COVID-19 : donner la priorité à l’équipe

L'auteure remercie Philippe Baralon, Lucile Frayssinet, Pere Mercader et Susie Samuel pour leur contribution à cet article.

Introduction 

En temps de crise, un bon leadership est encore plus important que lorsque vous et votre équipe naviguez en eaux calmes. Lorsque les choses se gâtent, le personnel attend davantage de son dirigeant ; il compte sur lui pour assurer sa sécurité, donner des directives et des orientations claires et établir des priorités dans les tâches à accomplir. Sous la menace actuelle du COVID-19, il est essentiel d'aborder la crise en équipe ; c’est en prenant soin des uns et des autres que vous pourrez prendre soin de vos clients pendant la pandémie et maintenir l’activité de la clinique, tant pendant qu'après la crise (Figure 1).

Sécurité physique du personnel

La première et la plus importante des questions est d'assurer la sécurité physique de toute l'équipe. Cela signifie que la clinique doit être réorganisée conformément aux règles nationales et aux directives de l'OMS ; il est conseillé de consulter régulièrement le site web du ministère concerné pour se mettre à jour. Pour assurer la sécurité de l'équipe, les mesures de base suivantes peuvent être prises :

• mettre autant de distance que possible entre les personnes, qu'il s'agisse des membres du personnel, des propriétaires d'animaux ou des livreurs ;
• porter des vêtements différents à la clinique et à la maison ;
• porter un masque facial au travail et dans les lieux publics (Figure 2) ;
• installer des écrans transparents comme barrière entre le personnel et les clients, par exemple à l’accueil ;
• éviter les poignées de main et autres contacts personnels étroits.

Si certaines personnes de l’équipe ont des problèmes de santé sous-jacents ou sont enceintes, vous devez à nouveau vous appuyer sur les directives des autorités locales ou nationales pour trouver des moyens de les éloigner des propriétaires d'animaux et du reste de l'équipe. N'oubliez pas que ces personnes ne doivent pas nécessairement cesser de travailler. Il est possible de leur affecter des rôles qui minimisent les contacts, tels que l’accueil téléphonique, les consultations de télémédecine ou l’actualisation du site web et des médias sociaux. Il s'agit souvent de tâches qui peuvent être effectuées à domicile, en supposant que l’équipement numérique et une bonne connexion à Internet soient assurés. Une vision globale de la clinique aidera à identifier les tâches qui nécessitent une présence physique dans la clinique et celles (incluant éventuellement de nouveaux services) qui peuvent être réalisées à distance. Il peut être utile de « sortir des sentiers battus » et de chercher des solutions innovantes dans certains domaines.

Sécurité émotionnelle du personnel

La deuxième question à aborder est votre bien-être émotionnel et celui de votre équipe. Vous pouvez la maintenir en développant des habitudes quotidiennes qui vous renforceront mutuellement et vous aideront à maintenir une motivation élevée. Une équipe est toujours composée d'individus ayant chacun un caractère différent, que l'on peut classer dans les grandes catégories suivantes :

• certains sont très résilients et font bien face au stress ;
• certains ont l'air résistants mais sont en fait très sensibles à la pression ;
• d'autres sont (très) sensibles aux situations de stress. 

Peu importe le type de personnes que vous avez dans l'équipe, et si elles montrent ou non leurs véritables émotions (ou si vous pouvez reconnaître les différents caractères) ; il y a une chose qui vous aidera vraiment, c'est d'être honnête et ouvert face à la situation. Avec la crise du COVID-19, n'essayez pas de minimiser les problèmes qui surviennent et de bercer les gens d'illusions ; votre équipe doit être votre plus grand atout : vous devrez aborder les changements nécessaires et faire les ajustements ensemble. Pour cela, il est essentiel de se rappeler que vous recevrez ce que vous donnerez. Cela signifie que si vous exprimez ouvertement vos préoccupations et vos inquiétudes, votre équipe fera sans doute de même et partagera ses réflexions. C'est essentiel pour trouver des solutions afin de faire face à la pandémie et rester motivé. Voici quelques idées pour renforcer l'esprit d'équipe et aider les membres les plus fragiles du personnel à mieux faire face à cette situation de stress.

• Organisez des réunions quotidiennes d’information et de discussion, soit en face à face, soit via des applications telles que Zoom ou Skype (Figure 3).
• Partagez des événements positifs et amusants qui se sont produits dans la journée par le biais d'applications de messagerie.
• Encouragez votre équipe à exprimer ses inquiétudes à propos de la situation, afin de trouver des solutions ensemble.
• Confirmez à chacun son importance et son utilité ; les gens veulent être impliqués, surtout dans les moments instables.

Vous pouvez ainsi créer un « espace de sécurité » pour vous et votre équipe pendant cette période critique. Cela permettra à chacun de conserver l'énergie nécessaire pour maintenir un bon niveau de service à la clientèle et contribuera à éviter que les gens ne soient excessivement anxieux à propos de ce qui pourrait arriver. Essayez de créer une vision positive de l'avenir « après le corona » qui implique votre équipe et montrez-leur les opportunités que cette situation unique, et dans l'instant très inconfortable, peut apporter (Figure 4). 

Evolution du management

Il existe de nombreuses options pour adapter votre clinique à la pandémie afin de conserver les clients, maintenir et sécuriser le chiffre d’affaires et entretenir un environnement de travail fonctionnel. Il est notamment possible de proposer les services suivants : consultations de télémédecine (voir également l’article de Susie Samuel sur ce site : « COVID-19 : la réponse télémédecine »), appels téléphoniques aux clients ayant des animaux atteints de maladies chroniques, livraison à domicile de médicaments, envoi d’un taxi pour les animaux… Réfléchissez et soyez créatif, en vous demandant ce qui pourrait être fait pour vous adapter à la situation. Notez ensuite vos idées et préparez le personnel aux changements, lentement et doucement. Il est important de ne pas rédiger une note de service en chargeant certaines personnes de mettre en œuvre vos idées. Le mangement de transition est un domaine très sensible de la direction et c'est pourquoi les entreprises internationales missionnent des consultants spécialisés pour aborder et superviser un changement d'orientation. Il est évident que cela ne concerne pas les petites entreprises mais le fait de connaître l'importance de cette question et d'adapter la façon dont vous communiquez avec l'équipe constitue un grand pas dans la bonne direction.

La plupart des gens n'aiment pas s'adapter à de nouvelles conditions de travail. Par conséquent, la nécessité de changer et d'adapter les habitudes quotidiennes à cause de la pandémie déstabilise tout le monde. Lorsque les gens sont confrontés au changement, ils essaient souvent d'échapper aux ajustements prévus :

ils trouvent des arguments (souvent très bons) pour refuser les solutions proposées ;
ils font la sourde oreille aux demandes alternatives ; même s’ils disent « oui », ils pensent « non » ;
ils s’opposent ouvertement au dirigeant, en disant clairement : « je ne ferai pas ça ! ».
Il existe de nombreuses nuances parmi ces comportements d'opposition et un temps précieux peut être perdu avant qu'il ne devienne évident que les gens ne vous suivront pas. La bonne nouvelle, c’est que quelque chose peut être fait et dans ce contexte, le mot clé est « implication ». Cela signifie qu'au lieu de toujours choisir l’approche descendante (en proposant vous-même de nouvelles idées et en demandant ensuite à l'équipe de les réaliser), il faut essayer quelque chose de différent. Réunissez tout le monde, physiquement ou à distance, présentez les problèmes à aborder puis demandez de trouver des solutions. Si vous ne faites pas d’habitude ce genre de réunion, les gens auront peut-être besoin de temps pour s'adapter au processus mais en retour, l’équipe sera plus engagée et motivée. De plus, et c'est important, les solutions que les gens suggèrent sont normalement des solutions qu'ils sont aussi prêts à mettre en œuvre et à adopter.

Après une séance de brainstorming, une certaine résistance peut quand même subsister et, en tant que leader, vous devrez exercer une légère pression pour que les choses se fassent. C'est cependant une bien meilleure méthode pour impliquer l'équipe et faire avancer les choses efficacement plutôt que de simplement déléguer ou dicter vos propres idées.

Questions relatives au personnel
En supposant que vous vouliez conserver la même équipe, il est probablement nécessaire de commencer à réfléchir à la manière dont il serait possible d'adapter la main-d'œuvre (et de réduire les coûts) sans licencier personne (voir également les articles de Philippe Baralon, Lucile Frayssinet et Pere Mercader sur ce site : « COVID-19 : votre entreprise en soins intensifs » et « Stratégie financière pour surmonter le COVID-19 »), par exemple :

en réduisant le temps de travail, sans créer de problèmes financiers aux individus ;
en reportant le versement des primes, en accord avec les employés ;
en encourageant le personnel à prendre des congés maintenant plutôt que lorsque l'entreprise sera à nouveau pleinement opérationnelle ;
en substituant des tâches actuellement peu importantes par des tâches qu'il est prévu d'aborder depuis longtemps ou en développant de nouveaux services, par exemple des téléconsultations ;
en ajustant la rotation du personnel.
Pour toutes les questions relatives au personnel, il est essentiel que vous soyez honnête et ouvert, et que toute l'équipe soit impliquée dans la résolution et la gestion des problèmes, comme nous l'avons vu plus haut. Il n'est pas nécessaire de communiquer tous les chiffres mais il peut être judicieux de présenter à l'équipe l'équilibre général des recettes et des dépenses afin de lui permettre de mieux comprendre la situation. Les membres de l’équipe peuvent penser que leur patron est très riche parce qu'ils voient le chiffre d’affaires quotidien mais ils n'ont souvent aucune idée du coût de fonctionnement de la clinique. La transparence peut donc aider à faire passer le message suivant : « nous sommes tous dans le même bateau, alors voyons quels changements nous pouvons apporter ensemble pour que l'entreprise continue de fonctionner ».

La crise peut affecter la clinique au point qu'il sera nécessaire de se séparer de certaines personnes et il n'y aura probablement pas moyen de faire autrement. Dans certains pays, le gouvernement aide à réduire les coûts salariaux et il faut donc toujours actualiser ses informations à ce sujet ; si l'aide est insuffisante ou inexistante, il faut alors élaborer un plan et le communiquer à l'équipe. Voici quelques idées pouvant aider à réduire les coûts, au moins pendant un certain temps.

Envisagez de réduire les salaires de chacun dans le but de garder toute l’équipe.
Vérifiez quelles personnes ont d'autres sources de revenus et pourraient se débrouiller si elles étaient temporairement licenciées.
Bien sûr, si de l'argent est économisé sur la masse salariale, il faudra régulariser la situation à long terme mais une réduction des coûts en accord avec votre équipe peut grandement aider l'entreprise à court terme.

Une fois la situation financière actualisée et les décisions prises, il est temps de parler à vos collaborateurs ; là encore, il vaut mieux être ouvert et honnête, et impliquer l'équipe dans les questions qui les concernent tous. Les discussions sur les sujets financiers individuels, telles que le salaire ou d'autres questions personnelles, doivent toutefois être menées entre le dirigeant et la personne concernée, dans le cadre d’un entretien privé.

Problèmes organisationnels et stratégiques
La pandémie complique la vie des vétérinaires ; les habitudes quotidiennes et l'organisation des tâches sont perturbées et nous sommes tous mis au défi d'analyser notre flux de travail, de nous ajuster et de faire des compromis. Le confort qui découle du respect d’une routine familière a disparu et à la place, de nouveaux problèmes à résoudre peuvent apparaître chaque jour : pénurie de personnel et de fournitures, baisse spectaculaire des recettes, insécurité quant à la durée de cette situation, etc. Mais une crise peut également offrir certaines opportunités, comme par exemple vous stimuler à prendre des décisions et faire des ajustements pour l'entreprise, qu’il s’agisse du personnel, de la stratégie ou de l’organisation ; tous ces sujets pour lesquels nous pensions généralement : « je m’en occuperai un jour mais maintenant je suis trop occupé ». Si vous et votre équipe n'avez vraiment pas le temps de faire le point, ne vous inquiétez pas ; mais si la charge de travail est réduite parce que moins de clients se présentent à la clinique, utilisez ce temps de manière productive pour examiner en détail l'organisation du travail à la clinique. Il est également pertinent de commencer à réfléchir à la manière de sortir de la crise et d'envisager les changements et les adaptations stratégiques qui pourraient être faits, incluant les nouveaux services. Les points suivants pourraient être envisagés :

• Évaluez les tâches quotidiennes des différents services de votre clinique, tels que l’accueil téléphonique et physique, les consultations et les traitements, la gestion des médicaments et des fournitures, etc. Vérifiez que les protocoles et les responsabilités attribués correspondent vraiment aux besoins réels de votre entreprise. Sinon, saisissez l'occasion pour changer des choses dès maintenant.
• Vérifiez la qualité du service à la clientèle dans votre clinique en faisant appel à des « clients mystère » (par téléphone ou par des consultations physiques) ; obtenez ainsi des informations sur vos points forts et vos points faibles, et mettez en place un programme de formation pour assurer un service de qualité.
• Examinez le site web de la clinique et vos comptes sur les médias sociaux ; vérifiez si le contenu et les informations sont actualisés, intéressants et adaptés à vos clients, et si les images sont de bonne qualité.
• Analysez le système de gestion de la clinique pour identifier les services, les médicaments et les fournitures les plus demandés, ainsi que ceux qui pourraient être supprimés. De cette façon, vous et votre équipe pourrez vous concentrer pleinement sur ce qui est important et améliorer la profitabilité (Figure 5).
• Regardez le paysage vétérinaire local et les changements qui se sont produits au cours des 2 ou 3 dernières années. Cherchez à savoir si certains services pourraient être proposés ; par exemple, l’arrivée de familles jeunes avec des animaux domestiques dans des nouveaux logements peut entraîner une demande pour une école du chiot ; s'il y a une importante population de personnes âgées à proximité, avec de nombreux chats d'intérieur, des visites à domicile pourraient être bienvenues.
• Rassemblez votre équipe pour faire un exercice SWOT : analysez les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces. Créez ensuite une liste de choses à faire, hiérarchisez et mettez en évidence certaines tâches, définissez des délais, assignez-les à des personnes et faites-les travailler.

La pandémie du COVID-19 est le plus grand défi auquel le monde a été confronté depuis de nombreuses décennies et presqu’aucune entreprise ne sera à l'abri de son impact. Dans chaque clinique vétérinaire, il est essentiel que le dirigeant soit proactif pour s'assurer que la priorité est donnée à la sécurité et au bien-être de chacun, et qu'une bonne communication est maintenue à tout moment. Savoir introduire prudemment de nouvelles méthodes de travail et évaluer la pression et le stress que les individus ressentent en ce moment vous aidera, vous et votre équipe, à rester motivés et concentrés. Planifiez soigneusement, prenez des décisions judicieuses et profitez de cette occasion pour préparer l'avenir.