1. Demodex cati ressemble à D. canis ; le stade adulte mesure environ 200 μm de long 6 ; les oeufs sont plus ovales. 
  2. Demodex gatoi est le petit Demodex du chat (Figure 9). 

Contrairement à ce qui a été démontré chez le chien, D. cati et D. gatoi sont bien deux espèces différentes 15.

Demodex gatoi.

Figure 9. Demodex gatoi. Ce petit parasite est contagieux pour les autres chats (grossissement x 40). © Stephen Waisglass

Traitement 

Démodécie localisée

Le traitement antiparasitaire systémique n’est pas indiqué lors d’une démodécie localisée. Rien ne prouve que l’absence de traitement des cas localisés entraîne leur généralisation, et le traitement pourrait même empêcher l’identification des cas qui devaient se généraliser. Cela ne veut cependant pas dire qu’il n’y existe pas de traitement. Pour les jeunes chiens souffrant de démodécie localisée, il est essentiel d’assurer un mode de vie « sans stress ». La malnutrition ayant un impact certain sur les capacités immunitaires de l’animal, il est important d’examiner attentivement le régime alimentaire et d’effectuer les recommandations nécessaires ; je recommande généralement un aliment industriel équilibré des marques réputées. Il est également important d’effectuer une coproscopie et de vermifuger l’animal. Les produits contenant du peroxyde de benzoyle sont souvent recommandés par les dermatologues car ils sont censés favoriser le « nettoyage folliculaire » – il faut néanmoins prévenir le propriétaire que la manipulation de la lésion risque dans un premier temps d’accélérer la chute des poils qui devaient tomber. Le peroxyde de benzoyle asséchant la peau, un réhydratant cutané doit ensuite être appliqué. 

Démodécie généralisée

Le propriétaire doit savoir que des suivis mensuels sont nécessaires pour réaliser des raclages cutanés. Les stades évolutifs et les nombres de parasites seront notés à chaque visite pour suivre la réponse au traitement, et le propriétaire doit être informé que le traitement ne pourra être arrêté que 2 mois après l’obtention de raclages négatifs – compter généralement 3 à 7 mois de traitement au total. Si un traitement s’avère inefficace, essayez-en un autre, mais certains animaux ne seront jamais guéris mais uniquement contrôlés (surtout les cas de démodécie de l’adulte).

L’amitraz a une AMM dans de nombreux pays pour le traitement de la démodécie. Son efficacité est bien démontrée à la posologie de 250-500 ppm tous les 7 à 14 jours (elle est meilleure avec des administrations plus rapprochées) 16. Les chiens à poil long et mi-long doivent être préalablement tondus, et le traitement doit être appliqué dans une pièce bien aérée (des problèmes respiratoires ayant été observés chez l’Homme) par un professionnel de la clinique portant des vêtements de protection ; les chiens ne doivent être rendus à leur propriétaire qu’une fois secs et ne doivent pas être mouillés entre deux traitements. Tout stress doit être évité pendant au moins 24 heures après le traitement 1617. L’amitraz est un inhibiteur de la monoamine oxydase (IMAO) et il existe donc un risque d’interactions médicamenteuses ; étant un agoniste des récepteurs alpha-2 adrénergiques, ses effets secondaires peuvent être antagonisés (avant ou après traitement) par la yohimbine ou l’atipamézole. 

Les avermectines (ivermectine, doramectine) sont des lactones macrocycliques. Elles se lient sélectivement, et avec une forte affinité, aux canaux chlorure glutamate-dépendants du parasite, entraînant une augmentation de la perméabilité cellulaire et un blocage neuromusculaire aboutissant à sa paralysie et à sa mort. Elles interagissent avec les récepteurs GABA (acide gamma-aminobutyrique) 17. Le GABA est un neurotransmetteur du SNC et ces médicaments sont maintenus hors du système nerveux grâce à la glycoprotéine P (pompe à efflux) des cellules endothéliales des capillaires cérébraux (barrière hémato-méningée). Il est important de rappeler aux propriétaires que l’utilisation de ces produits aux doses recommandées pour la démodécie se fait hors AMM. 

Dans de nombreuses races, il existe des individus mutants homozygotes pour le gène MDR1 (multi-drug resistance) qui sont très sensibles aux effets de l’ivermectine car la glycoprotéine-p ne joue alors plus son rôle de pompe à efflux hors du système nerveux. Bien que l’allèle mutant soit plus fréquent chez le Colley, les races suivantes peuvent également être touchées : Whippet à poil long, Shetland, Berger Australien, Silken Windhound, Chien de Berger de McNab, Wäller, Berger Blanc Suisse, Bobtail, English Shepherd, Berger Allemand et Border Collie 18. L’anomalie génétique ayant été identifiée chez de nombreux chiens croisés, un dépistage pourrait être recommandé chez tous les chiens avant l’utilisation d’une avermectine. 

Rappelons que certains autres médicaments (kétoconazole, érythromycine, par exemple) peuvent également se lier à la glycoprotéine P et augmenter le risque de neurotoxicité s’ils sont associés à une lactone macrocyclique. 

L’ivermectine (forme injectable administrée par voie orale) est le traitement que j’utilise le plus pour la démodécie généralisée. Je recommande habituellement un schéma posologique à doses progressivement croissantes, le médicament étant administré avec la nourriture. Je commence avec une dose d’essai de 0,05 mg/kg/j, puis 0,1 mg/kg la semaine suivante. Si tout va bien, je passe à 0,2 mg/kg le jour suivant, puis à 0,3 mg/kg le jour d’après, pour finir avec une dose d’entretien de 0,4 mg/ kg/j, bien que certains animaux nécessitent des doses allant jusqu’à 0,6 mg/kg. Maintenez le traitement pendant deux mois après l’obtention de raclages négatifs. Dites au propriétaire d’arrêter immédiatement le traitement en cas de signe de toxicité (notamment léthargie, ataxie, mydriase et signes digestifs) ; dans ce cas, je repasse généralement à une dose inférieure – 0,3 mg/kg habituellement – administrée en jours alternés (si le chien ne montre pas de signe indésirable à cette dose), tout en surveillant de près l’apparition d’éventuels effets secondaires.

Notons que l’ivermectine a une demi-vie assez longue et qu’en cas d’administration quotidienne, ses concentrations sériques continuent d’augmenter pendant plusieurs semaines avant d’atteindre l’équilibre ; des effets indésirables peuvent être observés jusqu’à 10 semaines après le début du traitement 17. Chez les chiens MDR1 (-/-), une neurotoxicité peut être induite après l’administration de doses d’ivermectine ou de doramectine supérieures ou égales à 100 μg/kg 18. Les signes cliniques sont dose-dépendants et peuvent varier de la dépression et l’ataxie légères, associées à de la désorientation et une mydriase dans les 12 heures suivant l’administration (à 0,1-0,12 mg/kg), à une ataxie plus sévère, avec stupeur, décubitus, hochements de tête, cécité apparente, trémulations faciales, ptyalisme, épisodes d’hyperventilation et bradycardie (à des doses jusqu’à 0,17 mg/kg). Des signes de neurotoxicité sévère peuvent s’observer avec des doses avoisinant 0,2-0,25 mg/kg ou plus, et incluent initialement dépression, ataxie et cécité apparente, ainsi que vomissements, mouvements de pédalage, trémulations et salivation excessive, puis stupeur, légères tentatives de reptation, décubitus et enfin absence de réactivité et coma dans les 30 à 50 heures suivant l’application, aboutissant souvent à la mort 18

La doramectine a été recommandée avec une bonne efficacité pour traiter la démodécie des chiens MDR1 (+/+) en injections sous-cutanées hebdomadaires à 0,6 mg/kg 14, bien que l’auteur n’ait aucune expérience personnelle de ce produit et que des études complémentaires soient nécessaires pour confirmer son efficacité 17

La milbémycine oxime est également efficace dans le traitement de la démodécie à la dose de 0,5-2 mg/kg toutes les 24 h, avec un meilleur taux de réussite pour la dose supérieure 1718. Je ne recommande généralement pas de schéma posologique à doses croissantes avec cette molécule, même s’il peut toujours y avoir quelques rares animaux « sensibles » qui développent des signes neurologiques indésirables.

La moxidectine peut également être utilisée en cas de démodécie généralisée chez le chien (à 0,2-0,5 mg/kg toutes les 24 h PO), et les mêmes recommandations que pour l’ivermectine s’appliquent 19. La moxidectine est commercialisée dans certains pays sous forme de spot-on dosé à 2,5 % (associé à de l’imidaclopride à 10 %) et peut être utilisée pour traiter la démodécie en applications hebdomadaires ; cette formulation fonctionne principalement chez les chiens souffrant de forme modérée de la maladie.

Des bains hebdomadaires de bouillie soufrée (2 %) pendant 4 à 6 semaines peuvent être efficaces pour traiter la démodécie féline 6. Ils sont très bien tolérés, et peuvent être utilisés comme épreuve thérapeutique pour exclure une infestation à D. gatoi lors de prurit chez le chat ; la majorité des chats touchés montrent une amélioration après trois traitements. Tous les chats en contact avec l’animal touché doivent être traités selon le même protocole, et les propriétaires doivent être avertis que ce produit a une odeur désagréable et peut faire jaunir le pelage des chats blancs et décolorer les bijoux. Le port d’une collerette est indiqué après l’application jusqu’à ce que l’animal soit sec, l’ingestion du produit humide entraînant des vomissements chez de nombreux animaux. 

Enfin, la surinfection bactérienne est fréquente lors de démodécie, et j’ai observé une diminution significative du nombre de Demodex après l’utilisation de shampoings au peroxyde de benzoyle (BPO) (suivis d’un réhydratant) et d’antibiotiques sans aucun antiparasitaire. La tonte de l’animal améliore le contact avec le shampoing. Il est important de traiter toute pyodermite concomitante car les bactéries contribuent à l’immunodépression des animaux touchés, même si l’infection n’est que secondaire. Des études récentes ont montré que l’ajout d’antibiotiques systémiques à l’ivermectine orale et aux shampoings PBO n’avait pas d’impact sur la durée du traitement des cas généralisés de démodécie canine ; aucune différence significative n’était observée en termes de temps jusqu’à l’obtention du premier raclage négatif. Les antibiotiques peuvent être arrêtés une fois que la pyodermite a cliniquement rétrocédé 20

En résumé, avec une démarche diagnostique adaptée et un traitement intensif, le taux de réussite est assez bon pour cette maladie des plus complexes. La réponse au traitement peut être spectaculaire et très gratifiante (Figure 10).

Démodécie généralisée avant traitement ; ce chien a été efficacement traité

Figure 10a. Démodécie généralisée avant traitement ; ce chien a été efficacement traité contre la démodécie et il est aujourd’hui heureux et en pleine forme. Il n’avait presque plus de poils lorsqu’il a été vu pour la première fois. © Stephen Waisglass

Démodécie généralisée après traitement

Figure 10 b. Démodécie généralisée après traitement ; ce chien a été efficacement traité contre la démodécie et il est aujourd’hui heureux et en pleine forme. Il n’avait presque plus de poils lorsqu’il a été vu pour la première fois. © Stephen Waisglass

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Stephen Waisglass

Stephen Waisglass

Clinique Vétérinaire d’Urgence et Centre de Référé, Toronto, Canada En savoir plus

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