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Veterinary Focus

Numéro du magazine Finance

Stratégie prix et inflation

Publié 27/02/2023

Ecrit par Philippe Baralon

Aussi disponible en Deutsch , Italiano , Polski , Português , Română , Español et English

Cet article fait partie d’une série rédigée par trois spécialistes de la gestion vétérinaire (dont Antje Blaettner et Pere Mercader) qui abordent divers aspects de la stratégie prix des vétérinaires. Ce document examine les facteurs à prendre en compte lors de la révision annuelle de la liste de prix d’une clinique vétérinaire, notamment dans un contexte inflationniste.

associés d’une clinique vétérinaire

Points clés

Il est important de connaître le taux d’inflation interne de la clinique vétérinaire lorsqu’on envisage d’augmenter les tarifs des produits et services.


Le taux d’inflation interne de la clinique sera probablement différent du taux d’inflation national, car il est surtout influencé par la masse salariale, les loyers, et – sauf exception – assez peu par l’énergie.


Il est important de comprendre l’impact des choix d’ajustement tarifaire sur la marge brute, sous peine d’altérer la profitabilité de l’entreprise. 


Il est extrêmement important de fixer correctement le prix des produits et services vétérinaires, surtout lorsque l’inflation est élevée. 


Introduction

Après environ trois décennies de stabilité des prix dans la plupart des économies développées, l’inflation revient en force. Les cliniques vétérinaires, comme toutes les entreprises, doivent faire face à cette situation inhabituelle, et la plupart ont du mal à comprendre ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Afin d’examiner comment ajuster ses prix pour tenir compte de l’inflation, concentrons-nous sur une étude de cas en utilisant quelques données et questions simples.

Révision des prix de PremiumVet

PremiumVet* est une clinique vétérinaire généraliste pour animaux de compagnie. Sa politique de prix est adéquate – c’est-à-dire conforme à son positionnement sur le marché local – et son niveau de rentabilité satisfaisant du point de vue des deux associés, Jane et Kevin.

* Le nom « PremiumVet » est un nom fictif, sans rapport avec une clinique ou une entreprise réelle du même nom.

Les deux associés se réunissent à la fin du mois de décembre de chaque année pour décider de leurs ajustements de prix pour les 12 mois à venir (Figure 1). Pour la réunion de décembre 2022, comme d’habitude, Jane a rassemblé des données pertinentes. Cela comprend un compte de résultat prévisionnel simplifié de PremiumVet pour 2022 (Tableau 1) et le détail des augmentations de coûts subis par la clinique.

stratégie prix

Figure 1. Les associés d’une clinique vétérinaire doivent réfléchir à leur stratégie prix lorsque l’inflation est élevée. Cela nécessite également une discussion au sein de l’équipe et des explications approfondies.
© Shutterstock

Tableau 1. Compte de résultat prévisionnel simplifié de PremiumVet pour 2022

K€
Chiffre d’affaires 1000
Achats consommés (médicaments, pet-food, consommables)
230
Marge brute 770
Charges de personnel
465
Loyer et charges locatives (hors énergie)
55
Energie
15
Autres charges de structure
85
Total des charges
620
Profit 150

 

Au niveau national, le taux d’inflation pour 2022 devrait atteindre 10 %, alimenté principalement par les hausses des prix de l’énergie et des denrées alimentaires. Fin décembre 2022, la majorité des prévisions anticipent à peu près le même niveau d’inflation pour 2023, même si l’incertitude reste très élevée (la plupart des économistes anticipent entre 5 et 12 %). Bien entendu, tous les coûts n’ont pas augmenté de 10 % en 2022. Jane a donc examiné les données pour leurs principales dépenses, comme le résume le Tableau 2.

Tableau 2. Augmentation des coûts de PremiumVet sur 2022/2023. Notez que le simple fait d’utiliser le taux d’inflation moyen ou national ne tiendra pas compte des augmentations variables dans les différentes catégories de charges ; il est préférable de prendre en compte les augmentations spécifiques à chaque poste lorsque cela est possible.

Dépenses Augmentation en 2022 Remarques et anticipation pour 2023
Charges de personnel +6,5 %* + 2 % en janvier & + 4,5 % en octobre 2022, puis 5 % en janvier 2023
Loyer et charges locatives (hors énergie) +3,0 % Augmentation contractuelle annuelle, devrait rester inférieure à 4 %
Énergie +55,0 % Imprévisible – coût estimé
Autres charges de structure +3,5 % Très variable, pourrait augmenter un peu plus

 

Maintenant, Jane et Kevin doivent prendre des décisions importantes :

  1. Lors de leur réunion annuelle fin 2021, Jane avait proposé d’augmenter les prix de tous les services de 2,5 % (c’est-à-dire à peu près le taux d’inflation de 2021), les salaires du personnel étant augmentés de 2 % à partir du 1er janvier 2022, et Kevin avait accepté immédiatement. Cependant, en mars-avril 2022, les prix de l’énergie se sont envolés, puis à la fin du printemps, de nombreux autres prix ont également augmenté de manière significative, de sorte que la pression sur les salaires au sein de l’entreprise est devenue insistante. A ce stade, Jane a proposé d’augmenter les prix de 4% supplémentaires, mais Kevin était réticent… Finalement, fin septembre, il a accepté une augmentation de 2,5% à partir du 1er octobre, accompagnée d’une augmentation de 4,5% des salaires. Ils sont maintenant confrontés à la question suivante : quel ajustement des prix doit être mis en œuvre sur les services pour 2023 ? Devrait-il s’agir d’un ajustement général à un pourcentage fixe, ou serait-il préférable de procéder à des ajustements différents selon les catégories de services ? Ils estiment également qu’ils doivent accorder à leur personnel une augmentation de 5 % des salaires à partir de janvier 2023.
  2. Pour les produits vendus à la clinique, l’ajustement de 2021 était presque automatique : ils appliquaient les taux de marge habituels aux prix d’achat actualisés. Cette année, il est encore plus difficile de prendre des décisions pour les produits que pour les services, car les augmentations des prix d’achat ont connu d’énormes variations (entre 2 et 38 % !). Le dilemme est mieux illustré si on considère deux produits A et B (tous les prix sont donnés hors TVA) :
  • Pour le produit A, le prix d’achat en 2022 était de 30 €, et il était vendu 54 € aux clients (soit un coefficient de 1,8). Le prix d’achat en 2023 devrait être de 31 €. En outre, le produit A bénéficie d’une faible concurrence de la part des autres circuits, c’est-à-dire que les clients l’achètent généralement à la clinique (Figure 2).
  • Pour le produit B, le prix d’achat en 2022 était de 60 €, et il était vendu 84 € (soit un coefficient de 1,4). Le prix d’achat de 2023 devrait être de 75 €, probablement en raison de l’augmentation du coût des matières premières et de l’énergie. En outre, le produit B souffre d’une pression concurrentielle importante, ce qui signifie que les clients peuvent se le procurer auprès de concurrents non vétérinaires, principalement des sites de vente en ligne (d’où le choix historique d’un coefficient inférieur à celui du produit A).
produits à la clinique

Figure 2. Les clients achètent plus facilement les produits à la clinique s’il y a peu de concurrence d’autres circuits de distribution.
© Shutterstock

Les associés sont confrontés à trois questions importantes

1. Quelle augmentation de marge brute est nécessaire pour maintenir le profit en Euros constants en 2023 ?

À l’aide des informations recueillies par Jane, les deux associés ont pu calculer leur taux d’inflation interne, comme le montre le Tableau 3. Les coûts totaux pour 2023 ont été estimés à 43.000 € de plus que les coûts de 2022 ; si l’on suppose que l’inflation est de 10 %, cela signifie qu’un profit comparable pour Jane et Kevin en 2023 serait de 165.000 € (c’est-à-dire 10 % de plus qu’en 2022). Pour y parvenir, leur marge brute devrait passer de 770.000 € à 828.000 €.

Tableau 3. Le calcul nécessaire pour maintenir le niveau de profit pour les propriétaires de PremiumVet en appliquant les augmentations spécifiques à chaque catégorie de dépenses.

En milliers d’euros 2022 Augmentations (voir Tableau 2) 2023
Charges de personnel 465 +6,5 %* 495
Loyer et charges locatives (hors énergie) 55 +3,0 % 57
Coûts énergétiques 15 +55,0 % 23
Autres frais généraux 85 +3,5 % 88
Total des coûts 620 663
Profit 150 10 % 165
Marge brute 770 +7,5 % 828

* Pour être précis, deux augmentations consécutives des salaires de 2 % et 4,5 % donnent une augmentation de 6,59 % (1,02 x 1,045) et si la première est appliquée depuis le 1er janvier, et la deuxième depuis le 1er octobre, la moyenne est de 3,15 % (2% x ¾ + 6,59 % x ¼).

Il est important de noter qu’ils ont utilisé le taux d’inflation national uniquement pour maintenir leur profit en Euros constants ; pour tous les autres éléments, ils ont utilisé des données spécifiques. La marge brute requise – 828 K€ – signifie que PremiumVet a besoin d’une marge brute supérieure de 7,5% à celle de 2022 pour maintenir un profit équivalent pour les associés.

Par ailleurs, la clinique n’a augmenté ses prix que de 3,1 % en moyenne sur l’ensemble de l’année (2,5 % le 1er janvier et 2,5 % le 1er octobre), même si les prix au 31 décembre seront supérieurs de 5 % à ceux de l’année précédente*. 

* Pour être précis, deux augmentations consécutives de 2,5% donnent une augmentation de 5,0625% (1,025 x 1,025) et si celle-ci est appliquée depuis le 1er janvier, et la deuxième depuis le 1er octobre, la moyenne est de 3,14% (2,5% x ¾ + 5,0625% x ¼)

2. Quel prix décider pour les services en 2023 ?

Considérant que les prix de PremiumVet sont adéquats – c’est-à-dire conformes à son positionnement au sein du marché local – la méthode la plus simple pour actualiser les prix des services consiste à augmenter chacun d’entre eux de 7,5 %. Néanmoins, les associés peuvent décider d’augmenter certains services davantage s’ils estiment que cela est nécessaire et possible, et d’autres un peu moins, uniquement si c’est absolument nécessaire (par exemple si les tarifs pratiqués par d’autres vétérinaires sont très inférieurs). Mais il faut que, sur une moyenne pondérée (en tenant compte du volume de chaque service), l’augmentation atteigne au moins 7,5 %.

Bien entendu, les deux associés ont convenu de garder un œil sur la situation tout au long de l’année à venir, et d’être prêts à bouger à nouveau si la situation l’exige. Après tout, les décisions qu’ils ont prises pour l’ajustement des prix de janvier ne font que compenser la dernière partie de l’inflation interne réelle de 2022 et incluent à peine le minimum prévu pour 2023.

3. Comment aborder la question de la tarification des produits ?

En ce qui concerne la fixation des prix des produits, les deux exemples donnés montrent deux situations opposées. Le prix d’achat du produit A ne devrait augmenter que de 3,3 % dans une catégorie qui n’est pas soumise à une forte concurrence, tandis que le prix du produit B devrait augmenter de 25 % dans une catégorie fortement exposée aux circuits alternatifs.

Si PremiumVet s’en tient à sa stratégie précédente et applique ses coefficients habituels (1,8 pour le produit A et 1,4 pour le produit B), la clinique n’augmentera sa marge brute que de 80 centimes supplémentaires, soit 3,3 %, pour le produit A. Pour le produit B, l’augmentation de la marge brute serait de 6 euros, soit une hausse de 25 %. Dans le premier exemple, l’augmentation de prix est inférieure à la hausse de 7,5 % de la marge brute requise pour maintenir un niveau de profit acceptable (comme calculé dans le Tableau 3) et n’optimisera pas les opportunités offertes par une concurrence limitée. Dans le second exemple, l’ajustement des prix dépassera l’objectif de marge brute mais expose la clinique au risque de perdre des parts de marché au profit de concurrents très actifs.

Une meilleure approche serait d’augmenter la marge brute réalisée sur chaque produit de 7,5% – ainsi pour le produit A, prenez la marge brute de 24 € de 2022 et augmentez-la de 7,5%, ce qui donne une nouvelle marge brute de 25,80 € et donc un prix de vente de 56,80 € (31 + 25,80) ; pour le produit B, la même augmentation de 7,5 % donnerait un prix de vente de 100,80 € (75 + 25,80). 

Une option encore meilleure serait d’affiner la tarification finale en partant de la base précédente et en intégrant le contexte concurrentiel spécifique. Le Tableau 4 compare les options de tarification utilisant les taux de marge « standard » de la clinique, celles reposant sur une augmentation de 7,5 % de la marge brute, et enfin les décisions que Jane a finalement proposées à Kevin.

Tableau 4. Options de tarification de PremiumVet en utilisant les coefficients habituels de la clinique ou avec une augmentation de 7,5 % de la marge brute. Le tableau montre qu’une approche spécifique des différents produits peut préserver voire augmenter la marge brute.

P
R
O
D
U
I
T
Prix d’achat 2022 Coeff. Prix de vente 2022 Marge brute 2022 Prix d’achat 2023 Prix de vente 2023 Marge brute 2023
Coeff. habituel +7,5 % de marge brute Décision finale
A 30 € 1,8 54 € 24 € 31 € 55,80 € 56,80 € 60,00 € 29 €
B 60 € 1,4 84 € 24 € 75 € 105,00 € 100,80 € 100,00 € 25 €

 

Kevin est d’accord sur le principe, mais demande une politique générale facilement applicable à tous les produits vendus par PremiumVet. En retour, Jane a proposé la politique d’ajustement des prix (résumée dans le Tableau 5) qui tient compte à la fois de l’exigence d’une augmentation de la marge brute de 7,5 % et de la nécessité de prendre en compte le contexte concurrentiel.

Tableau 5. Résumé de la stratégie de prix mise en œuvre par PremiumVet où les augmentations de prix varient en fonction du niveau de concurrence.

Produit Augmentation du prix d’achat par rapport à l’augmentation cible de la marge brute (7,5 % pour PremiumVet en 2023)
< 7,5 % > 7,5 %
Contexte concurrentiel Faible concurrence (consommables, injectables, livraisons ponctuelles...) 
> Marge standard
≥ +7,5 % de marge brute
Majoration standard
Forte concurrence (grands conditionnements de marques connues de médicaments en vente libre ou de produits préventifs ou de traitements longue durée accessibles dans les circuits non vétérinaires)
Majoration standard
Suivi attentif de la concurrence
< Taux de marge standard
+7,5 % maximum de marge brute
Suivi attentif de la concurrence

 

Philippe Baralon

Les augmentations de prix ne doivent pas être appliquées automatiquement, mais plutôt être choisies en fonction de divers facteurs, et notamment le contexte concurrentiel.

Philippe Baralon

Messages essentiels

L’exercice ci-dessus illustre quelques points fondamentaux à garder à l’esprit lors de l’ajustement des honoraires et des prix des produits dans une entreprise vétérinaire. On peut identifier au moins trois messages essentiels :

  • Il est utile de s’écarter de l’ajustement annuel standard des prix des services et des coefficients habituels appliqués aux produits lorsque le taux d’inflation dépasse 5 % par an ; il est absolument indispensable de le faire lorsqu’il atteint 8 %.
  • En plus des statistiques nationales, il est très intéressant de déterminer le « taux d’inflation interne » d’une clinique vétérinaire. En outre, il est important de veiller à ce que le profit augmente chaque année, au moins du taux national d’inflation, sinon la profitabilité de la clinique diminuera. En utilisant les ces données, il est possible de fixer un objectif d’évolution de la marge brute de X%.
  • Les prix des services devraient être augmentés chaque année d’au moins X% en utilisant une moyenne pondérée. Si l’inflation est soutenue sur longue période, il est préférable d’ajuster les prix des services deux ou trois fois par an, plutôt qu’en une seule hausse brutale. En ce qui concerne les produits, les auteurs recommandent de s’inspirer des lignes directrices énoncées dans le Tableau 5.

 

Conclusion 

Après plusieurs années d’inflation quasi nulle, les vétérinaires doivent s’adapter dans la manière dont ils augmentent le prix de leurs services et produits. Il n’existe pas de solution simple, mais cet article met en lumière les différents paramètres à prendre en compte pour optimiser votre stratégie de prix.

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Philippe Baralon

Philippe Baralon

Philippe Baralon a obtenu son diplôme de l’École nationale vétérinaire de Toulouse, en France, en 1984 et a poursuivi ses études en économie (maîtrise d’économie, Toulouse, 1985) et en administration des affaires (MBA, HEC-Paris 1990). En savoir plus

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