Numéro du magazine 23.2 Nutrition
Les fibres alimentaires : l’arme secrète du clinicien
Publié 05/07/2023
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Le terme de fibre est utilisé quotidiennement à propos de l’alimentation des animaux mais que recouvre-t-il réellement ? Adam Rudinsky dresse ici un tableau général des fibres alimentaires.
Points clés
Les fibres alimentaires jouent un rôle majeur dans le maintien de la santé générale d’un animal, en particulier au niveau gastro-intestinal.
La quantité de fibres présentes dans les aliments du commerce pour animaux de compagnie varie beaucoup et il est parfois difficile d’interpréter le taux de fibres mentionné sur l’étiquetage.
L’intérêt d’une alimentation riche en fibres pour contrôler des diarrhées aiguës et chroniques est prouvé, en particulier lors de colite, mais le type de fibre, la quantité et la durée d’administration idéaux restent mal connus.
Des éléments de preuves montrent que les fibres peuvent être utiles dans certains cas d’entéropathie (intestin grêle) ou d’entérocolopathie (affection mixte).
Introduction
La santé générale des animaux et le maintien de l’homéostasie du tube digestif (TD) sont fortement influencés par les fibres alimentaires, qui appartiennent à un groupe hétérogène de glucides non digestibles 1. Dans l’intestin, les fibres servent principalement à modifier la structure physique du digestat, à moduler l’appétit et la satiété et à réguler la digestion. Leur fermentation fournit aussi de l’énergie au microbiote intestinal. L’influence des fibres alimentaires se fait également sentir au niveau général et, comme l’illustre la Figure 1, elles peuvent exercer des effets bénéfiques dans tout l’organisme 1. Cet article présente les rôles des fibres, leurs avantages pour la santé, leur mode d’affichage sur les aliments pour animaux de compagnie, ainsi que leur intérêt clinique chez les chiens et les chats présentant des affections gastro-intestinales. L’objectif est d’apporter des informations pertinentes et utilisables en pratique vétérinaire
Caractéristiques fondamentales des fibres
Les propriétés physicochimiques qui distinguent les différentes sources de fibres alimentaires, notamment la fermentescibilité, la solubilité et la viscosité, sont importantes à connaître car elles peuvent nous renseigner sur leurs propriétés fonctionnelles potentielles. Comprendre comment les fibres sont classées est utile dans de nombreuses situations cliniques : il faut en effet d’abord connaître les caractéristiques des différents types de fibres pour pouvoir ensuite les utiliser pour modifier l’équilibre alimentaire des animaux.
La fermentescibilité des fibres désigne leur capacité à être chimiquement décomposées par les micro-organismes du TD. Selon leur origine, les fibres peuvent être non-fermentescibles, lentement fermentescibles, modérément fermentescibles ou rapidement fermentescibles. La fermentation produit de nombreux métabolites, en particulier des acides gras à chaîne courte (AGCC) dont le rôle dans la santé, à la fois digestive et générale, est très important 1. Les fibres hautement fermentescibles favorisent généralement une diminution du temps de transit intestinal, une réduction du volume fécal et une augmentation de la production d’AGCC et d’autres métabolites 1,2. La cellulose et l’hémicellulose sont des exemples de fibres peu (ou lentement) fermentescibles, qui progressent dans le TD sans que leur structure ne soit trop modifiée : elles contribuent à augmenter le volume fécal 2. En revanche, les pectines et les gommes sont typiquement des fibres hautement fermentescibles, qui produisent une quantité élevée d’AGCC.
La solubilité d’une source de fibres est basée sur sa capacité à se disperser dans l’eau et cette propriété permet à la fibre de créer un gel visqueux dans le TD. Selon les sources, les fibres peuvent être totalement solubles ou complètement insolubles 1. La solubilité et la fermentescibilité sont des qualités qui sont souvent associées : les fibres rapidement fermentescibles (telles que les pectines et les gommes) sont généralement les plus solubles, tandis que les fibres faiblement fermentescibles (cellulose, hémicellulose) figurent parmi les plus insolubles.
La viscosité évalue la capacité des fibres à s’épaissir et à former des gels en solution. Là encore, ce critère varie considérablement d’un type de fibre à l’autre mais une viscosité importante concerne généralement un sous-ensemble de fibres solubles. La viscosité des fibres disparaît au cours des fermentations. Par conséquent, les fibres solubles qui sont lentement fermentescibles (comme le psyllium) sont celles qui conservent le plus longtemps la capacité de former un gel dans le TD*.
* https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/apt.15129
Les fibres dans l’étiquetage des aliments
Comme indiqué précédemment, les fibres sont des glucides non-digestibles. Ces glucides et leurs métabolites (tels que les AGCC) représentent au maximum 5 % de l’énergie contenue dans les aliments pour chiens et chats. Du fait de cette faible contribution, les fibres alimentaires ne sont pas considérées comme des nutriments indispensables et, parmi les institutions qui élaborent des recommandations nutritionnelles pour les chiens et les chats, nombreuses sont celles qui ne recommandent pas d’apport minimum en fibres. Cette absence de préconisation repose sur des études de courte durée qui n’ont pas montré d’effet indésirable chez les chiens nourris avec des régimes sans glucides 3,4.
Un excès de fibres alimentaires risque d’entraîner une baisse de l’absorption des minéraux, un faible apport calorique et l’apparition de troubles gastro-intestinaux, tels que la diarrhée, des crampes et des ballonnements 1. Aucune étude publiée ne fait cependant état de déficits nutritionnels consécutifs à un excès de fibres chez des chiens et des chats nourris avec des aliments complets et équilibrés du commerce. À l’inverse, une carence en fibres peut entraîner des troubles digestifs et systémiques mais, dans ce cas, la carence semble être relative aux besoins de l’animal plutôt qu’absolue. D’un point de vue clinique, cette situation s’observe surtout chez les animaux pour lesquels une augmentation de la teneur en fibres alimentaires contribue à atténuer les troubles digestifs. Sur la base de ces informations, lorsque des chiens et des chats en bonne santé reçoivent des aliments pour animaux de compagnie du commerce, une carence ou un excès de fibres sont peu probables.
Plusieurs analyses permettent de doser les fibres alimentaires et l’étiquetage des aliments pour animaux de compagnie mentionne en général la teneur en cellulose brute (CB), mais aussi parfois la quantité de fibres alimentaires totales (total dietary fiber : TDF), les fibres alimentaires insolubles et les fibres alimentaires solubles. La déclaration de la CB prévaut dans certains pays en raison de son caractère règlementairement obligatoire mais elle ne décrit pas avec précision la quantité de fibres présente dans un aliment. En effet, elle mesure surtout la teneur en fibres insolubles et tient peu compte de la teneur en fibres solubles 5. C’est pourquoi le TDF est devenu la norme en alimentation humaine et cette analyse est maintenant recommandée aussi par les vétérinaires nutritionnistes 5. Si la valeur du TDF d’un aliment n’est pas indiquée, le vétérinaire et le propriétaire doivent savoir que les autres valeurs relatives aux fibres alimentaires (en particulier celle de la CB) sont très peu informatives (Figure 2).
Place des fibres dans les programmes nutritionnels
La mesure du TDF dans les aliments pour chiens et chats varie beaucoup : il va de 0,1 g/100 kcal à plus de 11 g/100 kcal. En général, les aliments secs vétérinaires à visée digestive, incluant les aliments à base de protéines hydrolysées et hautement digestibles, fournissent peu de fibres alimentaires (TDF : 1,0-2,5 g/100 kcal). Les aliments spécifiquement formulés pour les affections gastro-intestinales répondant aux fibres contiennent souvent plusieurs sources de fibres et la teneur totale en fibres est plus élevée (TDF : 4,5-6,0 g/100 kcal pour les chiens et 2,6-2,9 g/100 kcal pour les chats). Les plus hauts niveaux de fibres sont généralement associés aux aliments formulés pour contrôler le poids (TDF : 7,5-11,0 g/100 kcal pour les chiens et 4,6-7,6 g/100 kcal pour les chats).
Les fabricants sérieux d’aliments pour animaux de compagnie proposent des produits complets et équilibrés, et les types et les niveaux de fibres utilisés sont normalement précisés dans l’analyse. Lorsqu’un aliment riche en fibres n’est pas disponible, une alternative consiste à ajouter des fibres à un aliment de base complet et équilibré. Si le clinicien choisit cette approche, il doit connaître les inconvénients associés, notamment les difficultés d’administration, le manque d’appétence et le risque de déséquilibrer le régime si la complémentation est mal faite. Les sources de fibres les plus fréquemment utilisées en complément sont les coques de psyllium (Figure 3) ; elles sont préférables aux compléments alimentaires tels que les boîtes de citrouille en conserve par exemple (Figure 4), à cause de la différence de concentration en fibres de ces sources. Le taux de fibres contenu dans la citrouille en conserve est moins élevé que celui des coques de psyllium et il faut donc en distribuer un volume beaucoup plus important 1. Les doses précises de fibres à administrer pour obtenir un effet clinique particulier sont encore mal connues et peu de données sur ce sujet sont disponibles chez le chien et le chat. Seule une étude faite sur des chiens présentant une colopathie répondant aux fibres a montré l’intérêt d’une dose quotidienne médiane de 30 mL (2 cuillères à soupe) de fibres de psyllium et la fourchette allait de 3,75 à 90 mL (0,25 à 6 cuillères à soupe) 6. Un tel mode de supplémentation en fibres est largement empirique et son efficacité sera évaluée par la réponse clinique (Figure 5). Les cliniciens doivent également se rappeler que supplémenter avec une seule source de fibres peut ne pas apporter les mêmes avantages cliniques qu’un régime alimentaire qui associe plusieurs sources de fibres. Enfin, lors de supplémentation en fibres, la quantité apportée sera augmentée très progressivement pour éviter les effets indésirables qui apparaissent fréquemment lors d’un changement alimentaire rapide (Figure 6).
Effets sur la digestion et bénéfices pour la santé
Les fibres influencent la vitesse de vidange gastrique, le temps de transit intestinal, le volume et l’humidité des fèces, le métabolisme bactérien et la sécrétion de mucus (Figure 1) 1. Le plus souvent, les fibres solubles et visqueuses retardent la vidange gastrique et prolongent le temps de transit dans l’intestin grêle, tandis que les fibres insolubles augmentent en général le temps de vidange gastrique mais raccourcissent le transit dans l’intestin grêle et le côlon 1. La facilité d’exonération peut également être modifiée par les fibres alimentaires, selon leur capacité à faire augmenter le volume et le poids des selles (Figure 1). Les fibres solubles et fermentescibles font augmenter le poids, l’humidité et la souplesse des fèces en modifiant leur pouvoir de rétention d’eau, leur teneur en matière sèche (MS) et leur concentration bactérienne. Les fibres insolubles, peu fermentescibles, augmentent le volume fécal en favorisant la rétention d’eau et le gonflement de la MS 1. Selon les études, les différents types de fibres utilisés chez les chiens et les chats font cependant souvent varier les effets attendus 1 ; lorsqu’il enrichit le régime avec des fibres alimentaires, le vétérinaire doit savoir que des réponses atypiques sont possibles.
Les fibres peuvent également faire diminuer la digestibilité d’un aliment. Cet effet est observé avec les fibres lentement fermentescibles qui mettent plus de temps à être digérées dans le TD 2. Les fibres qui ont le plus de chances de modifier l’absorption des nutriments sont cependant les fibres fermentescibles et solubles, à cause de leur capacité à former des gels qui créent une barrière physique gênant la digestion des nutriments.
Les fibres prébiotiques et le microbiome intestinal
Les fibres alimentaires peuvent également jouer le rôle de prébiotiques. Ces fibres prébiotiques seront valorisées par les micro-organismes de l’hôte et les métabolites produits peuvent exercer des effets bénéfiques pour la santé 7. Les fibres prébiotiques influencent particulièrement le microbiome intestinal des chiens et des chats. Pour être considérée comme un prébiotique, la fibre doit résister à la digestion par les enzymes de l’hôte et favoriser la croissance des germes intestinaux symbiotiques plutôt que celle des bactéries pathogènes 7. Les oligosaccharides et l’inuline (provenant principalement de la chicorée) sont des fibres prébiotiques qui sont couramment incluses dans les aliments pour chiens et chats. Les études concernant les effets, les doses utiles et les synergies existant entre les prébiotiques et d’autres fibres alimentaires sur la santé des chiens et des chats font cependant défaut, et des recherches supplémentaires sont nécessaires.
Les métabolites issus de la fermentation des fibres jouent un rôle important dans l’évolution des populations microbiennes intestinales. Les AGCC produits par la fermentation bactérienne des fibres apportent de l’énergie non seulement au microbiote du côlon mais aussi à l’hôte, via la circulation portale 1. Dans l’intestin, ils contribuent localement au maintien d’un épithélium sain en régulant la prolifération bactérienne, en améliorant la circulation sanguine du côlon, en réduisant la dépendance à la néoglucogenèse et en empêchant la colonisation par des bactéries pathogènes (Figure 1). Au niveau général, les fibres prébiotiques ont des effets positifs sur le contrôle de la glycémie, l’expression des gènes, les mécanismes immunorégulateurs et la régénération neuronale 1. L’exploration approfondie des bénéfices locaux et généraux des prébiotiques constitue un domaine important de recherche chez le chien et le chat.
Effets systémiques et bénéfices pour la santé
Les fibres alimentaires diminuent la densité énergétique des aliments et favorisent la satiété, soulignant leur rôle dans le contrôle du poids 1. Enrichir l’alimentation en fibres insolubles permet de distribuer une ration plus volumineuse à l’animal sans augmenter l’apport calorique, tout en améliorant la satiété. Les résultats des études sur l’efficacité des fibres pour mieux contrôler le poids peuvent varier car de multiples paramètres sont à considérer mais les données disponibles incitent à enrichir l’alimentation en fibres pour mieux contrôler le poids et la satiété.
La composition en fibres et en macronutriments de l’alimentation influence également la glycémie postprandiale et la réponse insulinique (Figure 1) 1. Les fibres solubles et très visqueuses semblent être ici les plus efficaces car le gel qu’elles forment dans l’intestin freine l’absorption du glucose. Certaines études indiquent un meilleur contrôle de la glycémie et une diminution de l’hyperglycémie post-prandiale grâce à l’augmentation de la concentration en fibres alimentaires, solubles ou insolubles, qui sont décrites ailleurs 1. Moins d’études ont été menées chez le chat pour comprendre l’effet des fibres sur le contrôle de la glycémie dans cette espèce, et les résultats des deux publications actuellement disponibles sont contradictoires 1. Malgré les améliorations constatées dans certaines études, aucune n’a montré un effet suffisant au point de pouvoir baisser la dose d’insuline administrée ou de limiter les signes cliniques.
Le vieillissement des animaux s’accompagne de nombreux changements dans le TD : baisse de la digestibilité des protéines et des matières grasses, modifications du temps de transit intestinal, du métabolisme basal, des réponses postprandiales, des sécrétions intestinales et pancréatiques, et des réactions à l’activité physique. Une supplémentation en fibres pourrait être utile pour optimiser le temps de transit intestinal, la digestion, prévenir la constipation et la diarrhée chez les individus âgés mais cela n’a pas été étudié de manière formelle. Les recommandations relatives aux niveaux de fibres chez les chiens et les chats âgés sont donc empiriques. En l’absence de carence relative en fibres, il n’est en principe pas recommandé d’apporter trop de fibres aux individus gériatriques (en particulier les animaux maigres ou de poids insuffisant), pour ne pas altérer la digestibilité et le transit digestif.
Les fibres alimentaires peuvent aussi produire des effets positifs sur l’immunité, les fonctions cardiovasculaire et reproductive (Figure 1) 1. En médecine humaine, la supplémentation en fibres est associée à une réduction du risque de cancer, d’affections cardiovasculaires et coronariennes, et à une amélioration de la santé reproductive. Ces effets généraux des fibres, ainsi que d’autres, ont cependant été peu étudiés chez le chien et le chat, et des recherches supplémentaires sont nécessaires pour connaître l’intérêt potentiel des fibres alimentaires.
Fibres et traitement des troubles digestifs
Diarrhée aiguë
Les régimes riches en fibres sont adaptés à la prise en charge des chiens présentant une diarrhée aiguë 8,9. Cela a été montré pour la première fois dans une étude randomisée portant sur 22 chiens présentant des signes de colopathie aiguë et consommant deux aliments contenant des concentrations différentes en fibres solubles et insolubles. Les 2 groupes recevaient du métronidazole. Le TDF de l’aliment le plus riche en fibres était de 6,1 g/100 kcal et celui de l’aliment témoin était de 1,5 g/100 kcal. La comparaison des résultats a montré que le score fécal était significativement amélioré dans le groupe enrichi en fibres par rapport au régime témoin 8.
Une autre étude a également montré l’intérêt clinique de l’ajout de fibres alimentaires aux options thérapeutiques classiques 9. L’étude portait sur 59 chiens de propriétaires présentant une colite aiguë, qui ont été répartis aléatoirement en trois groupes : le premier recevait un aliment hautement digestible et un médicament placebo, le deuxième groupe recevait le même aliment mais associé au traitement par le métronidazole, et le troisième groupe recevait un aliment hautement digestible enrichi en psyllium, associé à un placebo. Le TDF de l’aliment hautement digestible était de 1,5 g/100 kcal alors que celui de l’aliment hautement digestible riche en fibres était de 2,8 g/100 kcal. La comparaison du délai de résolution des signes cliniques a montré que le seul traitement diététique s’avérait plus efficace que le traitement au métronidazole associé à une prise en charge nutritionnelle. Cette étude est remarquable car elle est la première à comparer deux stratégies thérapeutiques empiriques courantes de la colite aiguë canine, et elle a montré la supériorité de l’approche nutritionnelle 9.
Enfin, une étude publiée sous forme d’abstract a montré l’intérêt d’un aliment riche en fibres pour les chiots de refuge présentant une diarrhée aiguë 10. L’abstract donne peu de précisions à propos des aliments étudiés mais ceux-ci étaient formulés avec plusieurs sources de fibres solubles et insolubles. L’aliment riche en fibres contenait 4,3 % de CB et 2,0 % de fibres solubles (sur MS), tandis que l’aliment de base contenait 3,3 % de CB sur et 0,3 % de fibres solubles. Les données en g/100 kcal n’étaient pas indiquées pour ces aliments. L’aliment riche en fibres a permis une résolution plus rapide des signes cliniques et une amélioration du score fécal.
Bien qu’il y ait moins de publications sur le sujet, les aliments riches en fibres semblent également efficaces chez les chats présentant une diarrhée aiguë. Comme dans l’étude ci-dessus 10, une publication sous forme d’abstract mentionne l’intérêt de donner un aliment riche en fibres à des chatons de refuge présentant une diarrhée aiguë. Là encore, les informations concernant les aliments étudiés sont limitées mais leur composition incluait plusieurs sources de fibres solubles et insolubles. L’aliment riche en fibres contenait 3,0 % de CB et 1,6 % de fibres solubles (sur MS), tandis que l’aliment de base contenait 1,1 % de CB et de 0,2 % de fibres solubles. Malgré un score fécal final similaire pour les deux régimes, la résolution des signes cliniques a été observée quelques jours plus tôt avec l’aliment riche en fibres 11.
En résumé, aucun effet indésirable et aucune complication n’ont été associés au traitement diététique de la diarrhée aiguë dans ces études, et le microbiome intestinal a été moins altéré qu’avec une antibiothérapie 8,10,11. Ces informations conduisent à confirmer l’intérêt des aliments riches en fibres pour contrôler une diarrhée aiguë chez le chien et le chat, en particulier en cas de colite. Il n’y a cependant pas encore de recommandations disponibles au sujet des types de fibres à utiliser, de leur dosage et de la durée d’administration.
Les fibres font partie de presque tous les régimes alimentaires des chiens et des chats. Bien utilisées, elles peuvent être bénéfiques et permettre l’amélioration de certains signes cliniques mais leur potentiel est mal exploité.
Adam Rudinsky
Diarrhée chronique
Comme pour la diarrhée aiguë, plusieurs études ont conclu en faveur de l’utilisation d’aliments riches en fibres pour contrôler une diarrhée chronique. La présence de signes de colopathie constitue l’indication la plus fréquente pour les fibres alimentaires mais les études qui suivent montrent aussi leur intérêt pour des cas d’entéropathie grêle ou d’entérocolopathie (affection mixte) 12,13,14.
La première étude décrit les résultats observés chez des chiens recevant 3 aliments différents (pauvre en matières grasses, riche en fibres, ou hypoallergénique) ainsi qu’une corticothérapie anti-inflammatoire simultanée 12. Les chiens recevant l’aliment hypoallergénique ont présenté le taux de réponse le plus élevé, soit 85 %. L’aliment riche en fibres s’est avéré le deuxième plus efficace : il a permis de contrôler les signes cliniques dans environ 75 % des cas. Le taux de réponse le plus faible (soit 18 %) fut observé avec l’aliment pauvre en matières grasses.
Une deuxième étude, rétrospective, fut menée sur 25 chiens atteints de colite chronique et a montré que le passage à un aliment riche en fibres était la stratégie qui permettait le plus souvent de résoudre les signes cliniques 13. Une fois encore, les aliments hautement digestibles et hypoallergéniques se sont avérés efficaces mais dans des pourcentages de cas plus faibles. Il ne s’agissait pas d’une étude contrôlée et randomisée, et il est donc impossible d’évaluer l’efficacité relative de ces approches diététiques. Une troisième étude, non contrôlée, a aussi observé la résolution des signes lors de colite avec un aliment du commerce riche en fibres 14. Ces trois études plaident en faveur de l’utilisation d’aliments riches en fibres chez lors de diarrhée chronique chez le chien.
Certaines études prônent aussi l’utilisation d’aliments riches en fibres lors de colite chronique non inflammatoire idiopathique 6,15. Dans l’une d’elles, 27 chiens atteints de colite chronique non inflammatoire et consommant des régimes variés ont reçu un supplément de fibres solubles 6. La majorité des chiens (96,3 %) a présenté une réponse clinique bonne à excellente à la supplémentation. Dans une autre étude sur un aliment du commerce enrichi en fibres insolubles, associé à d’autres traitements, la réponse de 12 chiens sur 19 a été attribuée à la modification du régime alimentaire 15. Dans les deux études, l’apport en fibres a permis de diminuer ou d’arrêter complètement les traitements médicaux adjuvants de certains chiens. Ces résultats sont donc en faveur de l’utilisation d’aliments riches en fibres pour traiter les colopathies idiopathiques non inflammatoires canine, en associant des sources de fibres solubles et insolubles.
Au-delà de l’évaluation classique du traitement des troubles digestifs, certaines publications indiquent que des propriétaires observent un effet positif des fibres alimentaires sur le comportement d’élimination fécale et la qualité de vie de leur chien. Une étude qui documente ces effets suggère qu’en favorisant la production de métabolites antioxydants et anti-inflammatoires, les fibres pourraient contribuer à une amélioration globale de la santé 16. Des recherches supplémentaires devront approfondir les avantages à long terme de la supplémentation en fibres chez les chiens présentant des troubles digestifs chroniques.
Le pronostic des chiens atteints d’une affection digestive chronique répondant aux fibres est favorable. Dans une étude portant sur l’effet des fibres solubles, le contrôle à long terme a été positif chez au moins 96 % des chiens 6 ; avec des aliments contenant surtout des fibres insolubles, 63 % des chiens ont répondu favorablement au régime. Le suivi à long terme a indiqué qu’après la réponse initiale, c’est avec une supplémentation en fibres et une gestion diététique de long terme que les signes cliniques étaient les mieux contrôlés 6. Dans toutes les études citées, les aliments riches en fibres et la supplémentation en fibres étaient sûrs et bien tolérés par les chiens.
Chez le chat, peu de données sont disponibles à propos de la prise en charge nutritionnelle de la diarrhée chronique avec des aliments riches en fibres 17,18,19. Dans une étude portant sur 12 chats présentant une diarrhée chronique, la majorité d’entre eux a répondu soit au seul changement alimentaire, soit à un changement de régime associé à des médicaments adjuvants ; les aliments les plus fréquemment utilisés étaient naturellement riches en fibres ou supplémentés en fibres 17. Dans une autre étude en crossover, un aliment formulé avec des fibres solubles d’origines variées a permis d’améliorer le score fécal et de réduire la fréquence de défécation chez 19 chats atteints de diarrhée chronique (par rapport à un aliment témoin) 18. La troisième étude a comparé des fibres qui produisent des métabolites anti-inflammatoires et anti-oxydants à d’autres sources de fibres, et a mis en évidence de meilleurs résultats avec les premières chez les chats diarrhéiques 19. Ces études confirment que le concept de diarrhée chronique sensible aux fibres existe chez le chat. Il existe donc des éléments factuels solides en faveur de l’utilisation d’aliments riches en fibres (ou de la supplémentation en fibres) dans la prise en charge de la diarrhée chronique chez les chiens et les chats : leur utilisation est particulièrement recommandée dans les cas de colopathie.
Constipation
Selon les informations issues d’autres espèces, les avis d’experts et les données disponibles chez le chien et le chat en bonne santé, les fibres alimentaires semblent être bénéfiques pour traiter la constipation 20. Les fibres solubles et insolubles possèdent toutes deux des propriétés intéressantes pour lutter contre la constipation. Comme indiqué précédemment, les fibres insolubles ou non fermentescibles augmentent le volume des matières fécales, ce qui stimule le péristaltisme intestinal 21. Quant aux fibres solubles, elles forment un gel dans le TD qui facilite la progression des matières fécales 21. Les fibres hautement solubles et fermentescibles peuvent aussi bénéficier aux animaux constipés grâce aux produits de leur fermentation ; plus précisément, ces fibres encouragent la production d’AGCC qui ont un effet prokinétique et augmentent la teneur en eau des selles 22.
Les chats sont fréquemment concernés par la constipation 23 et des sources de fibres riches en composés antioxydants et anti-inflammatoires améliorent notablement des signes cliniques 19. Dans une autre étude portant sur des chats traités soit uniquement par une approche nutritionnelle, soit en associant un changement alimentaire et des médicaments adjuvants, l’amélioration du score fécal a été constatée dans les deux groupes 24 ; les aliments utilisés dans cette étude contenaient plusieurs sources de fibres, dont du psyllium. Bien qu’elles soient isolées, ces deux études sont en faveur de l’utilisation d’aliments riches en fibres chez les chats constipés (Figure 7). Cependant, avant de préconiser une alimentation riche en fibres lors de constipation féline, le clinicien doit d’abord rechercher des signes d’altération grave de la motilité colique (par exemple, un mégacôlon) car les fibres seraient alors contre-indiquées.
Il n’existe pas d’étude clinique sur les effets des fibres chez les chiens présentant une constipation spontanée mais, en conditions expérimentales, l’administration de pâte de figue améliore l’élimination fécale des chiens sans produire de complications 25. De plus, un symbiotique incluant l’inuline comme prébiotique s’est avéré avoir un effet laxatif chez des chiens en bonne santé, ce qui suggère donc qu’il pourrait être efficace pour traiter la constipation 26. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour documenter les effets des fibres en cas de constipation canine naturelle mais les résultats préliminaires sont prometteurs. Comme pour les diarrhées, d’autres études devront être menées chez le chien et le chat pour savoir s’il faut privilégier un type particulier de fibres et quelle quantité de fibres recommander lors du traitement de la constipation.
Conclusion
Les fibres font partie de presque tous les régimes alimentaires des chiens et des chats. Bien utilisées, elles peuvent être bénéfiques et permettre d’améliorer les signes cliniques. A ce jour, leur potentiel reste mal exploité. Pour que les cliniciens sachent recommander les fibres de manière pratique et les utiliser avec confiance, il est nécessaire de connaître les bienfaits qu’elles apportent à la santé, la façon dont elles sont mentionnées dans l’étiquetage des aliments pour animaux de compagnie, leurs propriétés physicochimiques et les indications cliniques d’une alimentation riche en fibres. C’est en pathologie gastro-intestinale canine et féline que les fibres alimentaires trouvent leurs plus nombreuses applications. Les fabricants d’aliments pour animaux de compagnie proposent plusieurs gammes enrichies en fibres et la recherche montre que dans certains cas, ils présentent beaucoup d’avantages par rapport aux autres traitements usuels (comme les antibiotiques à long terme ou les médicaments immunomodulateurs). Lors de la prise en charge des affections gastro-intestinales des chiens et des chats, les fibres alimentaires doivent donc être incluses dans les options thérapeutiques.
Nous remercions le Dr Juan Hernandez pour la relecture attentive de la version française de cet article. |
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Adam J. Rudinsky
Le Dr Rudinsky est vétérinaire, diplômé de l’Université d’État de l’Ohio (OSU) En savoir plus