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Numéro du magazine 1 Communication

Pourquoi investir dans la communication ? (partie 3)

Publié 06/02/2020

Ecrit par Miguel Ángel Díaz , Iván López Vásquez , Cindy Adams et Antje Blättner

Aussi disponible en Deutsch , Italiano , Português , Română , Español et English

Nous sommes convaincus qu'une bonne communication avec les propriétaires d'animaux et le personnel contribue à notre équilibre de vie et à prévenir le burn out, ainsi que d'autres troubles psychologiques. Ceci est une raison inattendue mais très valable de nous inciter à améliorer notre capacité à communiquer. Cette partie fait l'inventaire des nombreux bénéfices d'une bonne communication.

Pourquoi investir dans la communication ? (partie 3)

Points Clés

Les connaissances médicales ne font pas tout. Si vous ne pouvez pas communiquer correctement, vous ne serez pas satisfait et vos clients non plus. Une communication efficace est aussi une compétence clinique.


Les bénéfices d’une bonne communication

Introduction : l’histoire de Madeleine

Madeleine, une femme de 83 ans, est la propriétaire de Keiko, un chat de 13 ans atteint d’insuffisance rénale chronique. Elle est considérée comme très anxieuse et un peu « difficile » par l’équipe de la clinique ; des malentendus et des conflits se sont souvent produits avec elle.

Tout a commencé à changer il y a 6 mois, quand Victor (un vétérinaire) est arrivé à la clinique. Madeleine l’a tout de suite préféré aux autres et aujourd’hui, c’est lui qui suit Keiko.

La question que tous ses collègues se posent est : « comment est-il possible que Victor soit devenu son favori ? Il est le plus jeune de l’équipe, il n’est pas spécialiste des chats et son expérience clinique est encore limitée. »

Le directeur de la clinique a voulu comprendre. Il a demandé à Madeleine, lors d’une de ses visites : « Pourquoi préférez-vous que ce soit Victor qui voit Keiko à chaque fois ? ». Sa réponse fut très simple : « J’aime lui parler parce que Victor semble joyeux, je peux affirmer qu’il adore ce qu’il fait. Il est gentil avec moi et avec Keiko. Il m’encourage et nous nous comprenons bien… et depuis quelques mois qu’il s’occupe de Keiko, mon chat va mieux ».

Ce genre de réponse ne devrait pas nous surprendre parce que les gens qui communiquent bien génèrent d’excellentes interactions qui ne peuvent que profiter aux clients, aux patients, à l’équipe, à la clinique et à eux-mêmes.

Bénéfices émotionnels pour les vétérinaires

Viser le bien-être et éviter le burn out 

Le bien-être émotionnel des vétérinaires est un aspect fondamental de leur réussite professionnelle.
Figure 1. Le bien-être émotionnel des vétérinaires est un aspect fondamental de leur réussite professionnelle.

Le bien-être émotionnel des vétérinaires est un aspect fondamental de leur réussite professionnelle. Une communication efficace est un moyen de l’atteindre (Figure 1).

C’est une triste réalité : en médecine vétérinaire, les incidences du burn out et du suicide sont plus élevées que dans l’ensemble de la population 1.

Le burn out est un état émotionnel qui reflète une accumulation excessive de stress chez l’individu, au point qu’il n’arrive plus à faire face aux situations quotidiennes 2. Epuisement, tendance au cynisme et baisse des capacités apparaissent alors. Certaines personnes peuvent même atteindre un stade d’impuissance acquise, où elles se sentent incapables de faire quoi que ce soit qui pourrait améliorer la situation 3 4.

Les raisons profondes et les facteurs favorisant ce phénomène pourraient être explorés mais il est préférable d’adopter une approche optimiste et de chercher des solutions.

Actuellement, le bonheur et le bien-être chez l’Homme (ces deux notions ne sont pas distinguées dans ce document) sont largement pris en compte par la psychologie positive, qui promeut l’étude scientifique des émotions positives et se concentre sur les caractéristiques positives des individus et des institutions 2 5.

Qu’est-ce que le bien-être ?

Le bonheur consiste à « ressentir fréquemment des émotions positives et rarement (ce qui ne veut pas dire jamais) faire l’expérience d’émotions négatives » 2 6.

Etre heureux ne signifie pas nécessairement garder en permanence le sourire. Cela impliquerait plutôt d’être capable d’apprécier et de savoir comment expliquer positivement les expériences quotidiennes, sans oublier que la vie continuera à nous mettre à l’épreuve mais en sachant que des émotions positives sont nécessaires pour le supporter.

Aujourd’hui, nous savons que les émotions positives peuvent compenser les effets physiologiques des émotions négatives 2 10.

Vous êtes-vous déjà demandé : « A quel point suis-je heureux ? ». Si vous évaluez votre bien-être à un niveau élevé, les bénéfices vous aideront à éviter le burn out. Certains sont listés ci-dessous :

a. Haute estime personnelle. Les gens heureux tendent à avoir une plus haute estime d’eux-mêmes 6.

b. Meilleure santé physique et mentale. Le bien-être peut influencer la santé en stimulant des réponses à court terme (stimulation du système immunitaire, tolérance à la douleur) et le métabolisme à long terme (meilleur fonctionnement cardio-vasculaire, allongement de l’espérance de vie). Il peut aussi neutraliser les effets du stress aigu (par exemple en augmentant la réactivité cardiaque) ainsi que ceux des maladies chroniques (en ralentissant l’évolution de la maladie et en augmentant la survie) 7.

c. Longévité. Les effets enregistrés sur le bien-être subjectif (BES) et la santé ne sont pas négligeables ; ils sont même très importants quand on les considère à l’échelle de la société. Un BES élevé ajoute 4 à 10 ans d’espérance de vie par rapport à un BES bas 8.

d. Meilleure productivité, meilleures relations et plus de satisfaction professionnelle. Un état d’esprit positif au travail va de pair avec moins de licenciements et de problèmes au sein de l’organisation, une plus forte implication citoyenne et un risque moindre de surmenage professionnel 6.

Améliorer l’estime de soi et de sa propre efficacité quand on est vétérinaire

A propos de Victor, Madeleine a dit : « J’aime parler avec Victor parce qu’il semble joyeux, je peux affirmer qu’il adore ce qu’il fait et il est gentil avec moi et avec Keiko. Il m’encourage… ». Les experts disent que la perception de vos clients est la réalité, aussi le commentaire de cette cliente doit être pris très au sérieux.

Les vétérinaires sont très sensibles à l’évaluation de leur valeur, particulièrement par les propriétaires, par leurs pairs ou par les spécialistes. Cela augmente leur motivation parce que c’est intimement lié au sentiment qu’ils ont d’avoir atteint leur objectif, d’avoir su relever un défi, d’avoir progressé professionnellement et d’être reconnus pour ce qu’ils sont 9.

Un vétérinaire empathique et qui construit un bon relationnel avec ses clients peut obtenir de meilleurs résultats médicaux car il valorise mieux ses compétences. Il fait donc progresser aussi bien son estime personnelle (ce qu’il pense et sent à propos de lui-même) que son efficacité (confiance en soi pour obtenir des résultats).

Même s’il est évident que Victor est content des résultats qu’il obtient, peut-on dire que « c’est parce que Victor est heureux qu’il communique mieux et qu’il obtient ces résultats ? ».

Pour tenter de relier le bonheur individuel à la communication efficace, revenons sur certaines conclusions de Barbara Frederickson, dans sa théorie du développement personnel (« Broaden & Build ») 2 10. Selon elle, les émotions positives sont la clé du fonctionnement optimal de l’individu et de la société (Figure 2). Les gens les plus heureux voient leurs ressources sociales prospérer parce que le bonheur facilite l’établissement de nouveaux liens et le renforcement des liens existants, ce qui est essentiel quand il s’agit d’interagir avec des propriétaires (nouveaux et anciens). 

Théorie du développement personnel (« Broaden & Build ») : les émotions positives sont la clé du bon fonctionnement individuel et social ( 2 ).
Figure 2. Théorie du développement personnel (« Broaden & Build ») : les émotions positives sont la clé du bon fonctionnement individuel et social ( 2 ).

Les autres ressources qui se développent sont d’ordre intellectuel (meilleure capacité à résoudre des problèmes et à retenir des informations), physique (meilleure coordination, plus de force, récupération cardio-vasculaire plus facile) et psychologique (plus de résilience et d’optimisme).

Si une personne se sent heureuse, son langage corporel le montrera, ce qui est bien car les gens aiment interagir avec quelqu’un d’optimiste. N’oubliez pas que plus de 80 % de notre communication est non verbale et que le bonheur peut influencer positivement les trois piliers d’une communication efficace : le contenu (ce que je dis), la forme (comment je le dis) et la perception (comment sont perçus « ce que je dis » et « comment je le dis »).

Les succès des experts en communication sont étayés par des preuves scientifiques 11. Lors de leurs interactions, ils récoltent les bénéfices suivants :

1. Des consultations plus efficaces pour les clients, les patients et les vétérinaires
2. Plus de précision
3. Plus d’efficacité et meilleurs résultats pour la clinique et le vétérinaire
4. Plus de soutien et de confiance
5. Meilleure coordination des traitements entre les clients, les collègues, l’équipe, etc.
6. Davantage de satisfaction des personnes impliquées
7. Meilleure compréhension et plus de retours des clients
8. Meilleurs adhésion et suivi, en clair meilleure observance
9. Plus de sécurité pour les patients et moins de risques d’erreurs
10. Moins de conflits et de réclamations.

Un vétérinaire qui peut obtenir ces bénéfices ressentira des émotions positives à plus grande fréquence et il les appréciera dans son cerveau (dans le lobe préfrontal gauche), ce qui renforcera sa tendance à envisager les choses de manière optimiste. Il tirera des enseignements positifs de ses expériences quotidiennes (mode explicatif optimiste), fera croître son estime de lui, son efficacité, sa satisfaction professionnelle et son engagement (lien émotionnel positif avec son métier) en cultivant le cercle vertueux du bien-être.

L’inverse se produit avec des collègues qui sont de moins bons communicants et qui n’obtiennent pas d’aussi bons résultats que Victor. Ils finissent par ruminer les émotions négatives qu’ils génèrent, augmentant ainsi la probabilité de troubles de la régulation émotionnelle tels que le burn out.

Meilleure observance : bénéfique pour le client, l’animal et le praticien

Dans le commentaire de Madeleine à propos de Victor, un autre élément donne des clés intéressantes : « … nous nous comprenons bien… et depuis quelques mois qu’il s’occupe de Keiko, mon chat va mieux ». 

Un client qui comprend, coopère et s’intéresse aux conseils donnés par son vétérinaire est quelqu’un qui respecte et adhère aux traitements recommandés. Les patients tels que Keiko en bénéficient parce qu’ils reçoivent les meilleurs soins pour leur santé et leur bien-être.

Lorsqu’un client se sent à l’aise avec le vétérinaire, en confiance, qu’il se sent écouté et compris (en termes d’attentes, d’opinions et de ressentis), qu’il comprend ce qui lui est recommandé et que son animal va mieux, le rêve est sans aucun doute devenu réalité ! C’est aussi très positif pour le vétérinaire parce qu’il peut compter sur l’implication du propriétaire et sur l’observance de ses recommandations.

Des études montrent que, pour augmenter l’observance, les vétérinaires doivent faire leur autocritique et réaliser qu’ils ne communiquent pas aussi bien qu’ils le pensent. Les propriétaires leur reprochent fréquemment, par exemple, de n’avoir pas bien expliqué les procédures, de n’avoir pas donné toutes les instructions pour le suivi de l’animal, de n’avoir pas donné clairement les conclusions de l’examen clinique et de n’avoir pas permis de comprendre le pronostic.

Bénéfices pour le manager et son équipe

Les dirigeants qui communiquent efficacement avec leurs équipes génèrent un climat de travail positif qui induit de meilleurs résultats économiques pour la société. Ils recherchent et inspirent un « capital psychologique positif » pour leurs salariés (efficacité personnelle, optimisme et résilience). 

Au fur et à mesure que leurs compétences s’accroissent, les vétérinaires doivent se lancer de nouveaux défis pour ne pas tomber dans la routine et l’ennui ( 9 ).
Figure 3. Au fur et à mesure que leurs compétences s’accroissent, les vétérinaires doivent se lancer de nouveaux défis pour ne pas tomber dans la routine et l’ennui ( 9 ). © Sandrine Fontègne

Les dirigeants qui sont de bon communicants optimisent leur temps, organisent des réunions efficaces, donnent et demandent souvent l’avis de leurs collaborateurs et, plus que les erreurs, ils identifient et renforcent positivement les comportements et les résultats intéressants au sein de l’équipe. Pour améliorer les performances de leurs salariés et les empêcher de s’ennuyer ou de devenir anxieux au travail, ils les inspirent et les impliquent dans des défis appropriés et stimulants. Ils les invitent à s’intégrer dans un flux produisant un état émotionnel positif au travail et leur proposent des tâches intéressantes, qui demandent de la concentration, avec des objectifs clairs, afin qu’ils soient impliqués, absorbés et complètement immergés. De temps en temps, ils leur proposent de nouveaux défis tels que « C » et « E » (comme montre la (Figure 3)).

Une équipe dont les membres communiquent efficacement améliore son niveau de performance : elle suit et met en place des protocoles médicaux mieux adaptés aux patients et aux clients, elle fait attention aux détails et fait moins d’erreurs. Les membres de l’équipe interagissent en permanence et échangent leurs impressions. Ils deviennent sources d’information, de progrès et d’idées très intéressantes pour le dirigeant et pour la structure.

Le modèle de meta learning de Marcial Losada a montré mathématiquement que des connexions et des interactions positives au sein d’une équipe amélioraient les performances 10 12. Entre des équipes à basse ou haute performance, la différence s’explique en partie par la connectivité et le ratio de critique positive. La connectivité est le nombre de communications établies entre les membres de l’équipe. Le ratio de critique positive est un élément essentiel pour créer un espace émotionnel.

Sa conclusion s’exprime dans la ligne de Losada. Quand le ratio de critique positive atteint 2,9 pour 1, la connectivité de l’équipe augmente. En d’autres termes, quand il y a 2,9 fois plus d’interactions pour « soutenir, encourager et approuver » que d’interactions « sarcastiques, cyniques et critiques » entre les collègues, l’équipe commence à travailler mieux et à améliorer ses résultats. Le ratio maximal observé était de 5,6 pour 1.

Bénéfices économiques

De nombreux bénéfices économiques résultent d’une communication efficace et celle-ci crée aussi de la valeur pour le client, dans une proportion variable selon les situations.

Le client reçoit les meilleurs traitements et recommandations du vétérinaire pour son animal. Leur investissement commun dans la santé de l’animal se concentre sur le diagnostic précis qui a été fait alors que s’il avait été moins précis, il aurait entraîné l’achat de produits et de services non nécessaires.

Les vétérinaires fidélisent les clients satisfaits, qui comprennent cet enjeu économique. Puisque le bien-être des animaux est amélioré grâce à la qualité des soins prodigués, résultant de l’adhésion aux recommandations médicales, la perception positive des qualités professionnelles du vétérinaire est renforcée. Les propriétaires recommandent alors leur vétérinaire à leurs amis et à leurs contacts.

Quand l’équipe médicale obtient des clients qu’ils suivent ses conseils, le dirigeant de la clinique vétérinaire peut utiliser son temps plus utilement qu’en répondant aux réclamations des clients. Si la structure peut fournir les services ou les produits recommandés, des bénéfices économiques supplémentaires sont générés par ces demandes additionnelles. Enfin, si les salariés sont plus satisfaits de leur travail au quotidien, le turnover diminue, ce qui améliore la rentabilité de la clinique ainsi que son image auprès des clients.

Bibliographie

  1. Wallace JE. Burnout, coping and suicidal ideation: An application and extension of the job demand-control-support model. Journal of Workplace Behavioral Health 2017;32(2):99-118.
  2. Diplomate Positive Psychology. From Emotional Intelligence Institute-Enhancing People, Santiago Chile, 2010.

  3. https://positivepsychologyprogram.com/stress-management-techniques-tips-burn-out/

  4. Peterson C, Maier SF, Seligman MEP. (1995) Learned Helplessness: A Theory for the Age of Personal Control. New York: Oxford University Press. ISBN 0-19-504467-3

  5. Seligman Martin. La Auténtica Felicidad, 2011. Ediciones B. S.A.

  6. Lyubomirsky S, King L, Diener E. The Benefits of Frequent Positive Affect: Does Happiness Lead to Success? Psychological Bulletin Copyright 2005 by the American Psychological Association 2005;131(6):803-855.

  7. Howell RT, Kern ML, Lyubomirsky S. Health benefits: Meta-analytically determining the impact of well-being on objective health outcomes. Health Psychology Review 2007;1(1):83-136.
  8. Diener ED, Chan M. Happy People Live Longer: Subjective Well-Being Contributes to Health and Longevity. Applied Psychology: Health and Well-being, 2011;3(1):1-43.

  9. Csikszentmihaly M. Fluir en los negocios, Liderazgo y creación en el mundo de la empresa. Ed. Kairos, 2003.

  10. Frederickson B, Losada M. Positive affect and the complex dynamics of human flourishing. American Psychologist 2005;60(7):678-686.
  11. Adams C, Kurtz S. Skills for Communicating in Veterinary Medicine. Otmoor Publishing, Oxford and Dewpoint Publishing, New York 2017.

  12. Losada M, Heaphy E. The role of positivity and connectivity in the performance of business teams: A nonlinear dynamics model. American Behavioral Scientist 2004;47(6):740-765.
Miguel Ángel Díaz

Miguel Ángel Díaz

Miguel est vétérinaire diplômé depuis 1990. Après avoir travaillé dans différentes cliniques, il a ouvert sa propre structure en 1992 En savoir plus

Iván López Vásquez

Iván López Vásquez

Iván vient d’une famille de vétérinaires : son père et son frère aîné partagent la même passion. Il a obtenu son diplôme à l’Université de Concepción En savoir plus

Cindy Adams

Cindy Adams

Cindy Adams est professeure au Département de Clinique Vétérinaire et Sciences Diagnostiques, à la Faculté de Médecine Vétérinaire de l’Université de Calgary En savoir plus

Antje Blättner

Antje Blättner

La Dre Blaettner a grandi en Afrique du Sud et en Allemagne et a obtenu son diplôme en 1988 après avoir étudié la médecine vétérinaire à Berlin et à Munich. En savoir plus

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