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Veterinary Focus

Numéro du magazine 2 Finance

Comprendre la gestion d’une entreprise (Partie1)

Publié 30/04/2021

Ecrit par Philippe Baralon , Antje Blättner , Pere Mercader et Mark Moran

Aussi disponible en Deutsch , Italiano , Español et English

Comprendre les différents paramètres qui contribuent aux revenus et aux dépenses d'une clinique vétérinaire est la clé de la réussite à long terme. Ce chapitre vous expliquera les bases des aspects financiers de votre travail.

Comprendre la gestion d’une entreprise

Points clés

Pour que chacun connaisse la stratégie commerciale de la clinique, sa vision et sa mission doivent être clairement définies et partagées largement avec l'ensemble de l’équipe.


Il est important de définir les objectifs de la clinique pour l'année à venir et de choisir les indicateurs clés de performance (ICP) pour permettre à la clinique de se développer et de prospérer.


 

Introduction

Fondamentalement, les principes qui régissent la gestion d’une entreprise restent les mêmes qu’il s’agisse d’une très petite entreprise ou d’une grande société. Ce qui change, c’est la formalisation des processus. Dans une très petite entreprise, comme une clinique gérée par un seul vétérinaire n’ayant que quelques employés, ce dernier peut simplement avoir en tête les processus et les communiquer oralement à ses employés. En revanche, dans une grande société, les processus de prise de décision sont plus collectifs et la communication des informations est plus complexe. De ce fait, ils doivent être formalisés pour être efficaces.

Comment exploiter son entreprise

Généralités sur le monde des affaires

De nombreux vétérinaires libéraux se méfient de l’introduction au sein de leur clinique d’un mode de gestion qu’ils identifient comme celui d’une « grande société » parce qu’ils suspectent que ces pratiques sont conçues pour fonctionner dans des entreprises ayant comme objectif principal d’enrichir leurs actionnaires. Or, selon eux, leur clinique est fondamentalement différente de ce type d’entreprise centrée sur le profit. Toutefois, les vétérinaires ne sont pas les seuls à avoir une conscience sociale et, maintenant, de nombreuses sociétés ont une approche stratégique de leur gestion qui tient compte des besoins des autres parties prenantes comme leurs employés, les clients et, plus largement, de l’impact de leurs activités sur leur environnement.

Dans cette partie, nous présenterons une manière de structurer l’approche stratégique afin de permettre aux dirigeants de mieux comprendre la façon dont fonctionne véritablement leur entreprise, quelle que soit sa taille. Cependant, sa mise en place dans les très petites structures vétérinaires n’a pas besoin d’être aussi formelle que celle que nous allons vous présenter.

Arbitrer les différents objectifs

Lorsqu’une entreprise poursuit plusieurs objectifs et ne se concentre pas uniquement sur l’optimisation de ses profits, il est inévitable que certains d’entre eux entrent en conflit. C’est le cas, par exemple, lorsqu’une clinique veut « être accessible à ses clients à chaque fois qu’ils ont besoin d’elle », tout en choisissant également « de fournir à l’ensemble de son équipe un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée ». L’approche stratégique permettant de gérer ce type de conflit est souvent appelée « Création d’un Tableau de Bord Prospectif (TBP) » en référence aux travaux de Kaplan et Norton.

La création d’un tableau de bord prospectif est idéalement adaptée aux entreprises vétérinaires parce qu’il n’est pas rare que les associés d’une structure aient de très nombreux buts et objectifs. Cette stratégie doit cependant être adaptée à la petite taille de la plupart des entreprises vétérinaires, et son champ d’application doit également être restreint en fonction du niveau d’expérience en gestion dont dispose la clinique. Les cliniques qui suivent une telle stratégie connaissent une croissance significative, qui leur permet de développer leur capacité à répondre aux besoins de leurs clients, d’améliorer la satisfaction du personnel et de répondre aux objectifs sociaux et financiers définis par les associés.

Mise en place du tableau de bord prospectif

Le concept du tableau de bord prospectif consiste, au sein d’une société, à lier la gestion stratégique et la gestion opérationnelle. En tant que tel, le TBP doit être mis en place par étapes pour permettre la progression des personnes et le développement des processus nécessaires à son succès.
 
Etape 1 / Où allons-nous : la vision

Pour commencer, les associés doivent définir une vision claire de leur clinique, c’est-à-dire ce qu’ils veulent qu’elle devienne, la façon dont ils veulent qu’elle soit perçue, qu’elle interagisse avec les autres parties prenantes, et tout ce qui revêt de l’importance à leurs yeux. Cette vision doit être claire et succincte (généralement une seule phrase assez courte) parce qu’elle doit être facile à communiquer et simple à comprendre (Figure 1).
 
Etape 2 / Ce que signifie réellement cette vision pour nous : la mission

L’objectif principal de la mission d’une clinique est de communiquer à toutes les parties prenantes la vision des associés afin qu’elle guide l’action de chacun. En interne, cela signifie que vous souhaitez que tout le personnel s’appuie sur cette mission pour orienter quotidiennement ses décisions et ses actions. Afin de les aider, les associés doivent être très clairs sur leur vision et la mission. Ils doivent en particulier les guider sur la manière d’arbitrer des objectifs parfois conflictuels. Cela peut se faire en fournissant plus de précisions basées sur des exemples quotidiens (Figure 1).
 
Figure 1. Exemple de vision et de mission d’une clinique.

Etape 3 / Notre plan pour l’année à venir

En termes simples, si nous savons où nous voulons aller, quels sont les points clés à accomplir au cours de l’année à venir pour progresser sur notre parcours ? Les objectifs fixés devront être équilibrés et réalistes par rapport aux ressources disponibles (Encadré 1).

Encadré 1
Exemples : nos objectifs pour l’année à venir

Objectif 1 : développer notre clientèle

Nous y arriverons :

  • en faisant la promotion et en valorisant l’excellence médicale ;
  • en prenant bien soin de nos clients existants ;
  • en faisant la promotion de notre clinique auprès de nouveaux clients ;
  • en développant les services offerts par nos ASV ;
  • en lançant de nouveaux produits et services.


Etape 4 / Identifier les principaux leviers d’actions pour atteindre nos objectifs


L’étape suivante consiste à identifier les actions à mettre en place ou à développer, ainsi que celles à mettre partiellement de côté pour atteindre nos objectifs. Ces actions sont les « leviers » que vous devrez actionner pour modifier le cours des choses. Pour vérifier que le choix de ces actions est équilibré, il est possible de classer les « leviers » retenus dans les catégories proposées par Kaplan et Norton. Vous réduirez ainsi les risques d’engendrer des conséquences inattendues (Tableau 1).

Tableau 1. Exemples d’objectifs clés pour l’année.
 Objectifs financiers 
  • Contrôler que les coûts du travail restent dans la fourchette prévue
  • Contrôler que le coût des médicaments reste dans la fourchette prévue
  • Développer nos programmes de prévention
 Processus opérationnels 
  • Développer un système efficace pour les rappels vaccinaux
  • Faire la promotion des soins préventifs à chaque rendez-vous
  • Améliorer notre capacité à informer les clients sur l’intérêt d’une nutrition de bonne qualité
  • Créer des systèmes clairs pour gérer nos actions caritatives pour un coût acceptable
  • S’assurer que l’effectif du personnel reste au niveau prévu
  • Utiliser plus efficacement nos vétérinaires
Objectifs pour la clientèle
  • Améliorer la gestion des appels
  • Faire notre promotion auprès de nouveaux clients
  • Être engagé dans notre zone de chalandise
  • Développer notre usage de la communication digitale
Apprentissage et développement
  • S’assurer que les entretiens d’évaluation du personnel sont faits en temps et en heure
  • S’assurer que tous les membres du personnel ont un plan de développement
  • Former tous les membres du personnel
  • Créer des conditions favorables pour que les membres du personnel proposent leurs idées d’amélioration


Etape 5 / Mettre en place les principaux indicateurs de performance


Pour chacune des actions clés retenues, identifiez un ou plusieurs indicateurs chiffrés qui permettront de mesurer les progrès accomplis pour réaliser les objectifs et de stimuler le processus de « Révision et d’Apprentissage ». Dans l’idéal, il faudrait pouvoir suivre les actions qui conduisent au résultat et pas seulement le résultat lui-même. Ainsi, par exemple, si l’objectif est d’augmenter l’observance des traitements préventifs et qu’une des actions pour y arriver consiste à laisser plus de temps aux ASV pour conseiller les clients en matière de prévention, un indicateur de réussite pourrait être le nombre de conseils au comptoir délivrés par les ASV.

De la même façon, si l’objectif est de développer l’utilisation des outils de communication électronique, il est important de disposer des adresses e-mails des clients. Ainsi, le pourcentage de clients actifs dont l’adresse e-mail est enregistrée dans le logiciel professionnel peut devenir un indicateur de performance.

Pour chaque action, il est nécessaire d’identifier un ou plusieurs indicateurs de performance (Tableau 2).

 
Tableau 2. Exemple de mesures clés.
 Activité   Mesure clé
Améliorer la gestion des appels Score mensuel de clients mystère
Promouvoir les soins préventifs à chaque rendez-vous Pourcentage de patients actifs ayant leurs vaccinations à jour
Créer des conditions favorables pour que les membres du personnel proposent leurs idées d’amélioration
  • Nombre de réunions de l’équipe 
  • Résultats d’étude de l’équipe sur 6 mois
Améliorer notre capacité à informer le client sur l’intérêt d’une nutrition de bonne qualité
  • Nombre de prescriptions nutritionnelles réalisées par les ASV
  • Valeur des ventes d’aliments
  • Proportion d’aliments diététiques dans les ventes totales
 

Etape 6 / Evaluer les progrès et en tirer les leçons

Nous avons besoin d’évaluer régulièrement (mensuellement) les progrès (Tableau 3). Il est important que ce processus d’évaluation reste une expérience positive. Comme nous n’avons pas prévu d’échouer et que nous employons un personnel qualifié ayant comme objectif de bien faire son travail, si les résultats ne sont pas ceux que nous attendions, ce n’est probablement pas parce que quelqu’un a mal fait quelque chose mais plutôt qu’un processus s’est révélé défaillant. 

Tableau 3. Echantillon d’une ligne de rapport de gestion mensuelle d’un objectif.
 Objectif   Mesure clé
Contrôler le coût des médicaments pour qu’il reste dans une fourchette acceptable  % du coût des médicaments sur le chiffre d’affaires
 Janv  21 %
 Fév  20 %
 Mars  22 %
 Avril  21 %
 Mai  19 %
 Commentaires

Evaluation :

  • Excellent travail de Catherine qui a réduit les stocks dans les voitures des vétérinaires
  • Une partie du stock n’a pas été enregistrée correctement lors de sa réception, et, de ce fait, le niveau du stock a augmenté

Prévoir :

  • Révision de la procédure de réception des stocks avec l’ensemble du personnel

 

Lorsque nous évaluons nos progrès, nous devons avoir trois questions à l’esprit :

  • Qui devons-nous féliciter ? => nous devons saisir toutes les opportunités pour féliciter les membres de l’équipe. Si l’équipe a travaillé selon les directives, mais que le résultat n’est pas atteint, nous pouvons les féliciter tout de même pour leurs efforts
  • Que venons-nous d’apprendre ? => quel que soit le résultat (bon, mauvais ou neutre), il nous a montré quelque chose. La clé du progrès consiste à tirer les leçons de ce qui s’est passé.
  • Que devons-nous changer ? => pour que demain soit mieux qu’hier, nous devons identifier ce que nous devrons changer et qui mettra en œuvre ces changements.
 

En résumé

Le processus de gestion stratégique concerne tous les domaines de la clinique. Sa mise en place a besoin d’être adaptée au mieux à la culture en place dans la clinique. Dans les cliniques qui appliquent déjà régulièrement certaines formes de processus de gestion et qui ont l’habitude d’utiliser et d’analyser les données de performance, le tableau de bord prospectif représente une évolution naturelle qui devrait être relativement facile à mettre en place. Cependant, l’expérience montre que, pour de nombreuses cliniques, une mise en place réussie demande un accroissement significatif des compétences de gestion, plus de temps et un accompagnement accru du personnel.

Les indicateurs clés pour comprendre la situation économique d’une clinique vétérinaire

L’intérêt pour la gestion et le niveau de compétences managériales des associés d’une clinique peuvent varier significativement. Certains dirigeants (fort heureusement de moins en moins nombreux chaque année) n’ont pas la moindre idée des performances économiques de leur structure alors que d’autres (de plus en plus nombreux) les contrôlent et les interprètent assez bien.
 
Dans cette partie, nous nous intéresserons à la pertinence de certains indicateurs clés des performances (ICP) fréquemment utilisés. Tout comme les paramètres sanguins nous donnent des indications sur la santé de notre patient, les ICP mettent en exergue la santé économique d’une entreprise. Le Tableau 4 montre les indicateurs les plus révélateurs que nous allons passer en revue.
 
Tableau 4. Indicateurs clés.
 Indicateurs clés de performance habituellement utilisés
a. Indicateur de chiffre d’affaires  a. Indicateur « diagnostic »
 b. Indicateurs d’activité  b.1. Patients actifs par vétérinaire équivalent temps plein
 b.2. Actes quotidiens par vétérinaire équivalent temps   plein
 c. Indicateurs de coûts  c.1. Coût du personnel en pourcentage du chiffre d’affaires
 c.2. Coût d’une minute facturable de vétérinaire


Le chiffre d’affaires des cliniques vétérinaires provient de trois sources principales :

  1. Les services cliniques fournis
  2. Les ventes de médicaments et produits spécialisés
  3. Les ventes de produits généraux d’animalerie ou de toilettage
 

En règle générale, le vétérinaire a une influence significative sur les deux premières sources de chiffre d’affaires qui proviennent des consultations ou des interventions : nous appellerons donc le total de ces deux sources le « chiffre d’affaires médical ». Les ventes de produits d’animalerie et de toilettage varient significativement entre cliniques selon leur localisation et l’espace dont elles disposent. Elles sont moins influencées par le vétérinaire et, de ce fait, sont exclues de nombreux calculs.

Indicateurs clés de chiffre d’affaires

1. Le ratio Examens complémentaires/Services : ratio de diagnostic

Cet indicateur se calcule en divisant le chiffre d’affaires généré par les examens complémentaires effectués par la clinique vétérinaire (comme les examens de laboratoire externe et interne, les radiographies, les échographies, les endoscopies, les électrocardiogrammes, les IRM, etc.) par le total du chiffre d’affaires généré par les services offerts par la clinique.

 

                                                                   CA des examens complémentaires
                     Ratio de diagnostic    =    ----------------------------------------
                                                                   CA des services offerts par la clinique         

 

Cet indicateur doit atteindre une valeur comprise entre 20 % et 25 %. Une valeur bien inférieure à 20 % peut indiquer un style de médecine intuitive peu fondée sur les preuves. A l’inverse, des valeurs supérieures à 25 % pourraient indiquer une dépendance excessive vis-à-vis des examens complémentaires. Il est très intéressant de mesurer cet indicateur non seulement pour l’ensemble de la clinique vétérinaire mais aussi pour chaque vétérinaire afin d’individualiser les performances de chacun et d’évaluer le degré de cohérence interne dans le style de médecine pratiquée.

2. Le panier moyen par acte

Cet indicateur est calculé en divisant le chiffre d’affaires médical total par le nombre d’actes pour obtenir un montant moyen. Beaucoup de logiciels de gestion de cliniques vétérinaires calculent directement cet indicateur.

 

                                                                                  CA médical total
                            Panier moyen par acte    =    ------------------------
                                                                                   Nombre d'actes         
 
On considère en général que la valeur de cet indicateur doit correspondre à environ 2,5 fois les honoraires d’une consultation dans la clinique. Des valeurs bien inférieures à ce ratio peuvent indiquer que la clinique fonctionne avec un fort pourcentage de consultations médicales à faible valeur ajoutée comme les vaccins ou les examens de contrôle.

Indicateurs clés d’activité

1. Nombre de patients actifs par vétérinaire (équivalent temps plein)

Cet indicateur s’obtient en divisant le nombre de patients venant chaque année à la clinique par le nombre de vétérinaires en équivalent temps plein.

 

                     Patients actifs               Nombre total de patients vus dans l’année
                     par vétérinaire    =     -------------------------------------------------
                                                                   Vétérinaires en équivalent temps plein
 

En général, un vétérinaire travaillant à temps plein peut fournir un service de bonne qualité à environ 750 à 1 000 patients par an. Si les chiffres obtenus se trouvent en dehors de cet intervalle, on peut s’alarmer de la taille de l’équipe vétérinaire. Un indicateur trop bas indique que les vétérinaires passent du temps à des tâches qui génèrent directement de l’activité et un indicateur trop élevé suggère qu’ils ne passent pas suffisamment de temps avec chaque patient.

2. Nombre d’actes quotidiens par vétérinaire à temps plein

Cet indicateur s’obtient en divisant le nombre d’actes par an par le nombre de vétérinaires à temps plein multiplié par le nombre de jours travaillés par an.

 

                                                                                Nombre d’actes médicaux annuel
    Nombre d'actes  quotidien        =       ----------------------------------------------
               par vétérinaire                                Nombre de vétérinaires à temps plein x                                                                                                          Nombre de jours travaillés par an

 

L’objectif est d’obtenir une moyenne de 10 à 12 actes médicaux par jour. Ainsi, dans un pays où les vétérinaires travaillent 250 jours par an, cela permet de tabler sur un nombre d’actes médicaux annuels compris entre 2 500 et 3 000. Si nous supposons qu’il y a en moyenne 3 actes médicaux par patient et par an, cela signifie que, dans la plupart des pays, il faudra entre 750 et 1 000 patients actifs par vétérinaire pour générer ce volume d’actes.

Indicateurs clés de coût

1. Part du coût du personnel dans le chiffre d’affaires

Dans ce calcul, le coût du personnel d’une clinique se définit par l’ensemble des coûts associés à la rémunération du personnel, y compris des associés. En plus du salaire brut versé, ce total doit inclure les prélèvements liés au travail payés par l’entreprise, les primes et tous les avantages en nature faisant partie de la rémunération globale comme les charges de couverture médicale ou de retraite.

 

                 Part du coût du personnel                 Coût annuel du personnel  x 100
                   dans le chiffre d'affaires     =     -----------------------------------------
                                                                                                  Chiffre d'affaires

Si le coût du personnel d’une clinique vétérinaire dépasse nettement 40 % du chiffre d’affaires, sa viabilité économique commence à être menacée. En revanche, un résultat significativement en dessous de ce niveau peut indiquer un manque de personnel pouvant nuire à la qualité du service.

Une des erreurs classiques lors de l’estimation de cet indicateur est d’omettre le salaire réel, fondé sur le marché, des associés exerçant dans la clinique.

 
2. Coût d’une « minute facturable » de vétérinaire
 
L’objectif de cet indicateur est de faire prendre conscience aux associés et à l’équipe travaillant dans la clinique que le bien le plus précieux qu’ils possèdent est le temps de leurs vétérinaires. 
 
Cet indicateur se calcule en divisant les coûts fixes annuels de la clinique, qui représentent tous les coûts excepté l’achat de matières premières et de marchandises, par le nombre de minutes vétérinaires que la clinique peut vendre chaque année.

 
                 Coût d’une minute                        Coûts fixes annuels de la clinique
            facturable du vétérinaire     =     -------------------------------------------
                                                                        Minutes vétérinaires facturables par an

Pour calculer le nombre de minutes vétérinaires facturables par an, il faut prendre en compte le nombre d’heures travaillées chaque jour par chaque vétérinaire, les heures d’ouverture de la clinique et le nombre de jours travaillés par an. Comme il est impossible de vendre chaque minute travaillée parce que, d’une part, il n’y a pas toujours de client et que, d’autre part, certaines activités comme les tâches administratives ne sont pas facturables, il faut ajuster le chiffre obtenu en fonction d’un facteur appelé « facteur d’efficacité ». Selon les estimations pour des services professionnels comme ceux des vétérinaires, il est possible, en moyenne, d’espérer facturer des clients pendant 65 % du temps disponible.

 

                                                       Coûts annuels totaux de la clinique- Achats de fournitures           Coût d’un vétérinaire                                                  et marchandises
 par minute faturable     =   --------------------------------------------------------------------
                                                   Nombre de vétérinaires en équivalent temps plein x Nombre de                                                         jours travaillés par an x Nombre d'heures travaillées par jour x
                                                                                        60 minutes x 65 %

 

Pour que la clinique soit viable, le prix facturé par minute des services vétérinaires doit excéder ce chiffre par une marge bénéficiaire acceptable. Si ce n’est pas le cas et s’il n’est pas possible d’augmenter les prix, alors il faudra trouver des moyens de faire des économies en gagnant en efficacité.

Comprendre la situation économique de la clinique : pourquoi la productivité est-elle un enjeu majeur ?

Imaginez que nous demandions à un jeune vétérinaire fraîchement diplômé : « Quel salaire trouveriez-vous équitable pour un travail à temps plein dans une clinique vétérinaire ? »

Imaginez ensuite qu’il nous donne cette réponse :

« Considérant la difficulté de mes études, la responsabilité du travail que j’effectue, l’effort aussi bien physique qu’intellectuel que je dois fournir, je pense qu’un salaire de 2 500 euros net mensuels serait un salaire honnête pour débuter ma carrière. »

Cette réponse tout à fait légitime du jeune vétérinaire va se heurter de front aux principes économiques de la productivité du travail.

Le tableau ci-dessus montre un compte de résultat (résumé annuel des produits et des charges d’une entreprise) typique de nombreuses cliniques vétérinaires un peu partout dans le monde (Tableau 5).

 
Tableau 5. Exemple de compte de résultat d’une clinique vétérinaire (les montants sont exprimés en % du chiffre d’affaires).

La première chose qu’il faut déduire de ce tableau, c’est que pour qu’une clinique vétérinaire soit économiquement viable (c’est-à-dire avec un EBE compris entre 10 % et 20 %), le coût du travail des vétérinaires doit tourner autour de 25 % du chiffre d’affaires de la clinique.

En même temps, ce tableau nous montre que 80 % du chiffre d’affaires de la clinique (sous forme de services cliniques et de vente de médicaments) sont directement générés par l’activité du vétérinaire.

En combinant ces deux mesures (80/25 = 3,2), nous obtenons un ratio de très grande importance pour le reste de notre analyse :

Ratio 1

 Chiffre d'affaires généré par     ➜    doit être au minimum   ➜    à 3,2 fois le coût total de 
les vétérinaires de la clinique                           égal                                   ces vétérinaires


Le premier problème que nous montre cette formule est de nature purement pratique : la plupart des employés ne sont pas conscients des coûts totaux de leur salaire individuel pour leur entreprise – en d’autres termes, de ce qu’ils coûtent à leur employeur. Un employé a généralement une idée assez claire de son salaire net (ce qu’il a en poche) mais il peut être moins conscient de ce qui compose son salaire brut (ce qu’il a en poche plus les taxes sur les salaires que l’état ou les organismes sociaux prélèvent avant qu’il ne reçoive son salaire net). En revanche, ce qu’il ne sait pratiquement jamais, c’est ce qu’il coûte au total à sa société et qui correspond à son salaire brut auquel s’ajoutent tous les impôts sur la main-d’œuvre (qui, dans la plupart des pays, sont destinés à aider au financement des services sociaux : sécurité sociale, allocations chômage et retraites). L’importance de ces impôts sur la main-d’œuvre peut significativement varier d’un pays à l’autre mais reste toujours significative et, dans beaucoup de pays, elle peut finir par représenter une partie très importante des coûts de la main-d’œuvre supportés par un employeur.

Même si les proportions présentées peuvent être différentes selon les taux d’imposition sur le chiffre d’affaires et sur la main-d’œuvre salariale en vigueur dans chaque pays, le ratio 2 nous présente un exemple moyen :

Ratio 2
Salaire net payé à l'employé Salaire brut gagné avant impôts Coût total des salaires pour l'entreprise
 1 000 €  1 250 €  1 550 €

 

Dans cet exemple, le coût réel du travail pour une clinique vétérinaire est 1,55 fois2 le salaire net reçu par l’employé. Si nous associons maintenant les ratios 1 et 2, nous obtenons :

 Chiffre d'affaires généré par     ➜   doit être au minimum    ➜    5 fois le salaire net reçu        les vétérinaires de la clinique                  3,2 x 1,55 = 5                         par ces vétérinaires

2 Il s’agit d’un exemple moyen. Ce ratio est plus élevé dans les pays où le coût de la protection sociale obligatoire est important (Scandinavie, Belgique, France…).

L’espoir légitime du jeune vétérinaire de recevoir un joli salaire de départ vient se heurter à la dure réalité de cette « loi économique de la productivité vétérinaire ». En effet, pour que la clinique puisse lui payer le net mensuel de 2 500 euros qu’il désire, ce jeune vétérinaire devra générer au moins 12 500 euros par mois soit 150 000 euros par an.

Etant donné que, selon le contexte local de chaque pays, ces chiffres de salaires et de recettes à générer peuvent sembler très élevés ou très bas, le Tableau 6 présente ces ratios pour différents niveaux de salaires mensuels.


Tableau 6. Chiffre d’affaires nécessaire pour la rémunération nette d’un vétérinaire.
Salaire net du jeune vétérinaire Coût du salarié pour la clinique Chiffre d’affaires devant être généré par le jeune vétérinaire
 1 000 €  1 550 €  5 000 €
 2 000 €  3 100 €  10 000 €
 2 500 €
(notre exemple)
 8 000 €
(notre exemple)
 12 500 €
(notre exemple)
 3 000 €  4 650 €  15 000 €
 4 000 €  6 200 €  20 000 €
 5 000 €  7 750 €  25 000 €

 

Il est évident que le jeune vétérinaire va se poser la question suivante : Quelle probabilité ai-je de générer un chiffre d’affaires de 150 000 euros annuellement dans cette clinique afin que celle-ci me paye les 2 500 euros net que je souhaite recevoir ?

La réponse à cette question dépend d’une série de facteurs qui ne sont pas tous sous son contrôle:

  • Le volume de travail de la clinique vétérinaire. La clinique a-t-elle assez de patients actifs pour que chaque vétérinaire puisse atteindre le minimum requis de 12-15 actes quotidiens ? Si ce n’est pas le cas, il sera difficile d’atteindre le montant de chiffre d’affaires nécessaire.
  • La politique des prix et la rigueur en matière de facturation et d’encaissement de la clinique. Tout le travail effectué par la clinique est-il correctement tarifé ? Du travail est-il fourni à des tarifs préférentiels ou même gratuitement ? En effet, plus les prix sont bas et les rabais élevés moins il y a de chances d’atteindre ce montant important de chiffre d’affaires nécessaire au paiement de bons salaires au personnel qualifié.
  • La qualité de la médecine offerte par la clinique. Quelle est la proportion de vaccins et de consultations effectués par les vétérinaires par rapport aux autres actes médicaux ayant une plus forte valeur ajoutée ?
  • Les capacités de communication et de persuasion des vétérinaires. Le vétérinaire qui communique clairement et de façon persuasive termine sa consultation en fournissant bien plus de services et, en conséquence, génère plus de chiffre d’affaires pour la clinique.
     
Il est donc important que le jeune vétérinaire comprenne rapidement que plus il sera productif pour la clinique qui l’emploie, plus il sera en mesure de recevoir un salaire conséquent. Salaires et chiffre d’affaires forment les deux faces d’une même pièce : c’est ce qu’on appelle la « loi économique de la productivité vétérinaire ».

Philippe Baralon

Philippe Baralon

Philippe Baralon a obtenu son diplôme de l’École nationale vétérinaire de Toulouse, en France, en 1984 et a poursuivi ses études en économie (maîtrise d’économie, Toulouse, 1985) et en administration des affaires (MBA, HEC-Paris 1990). En savoir plus

Antje Blättner

Antje Blättner

La Dre Blaettner a grandi en Afrique du Sud et en Allemagne et a obtenu son diplôme en 1988 après avoir étudié la médecine vétérinaire à Berlin et à Munich. En savoir plus

Pere Mercader

Pere Mercader

Le Dr Mercader s’est établi comme consultant en gestion auprès des cliniques vétérinaires en 2001 et a depuis développé son activité en Espagne, au Portugal et dans certains pays d’Amérique latine. En savoir plus

Mark Moran

Mark Moran

Mark Moran est consultant auprès de la profession vétérinaire depuis 19 ans. En savoir plus

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