Le chat et les fibres alimentaires
Les nutritionnistes et les vétérinaires s’intéressent depuis des années aux fibres alimentaires en tant qu’ingrédient des aliments pour animaux ou en tant que complément.
Numéro du magazine 24.3 Nutrition
Publié 04/03/2021
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La tendance consistant à nourrir les chiens et les chats avec des aliments crus semble être apparue au début des années 1990 avec un vétérinaire australien, auteur d’un ouvrage vantant les mérites de l’alimentation crue chez le chien.
Les régimes crus visent à adapter le système proie-prédateur aux chiens et chats domestiques, et se composent donc essentiellement de viande crue, avec une proportion élevée d’os charnus et de viscères.
La principale raison pour laquelle les propriétaires choisissent les aliments crus est le désir d’offrir une alimentation plus naturelle et plus saine à leur animal (Figure 2) 3 4. Parmi les autres raisons, citons les maladies chroniques (telles que les problèmes cutanés, les troubles digestifs et les allergies), que les propriétaires espèrent voir s’améliorer avec ce nouveau régime, et les rumeurs selon lesquelles les aliments industriels ne contiennent que des déchets et ingrédients chimiques, et sont responsables de diverses maladies. Ces rumeurs inquiètent beaucoup de propriétaires et les poussent à rechercher des alternatives plus saines.
Les principales sources d’information sur les aliments crus sont des sites internet et des livres (Figure 3) 3 4. Malheureusement, les auteurs de ces sources sont généralement des non professionnels délivrant des informations trompeuses, voire fausses, malgré un style parfois très scientifique. Le concept BARF est souvent exprimé sur un mode très émotionnel et présenté comme un remède miracle à toutes les maladies notamment comportementales. Certains propriétaires, qui n'auraient pas envisagé d’eux-mêmes une alimentation crue, se laissent ainsi convaincre qu’ils nuisent à leur animal en lui donnant des aliments industriels.
Sachons tout d’abord qu’aucune étude scientifique n’a évalué les effets long terme de l’alimentation crue. Toute discussion sur ses avantages et ses inconvénients ne peut donc reposer que sur nos connaissances en nutrition et de la physiologie digestive. Différents avantages sont souvent cités pour les régimes BARF, par rapport aux aliments du commerce, dont voici la liste avec leurs commentaires.
Les risques suivants doivent être envisagés avec la consommation d’aliments crus :
1. Déséquilibres nutritionnels
2. Risques sanitaires provenant de la viande crue
3. Problèmes liés à l’ingestion d’os
4. Ingrédients inadaptés ou dangereux
1. Déséquilibres nutritionnels
Beaucoup affirment qu’une alimentation naturelle permet forcément de couvrir tous les besoins nutritionnels, et que toute supplémentation artificielle est inutile, voire dangereuse. Quel que soit l’aliment proposé, il est évident que l’organisme ne peut absorber que les nutriments réellement contenus dans l’aliment. Il est donc nécessaire de connaître la valeur nutritionnelle des ingrédients et de savoir comment les associer en justes proportions pour pouvoir élaborer une ration permettant de satisfaire tous les besoins de l’organisme. De nombreux livres et sites internet proposent des recettes BARF complètes, mais la majorité d’entre elles sont malheureusement inadaptées à plusieurs égards. Les erreurs suivantes y sont souvent rencontrées :
Pour en savoir plus sur ces carences nutritionnelles, le vétérinaire est invité à se référer à la littérature scientifique sur la nutrition et la physiologie. Il faut souligner qu’un animal carencé en certaines vitamines et oligoéléments peut rester asymptomatique pendant des mois, voire des années, jusqu’à ce que son organisme ait épuisé ses réserves ou voie ses besoins accrus par une maladie. Comme il peut avoir l’air en forme, son propriétaire répondra souvent : « mon chien (chat) semble en bonne santé, donc il ne peut pas avoir de carence » ou « ses examens sanguins sont normaux, donc l’alimentation que je lui donne doit lui convenir ».
Il est important de faire comprendre au propriétaire que ces examens ne permettent pas de savoir si la nutrition de leur animal est optimale. Les valeurs sanguines donnent une vision instantanée des choses, et des anomalies persistantes n’apparaissent que quand des carences massives ou des supplémentations excessives se sont accumulées. Dans le cas du calcium et du phosphore, les taux sanguins sont maintenus en permanence dans des valeurs étroites – toute anomalie indique un processus pathologique, qui est rarement en lien avec l’alimentation. Pour évaluer ce qu’un animal reçoit sur le plan nutritionnel, il faut toujours évaluer son régime alimentaire !
Traditionnellement, les besoins nutritionnels des animaux sont calculés à l’aide de chiffres issus des recommandations du Conseil de la recherche ou des organismes de réglementation* 7.
* Selon leur pays de fabrication ou de commercialisation, les aliments pour animaux doivent obligatoirement respecter les recommandations du NRC (National Research Council), de la FEDIAF (Fédération Européenne de l’Industrie des Aliments pour animaux Familiers) ou de l’AAFCO (Association of American feed Control Officials). Le respect strict de ces recommandations garantit que les aliments pour animaux sont équilibrés et sans danger pour la santé. Ces recommandations (incluant des recommandations nutritionnelles complètes) sont disponibles sur les sites internet de ces associations.
Les partisans de l’alimentation crue critiquent ces estimations, expliquant que ces chiffres proviennent d’études réalisées sur des aliments purifiés et qu’ils ne sont donc pas applicables aux aliments crus. Cependant, toutes ces recommandations incluent une marge de sécurité qui tient compte de la digestibilité des aliments du commerce, et bien qu’il n’existe pas encore de recommandations chiffrées pour les aliments crus, les données du NRC sont actuellement les meilleures dont nous disposons. Il y a très peu de risques d’obtenir un apport excessif dangereux en suivant les données du NRC pour calculer les rations crues, mais dans tous les cas, le besoin minimum ou l’apport maximal tolérable fournis par le NRC peuvent être utilisés pour évaluer ces rations.
Certains propriétaires refusent tous compléments alimentaires (dont les suppléments minéraux) car ils les jugent artificiels, et souhaitent couvrir les besoins de leur animal uniquement avec des sources naturelles comme les fruits et légumes frais, les fruits à coque et les plantes. Notons que les teneurs en vitamines et en oligoéléments de ces ingrédients sont généralement largement surestimées et en réalité trop faibles pour permettre de supplémenter correctement l’animal avec des quantités réalistes. L’utilisation des plantes repose sur des données essentiellement dérivées de la médecine traditionnelle et les effets bénéfiques suggérés ont rarement été évalués chez le chien et le chat, la majorité des allégations n’étant pas prouvée chez l’animal.
Il est possible, quoique complexe, de formuler une ration crue couvrant tous les besoins nutritionnels avec des ingrédients simples sans utiliser de compléments vitaminiques et minéraux, mais cela nécessite l’avis d’un professionnel de la nutrition.
Différents compléments alimentaires à base de plantes, algues, argiles médicinales allemandes (dites « Heilerde » ou terres médicinales) et autres composants similaires sont particulièrement appréciés des propriétaires de chiens et considérés comme des sources naturelles de nutriments contenant des éléments vitaux non spécifiés. En général, les descriptions de tous ces produits sont imprécises ou incomplètes. Parfois même, la composition n’est tout simplement pas fournie, et il n’y a presque jamais d’analyse nutritionnelle. Il n’est donc pas possible de recommander ces produits. La présence de différents oligoéléments est très variable. Par exemple, si les algues marines (goémon noir, Ascophyllum nodosum)constituent effectivement de bons compléments d’iodes, les algues d’eau douce (Spirulina et Chlorella) ne contiennent pas d’iode. Enfin, on ne peut pas exclure un risque d’effets secondaires et d’interactions indésirables avec ces produits.
2. Risques sanitaires provenant de la viande crue
La viande peut contenir des virus, bactéries et parasites. Le virus de la maladie Aujeszky (pseudorage) représente le plus grand risque, et il est potentiellement mortel pour le chien et le chat. Beaucoup de propriétaires savent qu’ils ne doivent pas donner de porc cru à leur animal, des cas de chiens de chasse décédés de la maladie d’Aujeszky suite à un contact avec des carcasses de porcs sauvages ayant récemment été rapportés 8 (Figure 6), mais toutes les viandes crues sont potentiellement dangereuses, surtout si elles ont été préparées sans respecter les règles d’hygiène alimentaire de base.
Les agents bactériens potentiellement pathogènes incluent les micro-organismes intestinaux comme E. coli, Salmonella, Campylobacter et Yersinia, et les endoparasites (cestodes par exemple, comme Echinococcus spp.) peuvent évidemment infester les chiens ou les chats. Le risque sanitaire pour l’Homme doit également être pris en compte. Les viandes crues peuvent être vectrices, en plus de bactéries intestinales potentiellement pathogènes, de zoonoses comme la tuberculose ou la tularémie (en fonction de leur origine), et les animaux d’élevage comme les animaux sauvages peuvent être porteurs de Toxoplasma.
Les partisans de l’alimentation crue éludent souvent ce problème en argumentant que les chiens et les chats doivent être immunisés contre ces agents pathogènes. Bien que les chiens et les chats semblent effectivement beaucoup moins souffrir de gastroentérite à Salmonella ou E. coli que les humains, les animaux de compagnie peuvent néanmoins contracter des maladies graves voire des septicémies, et les individus immunodéprimés sont particulièrement à risque.
Le plus grand danger reste cependant pour l’Homme, et le risque n’est pas uniquement lié à la manipulation de la viande crue (Figure 7). Les chiens et les chats consommant de la viande contaminée peuvent devenir porteurs sains et excréter pendant des semaines dans leurs selles des agents pathogènes pour l’Homme comme Salmonella, les bactéries se propageant ensuite à la peau de l’animal, son panier, et finalement dans toute la maison.
Le risque sanitaire lié à la viande crue est minimisé dans pratiquement toutes les publications pro-BARF. Il se peut que notre alimentation soit devenue tellement sûre que les dangers potentiels ont été quasiment éliminés, et nous sommes peu sensibilisés aux risques. Mais les produits BARF proviennent souvent de sources autres que l’industrie des aliments destinés à la consommation humaine. En outre, il existe aujourd’hui un marché permettant de commander en ligne de la viande crue et des sous-produits de viande crus pour composer les rations BARF. Ces produits sont généralement expédiés congelés mais ne sont pas soumis aux mêmes règles d’hygiène que les produits de l’industrie agroalimentaire, et il n’y a donc aucune garantie de la désinfection systématique des conteneurs de transport et du respect de la chaîne du froid. De plus, des rations BARF prêtes à l’emploi sont actuellement commercialisées, et plusieurs publications ont indiqué que ces produits sont de mauvaise qualité microbiologique 9 10. Il faut évidemment rappeler que les bactéries de type Salmonella constituent aussi un risque pour l’industrie des aliments pour animaux, et que les fabricants doivent maintenir un niveau élevé de normes pour assurer la qualité et la sécurité de ces aliments tout au long du processus de fabrication.
3. Problèmes liés à l’ingestion d’os
L’ingestion d’os peut entraîner divers problèmes, incluant lésions orales et fractures dentaires, impaction d’os dans la gorge ou l’œsophage, constipation, iléus, voire perforation gastro-intestinale (Figure 8). Aucune donnée publiée ne nous permet de savoir si ces problèmes ont augmenté ces dernières années avec la hausse de popularité des régimes crus, mais certains vétérinaires et personnel des cliniques pour petits animaux ont l’impression que ces cas sont aujourd’hui bien plus fréquents qu’il y a ne serait-ce que cinq ans, où ils semblaient comparativement rares.
4. Ingrédients inadaptés ou dangereux
Il y a toujours le risque qu’un propriétaire, par ignorance, intègre dans une ration ménagère des ingrédients peu digestibles, voire toxiques. Si la majorité des propriétaires de chiens et de chats savent que certains produits comme le chocolat, le raisin et l’oignon sont toxiques, d’autres produits sont souvent présentés, recommandés et commercialisés comme étant adaptés à la composition des rations crues. L’ail en est un bon exemple, souvent vanté pour ses bienfaits sur la santé et son effet répulsif contre les ectoparasites. Non seulement il n’existe aucune preuve scientifique de ces bénéfices, mais l’ail a un effet négatif avéré sur les globules rouges. Il en va de même pour l’ail sauvage et la ciboulette. Les partisans des aliments crus répondent souvent à ces mises en garde en argumentant que ces produits sont utilisés bien en-dessous de la dose toxique, mais nous ne savons pas si la consommation prolongée de petites quantités de ces produits est effectivement dangereuse ou non, et il faut donc déconseiller toutes les plantes de la famille des oignons chez le chien. En outre, il faut souligner que les produits suivants sont définitivement inadaptés à l’alimentation crue :
Problèmes spécifiques
Il est important de signaler deux problèmes spécifiques attribuables aux régimes BARF.
Chez un animal malade, il est important de déterminer si les caractéristiques de l’alimentation crue (teneurs élevées en protéines et en lipides, taux élevés de calcium et de phosphore, risque sanitaire potentiel) sont compatibles avec les besoins nutritionnels imposés par la maladie.
Les taux de vitamines et d’oligoéléments sont également à prendre en compte chez l’animal malade, car ils sont nécessaires au fonctionnement optimal de son système immunitaire. Il faut aussi savoir qu’un changement de régime alimentaire constitue un facteur de stress supplémentaire, et doit être évité chez les animaux souffrant de tumeurs, qui ont généralement peu ou pas d’appétit.
Si l’utilisation d’aliments crus est possible chez le chien et le chat, elle comporte certains risques. Le vétérinaire doit expliquer ces risques au propriétaire, tout en tenant compte de ses convictions idéologiques et du contexte. Les propriétaires veulent faire le meilleur choix pour leur animal, mais ils font souvent fi des critères objectifs et se laissent plutôt influencer par internet, la publicité ou les on-dit. Il est essentiel d’apporter un conseil sur le choix et le contrôle judicieux des ingrédients, car les recettes et les recommandations publiées sur internet et dans les ouvrages grand public sont rarement correctes. Tous les ingrédients doivent être soumis à des règles d’hygiène strictes et les propriétaires doivent connaître les risques spécifiques de contamination bactérienne pour les viandes achetées par correspondance. Les viandes des régions de la tête et du cou ne doivent pas être utilisées si elles contiennent du tissu thyroïdien. Il faut en particulier déconseiller l’alimentation crue chez les animaux cohabitant avec des personnes à risque (enfants en bas âge, femmes enceintes, personnes âgées ou souffrant de maladies chroniques) et ceux en contact régulier avec de telles personnes, par exemple les animaux utilisés en zoothérapie et dans le cadre éducatif.
Stefanie Handl
Le Dr Handl est diplômée de l’Université de Médecine Vétérinaire de Vienne en 2002 et obtient son doctorat en 2005. Elle travaille ensuite en tant qu’assistante En savoir plus
Les nutritionnistes et les vétérinaires s’intéressent depuis des années aux fibres alimentaires en tant qu’ingrédient des aliments pour animaux ou en tant que complément.
Les vétérinaires et les ASV doivent quotidiennement répondre aux questions des clients concernant différents aspects de l’alimentation animale, dont beaucoup sont des rumeurs, des croyances ou des contrevérités.
Pourquoi est-il important de connaître la teneur énergétique des aliments ?
Les gens adoptent souvent un animal domestique pour répondre à un besoin psychologique, comme le désir d’avoir un compagnon, mais leur démarche d’adoption se concentre généralement sur l’animal qui répondra le mieux à leurs besoins sans envisager les besoins de l’animal lui-même…