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Veterinary Focus

Numéro du magazine 26.2 Autre scientifique

L’ascite chez le chat

Publié 02/01/2016

Ecrit par Erin Anderson

Aussi disponible en Deutsch , Italiano , Română , Español et English

L’ascite désigne l’accumulation de liquide libre dans la cavité péritonéale. En fonction de la quantité de cellules, de la teneur en protéines totales, de la densité et des types cellulaires, le liquide peut être qualifié de transsudat (pur ou modifié) ou d’exsudat.

L’ascite chez le chat

Points Clés

Du liquide d’ascite doit être prélevé et analysé en vue de cette classification, mais celle-ci permet rarement d’établir un diagnostic de certitude sans une évaluation diagnostique plus approfondie.


L’insuffisance cardiaque congestive, les tumeurs, la péritonite infectieuse féline et les hépatopathies font partie des causes les plus fréquentes d’ascite chez le chat.


L’abdominocentèse thérapeutique peut être une bonne option pour réduire l’inconfort de nombreux cas d’ascite (mais pas tous). Le traitement spécifique de la cause initiale est recommandé.


Les ascites peuvent être classées selon le type de liquide accumulé, les types les plus fréquents étant les transsudats purs ou modifiés et les exsudats. Cette classification aide à réduire la liste des hypothèses du diagnostic différentiel.


Introduction

L’ascite désigne l’accumulation de liquide libre dans la cavité péritonéale. En fonction de la quantité de cellules, de la teneur en protéines totales, de la densité et des types cellulaires, le liquide peut être qualifié de transsudat (pur ou modifié) ou d’exsudat (Tableau 1). Cette classification a pour but d’aider à identifier la cause de l’ascite et à orienter le traitement. Les épanchements chyleux ou pseudo-chyleux, hémorragiques, biliaires et néoplasiques ainsi que l’uroabdomen sont des exsudats spécifiques que beaucoup de vétérinaires préfèrent différencier de l’ascite à proprement parler 1.

Tableau 1. Caractéristiques des différents épanchements abdominaux. 
Transsudat pur 
Transsudat modifié
 Exsudat 
Epanchement hémorragique 
Epanchement chyleux ou pseudochyleux
Aspect macroscopique (variable) 
Absence de trouble ; incolore à légèrement coloré  Limpide ou trouble ; jaune paille à teinté de sang  Trouble ; couleur variable  Fortement séro-sanguin à rouge sang  Blanc « laiteux » ou légèrement rosé, opaque 
Nombre de cellules nucléées (cellules/μL) 
< 1,000 1,000-10,000 > 5,000 1.000-20.000 (dépend de la numération périphérique)  250-20,000
Protéines totales (g/dL) < 2,5 2,5-5,0 > 3,0 3,5-7,5 2,5-6,0
Densité  < 1,015 > 1,015 > 1,025 > 1,025 > 1,025
Caractéristiques cellulaires Souvent peu de cellules présentes ; macrophages, cellules mésothéliales  Cellules mésothéliales, macrophages, hématies, neutrophiles, lymphocytes Dépendent de la cause ; neutrophiles (dégénérés dans les épanchements septiques) et macrophages prédominants. Les épanchements septiques peuvent également contenir des bactéries intracellulaires. Des cristaux de bilirubine peuvent être visualisés dans les épanchements biliaires. Cellules tumorales (variables) Hématies, neutrophiles, cellules mésothéliales, macrophages ; nombre de plaquettes souvent moins élevé que dans un frottis de sang périphérique ; cellules tumorales (variables)  Lymphocytes matures ; neutrophiles éventuels, macrophages

Physiopathologie

Du liquide peut s’accumuler dans la cavité péritonéale par différents mécanismes, notamment :

  1. Une augmentation de la pression hydrostatique intravasculaire (comme lors d’insuffisance cardiaque congestive droite ou d’hypertension portale).
  2. Une baisse de la pression osmotique colloïdale (comme lors d’hypoprotéinémie secondaire à une malabsorption intestinale, une insuffisance hépatique ou une maladie entraînant une fuite de protéines).
  3. Une augmentation de la perméabilité vasculaire (comme lors de vascularite ou de troubles inflammatoires).
  4. Une rupture de viscère, de vaisseau ou de masse, ou une coagulopathie.
  5. Une obstruction ou une rupture lymphatique ou une maladie lymphoproliférative 2.

Bien que la nature du liquide puisse fournir des informations diagnostiques importantes sur l’origine de l’épanchement, une anamnèse et un examen clinique complets doivent impérativement être réalisés pour aider à faire le tri dans les différentes hypothèses.

Anamnèse

Le propriétaire du chat peut venir consulter pour un motif de distension abdominale ou de signes cliniques couramment associés à l’ascite. Ceux-ci incluent léthargie, baisse d’appétit ou tachypnée (cette dernière résulte de l’augmentation du volume abdominal qui vient appuyer sur le diaphragme). Le vétérinaire doit recueillir une anamnèse détaillée, incluant toutes les maladies ou opérations passées ou présentes, ainsi que tous les traitements. Un antécédent d’obstruction urétrale peut évoquer un problème d’uroabdomen. Une cardiopathie avérée ou suspectée (antécédent de souffle ou d’arythmie) peut faire suspecter une insuffisance cardiaque congestive (ICC) droite. Le vétérinaire doit également vérifier si le chat a subi un traumatisme récent, qui pourrait entraîner une suspicion de rupture de viscère ou d’hémoabdomen. La connaissance de l’origine du chat, de son environnement habituel et de sa possible exposition aux autres animaux peut faire privilégier l’hypothèse d’un agent pathogène infectieux initial tel que le virus de la péritonite infectieuse féline (PIF). Ce virus touche préférentiellement les jeunes chats (< 3 ans), dont beaucoup vivent dans des environnements surpeuplés et stressants ou ont des commémoratifs de fièvre réfractaire aux antibiotiques 3.

Examen clinique

L’examen clinique des cas d’ascite révèle souvent (mais pas toujours) une distension abdominale (Figure 1), les petits volumes pouvant ne pas distendre la paroi abdominale. Il peut être difficile de différencier avec certitude une ascite d’une autre cause de distension abdominale sur la seule base de l’examen clinique, car l’hypertrophie d’un organe (la vessie par exemple), les masses, la gestation ou l’obésité peuvent produire le même effet. La présence d’une ascite peut permettre de détecter un signe du flot positif ; il s’agit de placer une main à plat sur un côté de la paroi abdominale pour détecter l’onde de choc transmise par le liquide après percussion manuelle de l’autre flanc 3.

Chat présentant une distension abdominale secondaire à une ascite. Un signe du flot positif est détecté à l’examen clinique du chat en position debout.

Figure 1. Chat présentant une distension abdominale secondaire à une ascite. Un signe du flot positif est détecté à l’examen clinique du chat en position debout. © Erin Anderson

L’examen clinique peut mettre en évidence d’autres signes, qui peuvent aider à orienter le diagnostic différentiel vers une hypothèse particulière. Il faut notamment être attentif à la présence éventuelle d’un ictère (coloration jaune de la sclère, des muqueuses ou du tégument), évoquant une hépatopathie ou une coagulopathie. Un œdème souscutané peut signaler une hypoprotéinémie. Une hypertrophie des nœuds lymphatiques périphériques peut indiquer un lymphome ou une cause infectieuse. Les signes d’une cardiopathie peuvent inclure souffle cardiaque audible, arythmie ou bruit de galop, mais il est important de rappeler que l’absence de ces signes n’exclut pas l’hypothèse d’une cardiopathie. Une distension de la veine jugulaire ou l’observation d’un pouls jugulaire (Figure 2) suggèrent une augmentation de la pression veineuse centrale secondaire à une ICC droite. 

Distension de la veine jugulaire gauche chez un chat souffrant d’insuffisance cardiaque congestive droite.

Figure 2. Distension de la veine jugulaire gauche chez un chat souffrant d’insuffisance cardiaque congestive droite. © Erin Anderson

Des bruits respiratoires assourdis dans une partie ou la totalité des champs pulmonaires suggèrent un épanchement pleural concomitant, qui peut être lié à une tumeur, une hypoprotéinémie, une ICC ou un lymphome. Une hépatomégalie palpable peut être la conséquence d’une insuffisance cardiaque congestive droite ou d’une affection hépatique primitive (cholangiohépatite ou maladie infiltrante/tumorale).

Examens diagnostiques

L’évaluation diagnostique ne doit pas se limiter à l’analyse et à la cytologie du liquide péritonéal, mais ces examens sont souvent ceux qui permettent le mieux de réduire la liste des hypothèses diagnostiques et ils sont donc souvent réalisés en premier. Un échantillon de liquide péritonéal peut être obtenu par abdominocentèse. Cette technique doit être réalisée de la manière la plus aseptique possible. Les chats peuvent être maintenus en décubitus latéral, sternal ou dorsal, selon la position qui est plus à même de limiter leurs mouvements et de permettre un prélèvement atraumatique de liquide. Une petite zone de peau doit être tondue autour du site de ponction (souvent situé juste en dessous de la ligne blanche en décubitus latéral).

Idéalement, un échoguidage sert à visualiser une poche de liquide anéchogène. Si le vétérinaire ne dispose pas d’un échographe, il est conseillé de maintenir le chat en décubitus latéral et de cibler la zone située à environ 2,5 cm ventro-caudalement de l’ombilic. La peau doit être bien nettoyée à l’aide d’un produit à base de chlorhexidine ou équivalent et séchée à l’alcool isopropylique. Avec ou sans échoguidage, une aiguille, une épicrânienne ou un cathéter de 22-25 G est introduit directement à travers la paroi abdominale dans la cavité péritonéale, et une traction douce est exercée sur le piston d’une seringue qui y est fixée (Figure 3). Un échantillon stérile est conservé à la fois dans un tube EDTA et dans un tube sec pour analyse de laboratoire. Une abdominocentèse thérapeutique (retrait d’un grand volume de liquide d’ascite) n’est, idéalement, réalisée que si l’étiologie est identifiée car cette intervention peut être contre-productive dans certains cas. L’exception à cette règle est une tachypnée prononcée ou un autre inconfort important, où l’abdominocentèse pourrait permettre de soulager et de stabiliser l’animal.

L’échoguidage peut être utile au prélèvement d’un échantillon de liquide d’ascite chez le chat. Ici, le liquide aspiré dans la seringue est bien jaune et son analyse indiquera qu’il s’agit d’un exsudat.

Figure 3. L’échoguidage peut être utile au prélèvement d’un échantillon de liquide d’ascite chez le chat. Ici, le liquide aspiré dans la seringue est bien jaune et son analyse indiquera qu’il s’agit d’un exsudat. © Photo courtesy of Dr. Kelsey Sutcliffe

Analyse du liquide et cytologie

Un échantillon de liquide d’ascite doit être analysé pour compter toutes les cellules et les cellules nucléées, doser les protéines totales, mesurer la densité, et évaluer les composants cellulaires au microscope (Figure 4). Comme il est souligné dans le Tableau 1, la classification du liquide d’ascite en transsudat pur ou modifié, en exsudat ou en l’un des nombreux liquides exsudatifs aseptiques peut être extrêmement utile pour déterminer la cause de l’ascite.

Epanchement abdominal au grossissement x100. Notez le grand nombre de neutrophiles. Des bactéries intracellulaires sont également présentes et sont mieux visualisées à un plus fort grossissement.

Figure 4. Epanchement abdominal au grossissement x100. Notez le grand nombre de neutrophiles. Des bactéries intracellulaires sont également présentes et sont mieux visualisées à un plus fort grossissement. © Photo courtesy of Dr Katrin Saile

Les transsudats purs s’observent majoritairement dans le contexte d’une hypoprotéinémie (secondaire à une insuffisance hépatique, une cholangiohépatite chronique, une cholangite lymphocytaire, une néphropathie) ou d’une augmentation de la pression hydrostatique (ICC droite) 4. Leur nombre de cellules et leur taux de protéines totales peuvent rivaliser avec ceux des transsudats modifiés car les ascites chroniques peuvent provoquer une inflammation du mésothélium péritonéal et augmenter ainsi le nombre de cellules 2. Cela crée un chevauchement dans les causes des transsudats purs et modifiés, d’où l’utilité d’examens diagnostiques complémentaires (décrits plus loin).

Les transsudats modifiés sont les types d’ascites les plus fréquents chez le chat, et leurs causes principales incluent l’insuffisance cardiaque congestive, les tumeurs et les hépatopathies 4. Concernant les hépatopathies, la cholangiohépatite lymphocytaire est plus susceptible de produire un transsudat pur, alors que l’hypertension portale et la cirrhose vont davantage produire des transsudats modifiés, ces deux dernières entraînant une augmentation de la pression hydrostatique 2.

Les liquides exsudatifs peuvent être septiques ou aseptiques, et seule une culture bactérienne positive permet de confirmer la nature septique de l’exsudat. Ces cas justifient un traitement rapide, mais comme les cultures demandent plusieurs jours, le liquide d’épanchement doit être évalué sur place par cytologie immédiatement après son prélèvement. A la cytologie, les exsudats septiques sont caractérisés par la présence de neutrophiles dégénératifs et de bactéries intracellulaires, et éventuellement de corps étrangers. Ces épanchements peuvent se développer secondairement à une PIF, un traumatisme, une rupture de viscère digestif, ou conjointement à d’autres causes de péritonite. Les exsudats aseptiques, eux, ont des numérations cellulaires supérieures à celles des transsudats purs ou modifiés mais ne contiennent pas de neutrophiles dégénératifs ou de bactéries comme les exsudats septiques. Les causes d’exsudats aseptiques incluent FIP, cholangite, pancréatite, rupture de l’appareil biliaire ou urinaire, et tumeurs. L’épanchement secondaire à une rupture biliaire contient souvent des cristaux biliaires visibles. 

Beaucoup de vétérinaires sont tentés de parler d’épanchement chyleux lorsque le liquide d’ascite revêt un aspect laiteux opaque, mais le diagnostic de l’épanchement chyleux repose sur la comparaison des taux de triglycérides et de cholestérol de l’épanchement avec ceux du sérum de l’individu. Lors d’épanchement chyleux, les concentrations de triglycérides et de cholestérol du liquide sont respectivement supérieures et inférieures aux concentrations sériques. Les épanchements chyleux contiennent principalement des petits lymphocytes matures. Certains vétérinaires parlent d’épanchements pseudo-chyleux pour décrire des épanchements ayant un aspect macroscopique similaire mais des concentrations supérieures de cholestérol et inférieures de triglycérides par rapport aux concentrations sériques 1. L’épanchement chyleux peut être dû à un lymphome, une lymphangiectasie, une insuffisance cardiaque congestive ou une cirrhose, mais peut aussi être idiopathique.

Un épanchement hémorragique peut être secondaire à un traumatisme, une coagulopathie, la rupture d’un vaisseau ou d’une masse, ou bien une chirurgie récente. Par rapport aux chiens, les chats ont plus de risque d’avoir une rupture de masse impliquant le foie que la rate 5. Dans ces cas, le liquide prélevé par abdominocentèse ressemble à du sang frais et ses valeurs d’hématocrite et de solides totaux sont proches de celles du sang périphérique.

L’accumulation d’urine dans l’abdomen peut produire un transsudat pur ou modifié ou bien un exsudat, les nombres de cellules augmentant dans les cas induisant une inflammation. Pour diagnostiquer avec certitude un uroabdomen, il faut que le taux de créatinine de l’épanchement soit au moins le double de celui du sang périphérique 6. Si le taux de créatinine de l’épanchement est 1 à 2 fois plus élevé que celui du sang périphérique, il y a une suspicion (mais pas de certitude) d’uroabdomen. Si le taux de potassium de l’épanchement est supérieur à celui du sang périphérique, il y a également une suspicion (mais pas de certitude) d’uroabdomen 6.

Autres examens

Outre l’analyse et la cytologie du liquide péritonéal, les examens diagnostiques suivants peuvent jouer un rôle important dans l’évaluation et le traitement des cas d’ascite.

Numération formule sanguine : Il faut rechercher une éventuelle anémie (et évaluer la numération réticulocytaire, le cas échéant) pour déterminer si une hémorragie aiguë ou une anémie liée à une maladie chronique est présente. Une neutrophilie ou un leucogramme de stress (neutrophilie mature, lymphopénie, avec ou sans déviation de la formule monocytaire) peut faire suspecter une maladie infectieuse ou inflammatoire, notamment une PIF. L’examen d’un frottis sanguin peut également aider à identifier des neutrophiles de bande, une anomalie toxique ou une déviation à gauche qui pourrait indiquer une réaction inflammatoire aiguë ou intense. 

Bilan biochimique : Les taux de protéines totales sont à évaluer avec précaution. Une augmentation des protéines totales (plus précisément, une hyperglobulinémie) peut indiquer une origine infectieuse comme la PIF, alors qu’une diminution peut résulter d’une insuffisance hépatique, d’une entéropathie exsudative, d’une néphropathie protéinurique, ou d’une tumeur. L’hypothèse d’une hépatopathie peut être renforcée par une augmentation des enzymes hépatiques (ASAT, ALAT, gamma-GT), qui justifie une évaluation des temps de coagulation car les protéines coagulantes sont produites dans le foie et peuvent ou non contribuer à l’ascite. Une azotémie ou une hyperkaliémie peut faire suspecter une maladie rénale ou un uroabdomen.

Analyse urinaire : L’analyse urinaire peut révéler une augmentation des taux de protéines, qui indiquerait une néphropathie protéinurique à l’origine de l’hypoprotéinémie. Les protéines présentes dans l’urine doivent être quantifiées en déterminant le rapport protéines/créatinine urinaire (RPCU), à condition que la culture urinaire soit négative.

Imagerie abdominale : En fonction des résultats du bilan sanguin, l’imagerie abdominale peut fournir des informations complémentaires spécifiques sur l’étiologie. La radiographie n’est pas un examen particulièrement sensible ou spécifique pour déterminer la présence, le volume ou la cause de l’ascite (les petits volumes liquidiens pouvant être invisibles) mais les grands volumes se traduisent généralement par une perte de contraste non spécifique (Figure 5). Les radiographies peuvent révéler une hépatomégalie (secondaire à une ICC, ou une hépatopathie primaire) ou un petit foie, dû à une cirrhose. Un aspect dit en verre dépoli des viscères abdominaux peut indiquer une péritonite. Les radiographies avec produit de contraste peuvent être utiles pour évaluer l’intégrité de la vessie, de l’urètre ou des vaisseaux lymphatiques. 

Radiographie de profil d’un chat montrant une perte de contraste abdominal altérant la visualisation des organes. Ce cliché ne révèle pas d’épanchement pleural, de cardiomégalie visible ou d’hépatomégalie.

Figure 5. Radiographie de profil d’un chat montrant une perte de contraste abdominal altérant la visualisation des organes. Ce cliché ne révèle pas d’épanchement pleural, de cardiomégalie visible ou d’hépatomégalie. © Erin Anderson

Des images plus précises de l’abdomen sont obtenues avec l’échographie, plus utile que la radiographie. L’échographie peut permettre d’identifier avec certitude une accumulation de liquide (zone liquidienne anéchogène ou – en cas de cellularité accrue – d’aspect plus ou moins floconneux), d’estimer subjectivement la sévérité et le volume de l’ascite, et d’aider à préciser l’étiologie. Une hépatopathie primaire peut se traduire par une anomalie de taille ou d’échotexture du foie, ou par la présence d’une masse hépatique ou d’une obstruction biliaire. Une dilatation des veines hépatiques est fortement évocatrice d’une augmentation de la pression veineuse centrale secondaire à une ICC droite. Les nœuds lymphatiques intra-abdominaux peuvent être visualisés et mesurés pour mettre en évidence un lymphome ou une obstruction lymphatique. L’intégrité de l’appareil urinaire peut être évaluée, et plus précisément l’aspect des reins, pour détecter une éventuelle modification de l’échotexture qui pourrait indiquer une glomérulopathie protéinurique.

Echocardiographie : Une échocardiographie est réalisée quand le tableau clinique et les résultats des examens diagnostiques évoquent une ICC droite ou, moins souvent, un épanchement péricardique, comme origine de l’ascite. Chez le chat, les principales affections du cœur droit qui entraînent une insuffisance cardiaque congestive incluent la cardiomyopathie restrictive, la dysplasie de la valve tricuspide, ou la cardiomyopathie ventriculaire droite arythmogène (Figure 6). Un épanchement péricardique induisant une tamponnade cardiaque est rare chez le chat. La cardiomyopathie hypertrophique touche davantage le cœur gauche, et la prévalence jadis élevée de la cardiomyopathie dilatée a fortement chuté depuis que les aliments préparés pour chats ont été supplémentés en taurine. Actuellement, ces deux formes de cardiomyopathie sont rarement à l’origine d’ascite chez le chat.  

Echocardiographie en coupe parasternale droite grand axe montrant une dilatation sévère de l’atrium et du ventricule droits secondaire à une dysplasie de la valve tricuspide.

Figure 6. Echocardiographie en coupe parasternale droite grand axe montrant une dilatation sévère de l’atrium et du ventricule droits secondaire à une dysplasie de la valve tricuspide. © Erin Anderson

Autres examens diagnostiques : La PIF est un diagnostic différentiel important de l’ascite chez le chat, qui peut être un véritable défi pour le vétérinaire. Le diagnostic de certitude repose sur la détection par immunofluorescence ou immunohistochimie d’ARN ou de protéines du virus au sein des macrophages des tissus ou liquides touchés. 

Un ensemble courant d’anomalies de laboratoire évoquant fortement une PIF inclut leucocytose (neutrophilie et lymphopénie), hyperprotéinémie avec des taux relativement élevés de globulines et faibles d’albumine, hyperbilirubinémie et hyperbilirubinurie, et parfois anémie arégénérative 7 8. Le liquide péritonéal prélevé chez les chats souffrant de la forme humide ou exsudative de la PIF a une teneur en protéines totales élevée caractéristique d’un exsudat (supérieure à 3,5 g/dL), et les globulines peuvent représenter plus de 50 % de ces protéines 9.

Les titres d’anticorps sériques contre le coronavirus responsable, un agent pathogène courant et omniprésent dans la population féline, sont sensibles mais peu spécifiques, car seulement 10 % environ des chats exposés au virus développent une PIF clinique 10. En outre, un test de dépistage des anticorps négatif n’exclut pas la présence d’une PIF. 

Selon une étude, le test Rivalta présente une sensibilité de 91 %, une spécificité de 66 %, une valeur prédictive positive de 58 % et une valeur prédictive négative de 93 % pour le diagnostic de la PIF 11. Ce test consiste à ajouter une goutte de liquide d’ascite dans une solution d’acide acétique et à rechercher dans le mélange la formation d’une floculation blanche (résultant de la concentration élevée en protéines et en médiateurs inflammatoires).

Un test PCR classique, s’il est réalisable, peut permettre d’identifier le virus dans le sang mais pas de distinguer les chats exposés au virus des chats malades. Un nouveau test basé sur la technique PCR a été développé pour la détection du virus muté ; bien que les résultats préliminaires soient prometteurs, la valeur clinique de ce test reste à déterminer 12.

Traitement

Le traitement de l’ascite chez le chat dépend entièrement de la cause identifiée. En général, une abdominocentèse thérapeutique peut être utile si elle permet d’améliorer le confort de l’animal. Comme pour l’abdominocentèse diagnostique, les chats doivent être maintenus en décubitus latéral, sternal ou dorsal, et le site de ponction doit être préparé de manière aseptique. Une épicrânienne ou un cathéter de 22-25 G peuvent être utilisés pour pénétrer l’abdomen par voie percutanée, et le piston de la seringue qui y est fixée est ensuite lentement et délicatement tiré pour aspirer le liquide. L’auteur préfère utiliser un cathéter (éventuellement relié à deux prolongateurs de perfusion par un robinet à trois voies) pour évacuer les grands volumes d’ascite. Le mandrin peut alors être retiré pour laisser le cathéter en place, et éviter ainsi de laisser une aiguille pointue dans la cavité abdominale de manière prolongée. 

Dans les cas d’insuffisance cardiaque droite, il est important de rappeler que les diurétiques ne permettent pas de mobiliser ou d’évacuer rapidement les liquides d’ascite, et l’inconfort aigu doit donc d’abord être traité par une abdominocentèse thérapeutique. Un traitement diurétique (furosémide à 0,5-2 mg/kg PO toutes les 12 h) et un traitement IECA (énalapril ou bénazépril à 0,25-0,5 mg/kg PO toutes les 12 à 24 h) doit être instauré pour la prise en charge à long terme, afin de tenter de prévenir ou de ralentir la reformation de l’ascite. Idéalement, les électrolytes sériques et les paramètres rénaux, ainsi que la pression artérielle systémique, doivent être évalués avant et après la mise en place de ces traitements. 

Erin Anderson

Le propriétaire du chat peut venir consulter pour un motif de distension abdominale ou de signes cliniques couramment associés à l’ascite. Ceux-ci incluent léthargie, baisse d’appétit ou tachypnée.

Erin Anderson

Le lymphome est préférentiellement traité par un des nombreux protocoles de chimiothérapie, les plus courants d’entre eux étant le COP (cyclophosphamide, vincristine, prednisolone ou prednisone) ou le CHOP (cyclophosphamide, doxorubicine, vinca-alcaloïde, prednisolone ou prednisone). L’évaluation récente d’un protocole modifié de 25 semaines (incluant L-asparaginase, vinca-alcaloïde, cyclophosphamide, doxorubicine et prednisolone) offre des perspectives intéressantes pour améliorer la qualité et la durée de vie des chats atteints de lymphome 12.

Le traitement de la cholangite ou de la cholangiohépatite dépend de son étiologie mais inclut souvent des antibiotiques (association amoxicilline/acide clavulanique à 15 mg/kg PO toutes les 12 h ou enrofloxacine à 5 mg/kg toutes les 24 h conjointement à du métronidazole à 7,5 mg/kg toutes les 12 h), des hépatoprotecteurs (S-adénosylméthionine à 20 mg/kg PO toutes les 24 h), des cholérétiques (acide ursodésoxycholique à 10-15 mg/kg toutes les 12 h) et de la vitamine E (10-30 UI/kg toutes les 24 h). Les immunosuppresseurs (prednisolone 2-4 mg/kg/j) constituent la pierre angulaire du traitement de la cholangite lymphocytaire chronique. Des mesures symptomatiques (fluidothérapie intraveineuse, antiémétiques, soutien nutritionnel) sont nécessaires chez les animaux gravement malades, tout comme les traitements spécifiques des comorbidités (maladie inflammatoire chronique de l’intestin, pancréatite).

Malheureusement, les cas d’ascite dus à une PIF sont de mauvais pronostic, mais le traitement à court terme visant à améliorer la qualité de vie des chats inclut souvent une abdominocentèse et/ou une thoracocentèse thérapeutique(s), des immunosuppresseurs (dexaméthasone à 1 mg/kg toutes les 24 h en IP ou IV, puis prednisolone à 2 mg/kg toutes les 24 h) et/ou des immunomodulateurs (interféron-alpha humain à 30 U/chat PO toutes les 24 h). Des mesures symptomatiques sont nécessaires chez les individus gravement malades 13. Une stabilisation initiale et un traitement chirurgical seront probablement nécessaires dans les cas d’épanchement septique, d’uroabdomen ou d’hémopéritoine.

L’ascite chez le chat justifie une démarche diagnostique approfondie afin d’en identifier l’étiologie. Les principales causes d’ascite chez le chat incluent l’insuffisance cardiaque congestive, les tumeurs, les hépatopathies et la PIF, et le traitement et le pronostic de ces maladies varient fortement, d’où l’importance d’un bon diagnostic.

Bibliographie

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Erin Anderson

Erin Anderson

Erin Anderson, Pittsburgh Veterinary Specialty and Emergency Center, Pennsylvanie, Etats-Unis En savoir plus

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Numéro du magazine 26.2 Publié 12/03/2021

Les maladies à transmission vectorielle chez le chat

Contrairement à ce qu’on observe à propos des maladies transmises aux chiens par les arthropodes hématophages, les vétérinaires semblent relativement peu conscients de l’importance mondiale des maladies à transmission vectorielle (MTV) chez le chat.

par Mary Thompson et Peter Irwin