La protéinurie rénale féline
La protéinurie est fréquemment observée lors d’une analyse d’urine...
Numéro du magazine 30.1 Autre scientifique
Publié 09/07/2020
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La maladie rénale est l’une des causes les plus courantes de morbidité et de mortalité chez les chats âgés ; Hannah Sargent et Jonathan Elliott passent en revue les meilleures méthodes de détection précoce de la maladie.
La maladie rénale chronique (MRC) est une affection fréquente chez les chats âgés et a été signalée comme la deuxième cause de mortalité chez les chats de plus de 5 ans.
Le diagnostic précoce de MRC féline est important pour permettre une intervention thérapeutique appropriée et opportune, ainsi que l’identification et le traitement de la maladie rénale primaire sous-jacente.
Le diagnostic précoce de la MRC s’appuie sur le dosage de la créatinine plasmatique ou sérique, la SDMA et une analyse d’urine, plutôt que de considérer chaque paramètre isolément.
Les chats atteints de MRC précoce peuvent ne pas présenter de signes cliniques et les résultats de l’examen physique peuvent également être normaux, ce qui souligne l’importance du dépistage, en particulier chez les chats gériatriques.
On estime que la prévalence de la maladie rénale chronique (MRC) peut atteindre 32 % chez les chats de plus de 12 ans 1 et qu’elle est la deuxième cause de mortalité chez les chats de plus de 5 ans au Royaume-Uni 2. Chez l’Homme, la MRC est reconnue comme un problème mondial de santé publique et les stratégies d’intervention axées sur le diagnostic précoce sont considérées comme des clés majeures pour faire face à cette crise. Pour les praticiens, le défi majeur consiste pourtant à effectuer un diagnostic précoce de MRC, en particulier à cause des limites de la créatinine sérique comme marqueur du débit de filtration glomérulaire (DFG). Ce défi est partagé au niveau mondial par toutes les disciplines. Pour le vétérinaire, diagnostiquer précocement la MRC chez un chat serait très positif car cela permettrait de suivre de près la progression de la maladie, d’appliquer au bon moment les traitements appropriés, ainsi que d’investiguer, d’identifier et de traiter précocement la maladie rénale primaire sous-jacente. La disponibilité récente de nouveaux biomarqueurs (comme la diméthylarginine symétrique ou SDMA) ainsi que d’autres approches utilisant des algorithmes aideront sans doute bientôt à identifier les chats atteints de maladie rénale débutante. De futures études aideront aussi à comprendre de quels traitements ces chats ont besoin pour ralentir la progression de la maladie. Cet article résume brièvement les recherches actuelles à propos du diagnostic précoce de MRC féline et de leurs conséquences pratiques en clinique.
La MRC est simplement définie comme « la présence d’anomalies fonctionnelles ou structurelles persistantes dans un ou deux reins ». D’un point de vue histopathologique, les anomalies les plus courantes sont l’inflammation tubulo-interstitielle et la fibrose 3. Toutefois, le terme de MRC est non spécifique ; il ne fait pas référence à un processus pathologique sous-jacent mais plutôt à un syndrome hétérogène qui peut être défini comme une diminution soutenue de la fonction rénale depuis au moins 3 mois.
Le modèle largement accepté de développement de la MRC féline décrit une phase initiale au cours de laquelle un ou plusieurs facteurs provoquent des lésions rénales conduisant à une perte de néphrons, et entraînant des lésions rénales auto-entretenues ; on parle ici de progression intrinsèque (Figure 1) 4. Connaître ces facteurs d’initiation peut aider le vétérinaire à identifier les chats chez qui effectuer le dépistage de la maladie. Les facteurs d’initiation comprennent les maladies rénales primaires (incluant les maladies rénales aiguës, ou MRA), le vieillissement et les facteurs environnementaux 4.
Une maladie rénale primaire peut être classée comme acquise ou congénitale. La maladie congénitale la plus courante est la maladie rénale polykystique, une affection autosomale dominante qui affecte les chats persans ou croisés persans dans le monde entier. Parmi les maladies acquises courantes pouvant être suspectées lors de MRC, il y a le lymphome rénal 3, la pyélonéphrite bactérienne, les calculs des voies urinaires supérieures, des infections virales chroniques (FIV, FeLV, FIP et morbillivirus félin) 4 et la distribution sur le long terme d’aliments déséquilibrés 5.
Une MRA peut être définie comme une réduction soudaine de la fonction rénale, résultant en un changement de la filtration glomérulaire, de la production d’urine et de la fonction tubulaire, et peut être imputable à diverses causes. Bien que le rôle initiateur de la MRA vis-à-vis de la MRC n’ait pas été largement étudié chez le chat, il a été montré chez l’Homme qu’un épisode de MRA augmentait le risque de développer ultérieurement une MRC, surtout en cas de MRA sévère 6. Chez le chat, des lésions rénales peuvent être causées par des néphrotoxines (par exemple, l’éthylène glycol), une tumeur, une infection, une septicémie ou une ischémie (en particulier dans le contexte de MRC). Il a été établi que des changements tubulo-interstitiels similaires à ceux de la MRC féline avaient lieu au stade de récupération tardive d’une MRA ischémique induite expérimentalement chez le chat 7 ; cela prouve que la MRA, et plus particulièrement la MRA ischémique, entraîne des mécanismes réparateurs inadaptés qui peuvent favoriser une MRC. La possibilité que d’autres causes de MRA produisent une réparation inadaptée puis une MRC n’a pas encore été explorée.
Lors de MRC féline, une maladie rénale primaire n’est généralement pas identifiée et il est plus probable qu’une association de facteurs (incluant des MRA uniques ou répétées, ainsi que des facteurs spécifiques à l’animal et des facteurs environnementaux) agissent de façon cumulative pour déclencher la MRC 4. Compte tenu de la prévalence croissante de la maladie chez les chats âgés 8, les recherches ont visé à établir un lien entre la MRC et le vieillissement. La prévalence de la MRC chez les chats âgés de plus de 12 ans est estimée entre 32 % 1 et 42 % 8. La proportion de chats gériatriques sans MRC montre que cette maladie n’est pas une fatalité chez le chat vieillissant mais on suppose que le vieillissement compromet les mécanismes de protection des reins, ce qui les rend moins aptes à récupérer d’une atteinte rénale. Il est également supposé que certaines des maladies les plus courantes chez le chat âgé, comme l’hyperthyroïdie 4, les troubles dentaires 9, l’hypertension 4 et les maladies inflammatoires de l’intestin 10 pourraient affecter négativement les reins. Il a enfin été suggéré que l’augmentation de la prévalence de la MRC au cours des dernières décennies pourrait être liée à des changements environnementaux, notamment l’alimentation, la vaccination et les effets du stress environnemental. Par exemple, une étude épidémiologique récente a noté une corrélation entre la gravité de la maladie dentaire chez les chats et le développement de l’azotémie 9. Bien qu’il soit établi qu’une modification de l’alimentation pouvait ralentir la progression de la MRC aux stades IRIS 2 et 3, on manque de preuves pour incriminer un taux élevé de phosphates alimentaires comme un facteur initiateur de la MRC. Cependant, des études récentes ont révélé un éventuel risque pour la fonction rénale lorsque des chats adultes en bonne santé étaient nourris avec des niveaux élevés de phosphore sous forme inorganique 11. Plus d’études sont nécessaires pour améliorer la prise en charge des chats mais tenir compte de ces éventuels facteurs initiateurs peut être utile en pratique clinique : cela permet aux vétérinaires d’effectuer un dépistage ciblé de MRC chez les chats considérés comme pouvant présenter un risque particulier.
Le DFG est le volume d’ultra-filtrat formé dans les néphrons des deux reins, par unité de temps, et il est corrélé à la masse rénale fonctionnelle. La mesure de la clairance plasmatique d’un marqueur exogène de filtration, comme l’iohexol, est la méthode la plus précise dont disposent les vétérinaires pour évaluer la masse rénale fonctionnelle. Mais en général, l’estimation du DFG par la mesure d’un substitut tel que la concentration de créatinine sérique reste le test le plus utile pour évaluer la fonction rénale en pratique clinique.
Pour les vétérinaires utilisant la créatinine sérique pour diagnostiquer une maladie rénale précoce chez le chat, la principale difficulté réside dans la relation curvilinéaire qui existe entre la concentration de créatinine sérique et le DFG, comme le montre la Figure 2. Une baisse substantielle du DFG est nécessaire avant qu’une augmentation significative de la concentration de créatinine sérique (et par conséquent de l’azotémie) soit constatée en biochimie clinique, ce qui explique pourquoi il s’agit d’un indicateur insensible du DFG.
La créatinine sérique augmente faiblement au début de la maladie et reste souvent dans l’intervalle de référence du laboratoire. Dans le système de classification IRIS de la MRC, le stade 1 correspond à un animal non azotémique (concentration de créatinine sérique < 140 µmol/L, 1,6 mg/dL chez le chat) mais présentant d’autre anomalies rénales, par exemple une capacité de concentration urinaire inadéquate et persistante sans cause extrarénale identifiable, une palpation ou une imagerie rénale anormales, une protéinurie persistante d’origine rénale, des résultats anormaux de biopsie rénale ou une augmentation de la concentration de la créatinine sanguine lors de prélèvements répétés1. Cependant, il peut être difficile de repérer un chats aux stades IRIS 1 et 2 (quand la créatinine est de 140-250 µmol/L, 1,6-2,8 mg/dL), alors que la créatinine peut être dans l’intervalle de référence du laboratoire (et que la tendance à l’augmentation de la créatinine n’est pas évidente) et qu’il est nécessaire de rechercher d’autres signes cliniques de MRC.
1 www.iris-kidney.com/pdf/IRIS_CAT_Treatment_Recommendations_2019
Ce défi est accru par des facteurs extrarénaux tels que la masse musculaire 12, l’âge et la race (le Birman, par exemple) 13, qui influencent tous le taux de créatinine. Pour tenir compte de ces limitations, il est recommandé de toujours mesurer la créatinine sur un échantillon de sang à jeun et de l’interpréter en tenant compte de la race, de la masse musculaire et de l’âge du chat.
Hannah J. Sargent
Pour s’affranchir des limites de la concentration de la créatinine sérique en tant que marqueur de la maladie rénale précoce, les recherches de ces dernières années se sont concentrées sur de nouveaux biomarqueurs de la diminution du DFG, des lésions tubulaires et glomérulaires, pouvant détecter des changements plus précoces dans la maladie. Le plus facilement disponible pour les vétérinaires est la diméthylarginine symétrique (SDMA).
La diméthylarginine symétrique (SDMA) est une forme méthylée de l’arginine se trouvant dans toutes les protéines intracellulaires et qui est libérée dans la circulation pendant le catabolisme des protéines. 90 % sont excrétés par les reins et la SDMA s’est révélée être un marqueur de substitution du DFG 14. Depuis 2015, un test commercial quantitatif de la SDMA est disponible dans de nombreux pays, grâce auquel la concentration sérique ou plasmatique de SDMA est quantifiée via un test immunologique breveté. Une bonne concordance avec la méthode de référence, soit la spectrométrie de masse par chromatographie liquide (LC-MS), a été observée 15.
La concentration sérique de SDMA permettrait de détecter une diminution du DFG avant que la concentration de créatinine sérique s’élève (selon les limites de référence établies) et elle est maintenant reconnue comme un outil de dépistage utile pour la détection précoce de la MRC. Dans une étude sur 21 chats gériatriques atteints de MRC spontanée, vivant en colonie, la concentration sérique de SDMA est montée au-dessus de 14 µg/dL en moyenne 17 mois avant que la créatinine ne passe au-dessus de la limite de l’intervalle de référence (soit 186 µmol/L ; 2,1 mg/dL) chez 17 des 21 chats 16.
En outre, la SDMA semble également un biomarqueur très spécifique de la réduction du DFG : elle subit potentiellement moins d’influences extrarénales que la créatinine. Bien qu’une petite variabilité biologique et individuelle soit observable au jour le jour, il est prouvé que la masse musculaire 16 17 ou l’ingestion récente de protéines 17 n’influencent pas significativement la SDMA. Il a été montré que l’âge et la race ont un certain effet sur la concentration de SDMA et des études sont en cours pour établir des intervalles de référence spécifiques selon l’âge et la race. Actuellement, on sait qu’une concentration de SDMA allant jusqu’à 16 µg/dL peut refléter une fonction rénale normale chez les jeunes chats 18 et il a été signalé que la concentration de SDMA est plus élevée chez les chats birmans ; un intervalle de référence spécifique à la race pour ces chats (de 3,5 à 18,7 µg/dL) a été proposé.
Puisque la SDMA est un biomarqueur relativement nouveau, la compréhension des influences extrarénales possibles sur la concentration circulante est encore incomplète ; pour le vétérinaire, il est surtout important de tenir compte de l’influence de l’administration des médicaments et des maladies concomitantes. Chez le chien, la présence ou l’absence de maladie valvulaire mitrale (dégénérescence myxomateuse) (MVM) ainsi que les signes d’insuffisance cardiaque congestive (ou le traitement médical de cette dernière) ne paraissent pas interférer avec la concentration sérique de SDMA 19. Bien que la MVM soit spécifiquement canine, la présence d’une cardiomyopathie hypertrophique chez le chat n’a pas non plus d’effet sur la concentration de SDMA 20, ce qui fournit une preuve préliminaire que les maladies cardiaques n’affectent pas la concentration de SDMA dans les différentes espèces. Une étude chez le chien a indiqué qu’une charge tumorale importante, sans réduction de la fonction rénale, pourrait entraîner une élévation de la SDMA 21 ; jusqu’à ce que d’autres études soient réalisées, il faut supposer que cela pourrait être aussi le cas chez le chat. Il existe des preuves préliminaires que les lithiases rénales félines puissent faire augmenter la SDMA au-dessus de l’intervalle de référence, bien que cela puisse être attribué à une altération précoce de la fonction rénale plutôt qu’à une influence extrarénale. Inversement, des concentrations de SDMA significativement plus faibles ont été rapportées chez des chats atteints de diabète sucré et recevant une insulinothérapie 20, ainsi que chez des chats hyperthyroïdiens non traités 22. Ces observations doivent être gardées à l’esprit lors de l’évaluation de la fonction rénale chez les chats atteints de ces endocrinopathies. Dans l’étude des chats hyperthyroïdiens, la sensibilité de la SDMA était faible (33,3 %) pour prévoir le développement de l’azotémie après traitement de l’hyperthyroïdie, bien qu’elle ait été fortement spécifique (97,7 %). Ceci suggère qu’une SDMA élevée avant traitement de l’hyperthyroïdie est un bon indicateur de l’azotémie post-traitement, mais qu’une SDMA normale n’exclut pas la maladie.
Alors que la concentration de créatinine sérique et la SDMA sont des marqueurs de substitution de la fonction rénale (c’est-à-dire du DFG), les lésions ou le dysfonctionnement glomérulaires ou tubulaires peuvent être indiqués par des marqueurs urinaires. Plusieurs d’entre eux sont connus en médecine vétérinaire.
La protéinurie est un marqueur fréquemment utilisé pour les lésions et les dysfonctionnements glomérulaires ou tubulaires. En pratique, elle est généralement recherchée grâce à un test colorimétrique sur bandelette qui détecte l’albumine urinaire (Figure 3). Cependant, il faut savoir que les faux négatifs et surtout les faux positifs sont fréquents chez le chat. Après avoir détecté une protéinurie sur bandelette, les causes pré- et postrénales telles que l’hémoglobinurie ou une infection urinaire doivent être exclues, et la protéinurie doit être quantifiée en utilisant le « gold standard », le ratio protéines sur créatinine urinaires (RPCU). Si une protéinurie persistante est confirmée, elle doit être évaluée selon les recommandations IRIS. Même une protéinurie faible est associée au développement d’une azotémie, ce qui souligne l’importance d’inclure l’analyse d’urine dans le dépistage précoce d’une MRC chez le chat (Figure 4).
La protéinurie peut résulter soit d’une surcharge du système de filtration normal des protéines par le rein (perte accrue de protéines dans le glomérule), soit d’un dysfonctionnement (capacité réduite des cellules tubulaires à réabsorber les protéines filtrées). Dans le rein sain, les protéines de faible poids moléculaire (PM < 40 kDa) peuvent passer librement à travers la barrière de filtration glomérulaire, celles de PM intermédiaire (40-69 kDa) ont une perméabilité variable en fonction de leur charge, tandis que les protéines de PM élevé (> 70 kDa) passent généralement peu en raison de leur taille. Les cellules tubulaires proximales saines réabsorbent les protéines filtrées dans l’espace tubulaire par endocytose médiée par des récepteurs. Si le glomérule est endommagé, la perméabilité de la barrière filtrante est augmentée, ce qui entraîne une protéinurie marquée. Des lésions tubulaires entraînent également une protéinurie, à cause de la fuite des protéines issues des cellules tubulaires lésées, de la diminution de la réabsorption des protéines et de l’activation des protéines impliquées dans les lésions et la réparation. En dehors de l’albuminurie, d’autres protéines de moyenne ou de faible PM pourraient servir de marqueurs d’une MRC précoce dans l’avenir. La transferrine, dont le PM est similaire à celui de l’albumine mais dont le point isoélectrique est différent, serait présente à de très faibles concentrations dans l’urine des chats normaux ; elle augmente en revanche dans l’urine des chats sains ou des chats atteints de MRC de stade 1, chez lesquels une biopsie rénale a permis de confirmer une néphrite interstitielle chronique ; cela suggère qu’elle pourrait être un marqueur très spécifique de lésions rénales précoces 23. Les recherches sur les protéines de faible PM, telles que la protéine de liaison du rétinol et la lipocaline associée à la gélatinase des neutrophiles sont en cours.
Jonathan Elliott
La protéomique urinaire peut identifier des protéines de faible PM qui pourraient faciliter le diagnostic précoce de la MRC féline 24. Des études longitudinales prospectives visant à identifier et à valider les marqueurs urinaires de la MRC précoce chez le chat sont nécessaires avant que ces tests ne deviennent disponibles en pratique clinique.
Des modèles d’apprentissage automatique, dans lesquels des algorithmes sont utilisés pour analyser les données, ont été mis au point en médecine humaine pour évaluer les risques pour les patients, prédire les résultats individuels et recommander des traitements personnalisés. Il est probable que des utilisations similaires apparaîtront en médecine vétérinaire dans l’avenir. L’apprentissage automatique a récemment été utilisé pour mettre au point un algorithme qui combine l’âge, la densité urinaire (DU), la créatinine sérique et l’urée, dosées à au moins trois reprises chez des chats soumis à un dépistage de santé de routine, pour prédire le risque de développer une MRC azotémique dans l’année qui suit 25. Il est intéressant de noter que dans cette étude, l’algorithme a permis de détecter les chats à risque de MRC un an avant que la maladie soit diagnostiquée par des méthodes plus classiques, avec une spécificité de plus de 99 % et une sensibilité de 63 %.
Les chats à un stade avancé de MRC (soit la fin du stade IRIS 2 et les stades 3 et 4) présentent souvent une polyurie et une polydipsie ainsi que des signes cliniques non spécifiques, notamment une perte de poids, une diminution de l’appétit et une léthargie. L’examen clinique peut mettre en évidence de petits reins à la palpation, aux contours éventuellement irréguliers, ou un rein hypertrophié et un petit rein, par exemple en cas de lymphome rénal ou d’obstruction urétérale aiguë avec l’hydronéphrose qui en résulte. Les chats à MRC débutante peuvent ne pas présenter de signes cliniques de la maladie et les résultats de l’examen clinique peuvent également se situer dans les limites de la normale (Figure 5) ; une légère azotémie, une élévation de la SDMA ou une protéinurie peuvent être notées lors d’un examen pré-anesthésique de routine ou dans le cadre d’un bilan diagnostique pour une affection concomitante. Des tests diagnostiques de MRC, incluant des analyses biochimiques, hématologiques et urinaires, peuvent être réalisés lors des visites de santé et de vaccination chez les chats gériatriques ainsi que chez les chats pour lesquels le vétérinaire estime que le risque de MRC est accru à cause de l’exposition aux facteurs initiateurs mentionnés auparavant.
Le diagnostic précoce de MRC chez le chat nécessite d’associer la créatinine plasmatique ou sérique, le dosage de la SDMA et l’analyse d’urine plutôt que de considérer un seul paramètre isolément car aucun test n’est 100 % spécifique et sensible. La tendance à la hausse de la créatinine, l’élévation de la SDMA au-dessus de l’intervalle de référence, la baisse de la DU et l’identification d’une protéinurie sont toutes des aides au diagnostic et seront interprétées conformément aux recommandations IRIS. L’imagerie rénale doit également être entreprise si des anomalies sont constatées à la palpation ou mises en évidence par des analyses de sang et d’urine. Deux scénarios cliniques ci-après donnent des exemples pratiques de diagnostic précoce de la MRC.
« Minnie » : chat à poil court, femelle stérilisée de 13 ans.
Au cours des 6 derniers mois, le propriétaire a constaté une aggravation de la polyphagie, une perte de poids et un mauvais état général du pelage.
L’examen clinique a montré des résultats anormaux : tachycardie, note d’état corporel (NEC) de 3/9 (Figure 6), perte de poids (500 g en 6 mois) et comportement anxieux. La pression artérielle par Doppler était de 124 mmHg.
Paramètre
Intervalle de référence (IR)
Thyroxine (T4)
10-55 nmol/L
Créatinine
80-203 µmol/L
Urée
2,5-9,9 mmol/l
SDMA
1-14 µg/dl
Les résultats significatifs des tests biochimiques (les valeurs normales sont indiquées dans l’(Encadré 1)) comprenaient : thyroxine (T4) : 150 nmol/L ; créatinine : 106 µmol/L ; urée : 7 mmol/L ; SDMA : 17 µg/dL. L’analyse d’urine n’a pas donné de résultats particuliers mais la DU était de 1,027.
Le traitement de l’hyperthyroïdie a été initié par l’administration de thiamazole à raison de 2,5 mg q12H PO. Après 4 semaines de traitement, Minnie n’était plus polyphagique. A l’examen clinique, la tachycardie avait disparu et elle avait pris 250 g, avec une NEC de 5/9 (Figure 7). Les résultats des analyses sanguines étaient les suivants : T4 : 36 nmol/L ; créatinine : 120 µmol/L ; urée : 8,4 mmol/L ; SDMA : 17 µg/dL. L’analyse d’urine ne révélait rien de particulier mais la DU était de 1,025.
Suite à l’élévation de la SDMA notée au deuxième test, une fois l’hyperthyroïdie maîtrisée, une autre analyse sanguine a été effectuée deux semaines plus tard, pour vérifier les paramètres rénaux. La créatinine était à 122 µmol/L, l’urée à 8,8 mmol/L et la SDMA à 18 µg/dL. L’analyse d’urine ne montrait rien de particulier mais la DU est demeurée faible, à 1,025. Un diagnostic de MRC au stade 1 a été posé en raison de l’élévation persistante de la SDMA ; ce diagnostic a été appuyé par une DU constamment inférieure à 1,035.
Huit semaines après la confirmation d’une MRC de stade IRIS 1, les paramètres rénaux ont été contrôlés à nouveau pour surveiller la progression de la MRC et ont révélé une créatinine à 204 µmol/L, une urée à 6,8 mmol/L et une SDMA à 18 µg/dL. L’analyse d’urine n’a pas révélé d’anomalie mais la DU était de 1,019.
Minnie a présenté des signes cliniques d’hyperthyroïdie et le diagnostic a été confirmé par la mesure de la thyroxine totale. Avant le traitement de l’hyperthyroïdie, sa créatinine se situait dans des limites normales et l’analyse d’urine ne révélait rien de particulier. Toutefois, la SDMA était légèrement élevée et la DU était inférieure à 1,035, ce qui indique au vétérinaire qu’une MRC précoce est envisageable. Cependant, quelles que soient les valeurs avant le traitement, les paramètres rénaux doivent toujours être surveillés de près, en parallèle du traitement de l’hyperthyroïdie ; des analyses de sang et d’urine de routine ont donc été répétées 4 semaines après le début du traitement au thiamazole. Elles ont confirmé que l’hyperthyroïdie de Minnie était contrôlée et que, bien que la créatinine sérique soit restée dans la plage de référence, la SDMA était toujours élevée.
Pour confirmer l’élévation persistante de la SDMA malgré le contrôle de l’hyperthyroïdie, un bilan biochimique rénal a été répété 2 semaines plus tard. Puisque la SDMA était élevée lors de deux analyses consécutives à deux semaines d’intervalle, une MRC débutante a été diagnostiquée chez Minnie, au stade IRIS 1 ; ce diagnostic était appuyé par une DU constamment en dessous de 1,035. D’autres examens ont été conseillés, notamment une nouvelle analyse d’urine et une imagerie rénale pour écarter la présence d’une maladie rénale sous-jacente.
Le fait de placer Minnie au stade 1 de la MRC a incité le vétérinaire à la surveiller de près pour déceler la progression de la maladie et, huit semaines après le diagnostic initial de MRC, ses paramètres rénaux ont révélé une azotémie avec une DU de 1,019. Le diagnostic de MRC au stade 2 a alors été posé et une prise en charge appropriée a démarré, en accord avec les recommandations IRIS.
« Jeremy », chat des forêts norvégiennes, mâle castré de 12 ans (Figure 8)
Ayant vécu chez son propriétaire depuis son plus jeune âge, bien vacciné, vu en routine à l’occasion d’un rappel de vaccination. Le propriétaire n’a aucune inquiétude.
L’examen physique est normal.
Pression artérielle systolique par Doppler : 130 mmHg.
Un bilan hématologique et biochimique annuel (incluant la T4) a été effectué conformément aux recommandations pour les chats âgés. Les analyses biochimiques ont révélé que la créatinine était à 135 µmol/L ; l’urée à 8 mmol/L ; la SDMA à 18 µg/dL (valeurs normales, comme indiqué dans l’(Encadré 1)). Les analyses hématologiques n’ont rien révélé. L’analyse d’urine était également normale, avec une DU de 1,040. Puisque la SDMA était au-delà du seuil de référence, le bilan biochimique a été reprogrammé.
Jérémy a été revu 4 semaines plus tard pour vérifier ses paramètres rénaux, bien qu’aucune analyse d’urine n’ait été réalisée lors de cette visite. Le bilan biochimique a révélé une créatinine à 130 µmol/L ; une urée à 8,7 mmol/L ; une SDMA à 13 µg/dL. La SDMA n’était donc pas élevée à cette occasion et aucune autre mesure n’a été nécessaire.
Un taux incidemment élevé de SDMA chez un chat non azotémique ne doit pas être considéré comme diagnostique ; le taux de SDMA doit être constamment élevé lors du suivi pour permettre un diagnostic précoce de MRC. Dans le cas de Jérémy, la DU de 1,040 était également peu en faveur d’une MRC précoce. Une DU inférieure à 1,035 est parfois utilisée pour indiquer une capacité réduite à concentrer l’urine mais, sur un échantillon ponctuel, une telle constatation est faiblement spécifique d’un dysfonctionnement rénal, à moins qu’elle ne soit associée à d’autres indicateurs. Cependant, une DU supérieure à 1,035 sur un échantillon ponctuel réduit la probabilité de MRC précoce car elle indique que la capacité de concentration de l’urine est adéquate. Dans le cas de Jérémy, aucune autre mesure n’a été nécessaire après la visite de suivi, et la surveillance annuelle reprendra lors du prochain rendez-vous de vaccination.
Les recommandations IRIS proposent l’introduction d’un régime à visée rénale au stade 2 de la MRC2 ; il a été montré que nourrir les chats atteints de MRC azotémique avec un régime pauvre en phosphates et en protéines améliore la survie et ralentit la progression de la maladie 26. Moins de résultats sont actuellement disponibles quant aux avantages potentiels d’un régime similaire lors de MRC débutante ou au stade 1. Dans des études nutritionnelles faites chez des chats gériatriques atteints de MRC au stade IRIS 1, un aliment test contenant des lipides fonctionnels, des antioxydants et des protéines de haute qualité a permis de faire baisser significativement les marqueurs de la fonction rénale, dont la SDMA et la créatinine, par rapport aux régimes habituels (c’est-à-dire ceux choisis par les propriétaires) 27. Les auteurs de l’étude supposent que l’amélioration de la fonction rénale secondaire à l’effet du régime testé peut expliquer la stabilité ou la diminution des concentrations de SDMA circulante. Cependant, aucune technique de clairance n’a été réalisée pour le confirmer ou pour évaluer l’importance de l’évolution de la concentration sérique en créatinine face à une SDMA sérique stable ou vice versa. Il convient également de noter que, bien que la créatinine et la SDMA puissent aider au diagnostic précoce de la MRC, elles ne sont que des marqueurs de substitution du DFG et ne renseignent pas sur le statut métabolique d’un animal.
2 www.iris-kidney.com/pdf/IRIS_CAT_Treatment_Recommendations_2019
Chez le chat, une MRC peut être associée à des troubles minéraux et osseux (TMO-MRC) ; des déséquilibres de l’hormone parathyroïdienne (PTH), du facteur de croissance des fibroblastes-23 (FGF23), de la 25-dihydroxyvitamine D, du calcium et du phosphate sériques sont alors observés, ainsi qu’une ostéodystrophie rénale et une calcification des tissus vasculaires et mous. Ni la créatinine, ni la SDMA ne peuvent à elles seules informer de la présence d’une TMO-MRC et des études supplémentaires sont donc nécessaires pour comprendre les troubles de l’homéostasie des phosphates pouvant accompagner une MRC de stade 1, ainsi que le rôle des marqueurs des perturbations minérales osseuses (comme le FGF23), pour déterminer quels chats nécessitent une intervention clinique d’ordre nutritionnel. Actuellement, le dosage du FGF23 n’est pas commercialement disponible.
La maladie rénale chronique a une prévalence significative dans la population féline et c’est une cause majeure de mortalité chez les chats âgés. Un diagnostic précoce de la maladie rénale chronique est évidemment intéressant car il permet de surveiller étroitement l’évolution de la maladie et d’intervenir en temps utile avec des traitements appropriés. Le dosage de la concentration en créatinine sérique reste le moyen le plus courant d’évaluer la fonction rénale en pratique mais le test SDMA récemment mis au point peut détecter des signes précoces de MRC quelques mois avant l’élévation de la créatinine au-dessus du seuil maximal de l’intervalle de référence. Toutefois, un diagnostic précoce précis exige de combiner l’utilisation de la créatinine plasmatique ou sérique, des concentrations de SDMA et l’analyse d’urine plutôt que de considérer un paramètre isolément, car aucun test n’est spécifique et sensible à 100 %.
IDEXX. (2017). SDMA for Puppies and Kittens. [Online]. Available at: https://www.idexx.co.uk/en-gb/veterinary/reference-laboratories/sdma/sdma-puppies-and-kittens/ [Accessed November 2, 2019]
Jonathan Elliott
Diplômé de l’école vétérinaire de l’Université de Cambridge en 1985, le professeur Elliott a effectué un internat à Philadelphie, à l’Université de Pennsylvanie En savoir plus
Hannah J. Sargent
Hannah Sargent est diplômée du Collège royal vétérinaire depuis 2013. Après avoir effectué un internat d’un an en petits animaux En savoir plus
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