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Veterinary Focus

Numéro du magazine 32.1 Autre scientifique

L’instinct maternel chez la chienne

Publié 01/06/2022

Ecrit par Natalia Ribeiro dos Santos

Aussi disponible en Deutsch , Italiano , Português , Español , English et Українська

Le comportement maternel est essentiel à la survie des chiots au cours des premières semaines de leur vie et il peut également avoir un effet durable sur leur développement cognitif. Cet article propose quelques conseils pour aider le clinicien confronté à des chiots nouveau-nés.

Chienne allaitant en position assise

Points clés

Une chienne doit être surveillée de près pendant la mise-bas et les premiers jours du postpartum. 


La césarienne peut affecter le comportement maternel ; les chiots doivent donc lui être présentés avec précaution et la mère sera surveillée de près pendant quelques jours, jusqu’à ce qu’elle ait définitivement accepté les chiots.


Un mauvais comportement maternel peut nuire au développement cognitif du chiot.


La période de maternité doit se dérouler dans un environnement sans stress pour permettre à la chienne de bien exprimer son comportement maternel.


Introduction

L’étude du comportement maternel des mammifères renseigne à propos des interactions nécessaires entre la mère et sa progéniture, ainsi que du niveau de dépendance entre les deux ; les comportements varient entre les espèces précoces et les espèces nidicoles. Chez la chienne, un bon comportement maternel est important pour deux raisons majeures. D’abord, les chiots naissent sans défense, sourds et aveugles, ils se déplacent peu (c’est une espèce nidicole) et ils dépendent donc totalement d’une source extérieure pour survivre. Chez les chiens domestiques, à la différence des chiens errants et de certains canidés sauvages, les soins parentaux sont principalement assurés par la mère, de sorte que la survie des chiots dépend directement de la qualité de son comportement maternel (en l’absence d’intervention humaine). Ensuite, le comportement de la mère peut influencer le développement futur de sa progéniture. Bien que des études récentes ne soient pas concluantes, les qualités maternelles semblent directement liées au développement cognitif et aux performances du chiot 1,2,3.

Le comportement maternel de la chienne est étudié depuis plusieurs décennies 4,5,6 et il est admis que ce comportement vise à répondre aux besoins des chiots. Ses principales formes sont le contact direct (pour réchauffer les chiots), l’interaction orale (le léchage), l’allaitement, le jeu et la sanction. En revanche, les effets des soins maternels sur le développement cognitif des chiots est un concept récent. Diverses études 1,2,3,7,8 ont tenté de décrire et de prévoir comment les interactions précoces entre une mère et ses chiots peuvent influencer les capacités cognitives de ces derniers, la durée de ces effets et leur importance sur les performances et le comportement futurs des chiens adultes. De mauvais soins maternels pourraient en effet être à l’origine de comportements indésirables ultérieurs. Cet article se concentrera sur le comportement maternel classique de la chienne autour de la mise-bas et pendant les premières semaines de vie, et discutera de la façon dont les soins maternels peuvent influencer les capacités cognitives et le caractère du chien.

Imminence de la mise-bas

Des changements de comportement de la mère peuvent apparaître un ou deux jours avant la date de mise-bas 9 mais les signes seront plus ou moins évidents, selon que la chienne est primipare ou multipare. Dans la plupart des cas, elle est agitée et son appétit baisse 12 à 24 heures avant la mise-bas. Le comportement de nidification et de fouissement est plus variable et dépend de facteurs individuels et environnementaux, ainsi que de l’intensité de la relation à l’Homme 10. Aucune corrélation n’a été établie entre l’intensité de la préparation à la mise-bas et la qualité du comportement maternel. Parmi les autres signes qui ont aussi été décrits, il y a notamment l’inattention, la somnolence, l’agressivité, l’anxiété, l’imprévisibilité, l’irritation et une tendance accrue à rechercher l’attention du propriétaire, bien que certaines chiennes préfèrent pourtant s’isoler. À l’approche du terme, la chienne passe plus de temps dans la zone dédiée à la mise-bas. Une baisse de la température corporelle peut provoquer des frissons 9 et expliquer d’autres changements de comportement mais l’utilisation de ce paramètre comme indicateur de la mise-bas reste discutable. Il a été affirmé qu’une chute d’environ 1 °C indiquerait l’imminence de la mise-bas 11 mais les enregistreurs de température vaginale ont montré que cette baisse n’avait pas de valeur prédictive 12.

Mise-bas

La mise-bas normale (eutocie) résulte de l’association de changements physiologiques, hormonaux et comportementaux qui aboutissent à l’expulsion des chiots. La mise-bas se déroule en trois étapes, avec l’expression de comportements différents. Lors de la première étape, des contractions utérines subcliniques apparaissent, accompagnées d’une relaxation vaginale et d’une dilatation du col utérin, mais sans signe de contractions abdominales. Certaines chiennes ne montrent aucun signe évident à ce stade mais, si c’est le cas, il s’agit des mêmes comportements que ceux observés juste avant la mise-bas, comme le réarrangement du lieu de couchage pour tenter de construire un nid. La durée de cette phase peut être affectée par le rang de la portée : elle peut aller jusqu’à 36 heures chez une femelle primipare nerveuse 9 mais sinon elle dure généralement 6 à 12 heures. La deuxième phase est le processus actif de mise-bas ; elle se caractérise par des contractions abdominales fortes et coordonnées, suivies de vocalises de la chienne et de l’écoulement des liquides fœtaux. Une fois le col utérin complètement dilaté, l’arrivée du premier chiot déclenche le réflexe de Ferguson et stimule la libération d’ocytocine, suivie par la contraction des muscles abdominaux qui entraîne la mise-bas.

Une fois le chiot né, la chienne doit rompre le sac amniotique (s’il ne s’est pas rompu pendant la naissance) (Figure 1) ; les chiots qui restent dans les membranes fœtales peuvent mourir en quelques minutes s’ils ne sont pas libérés rapidement. La chienne doit également déchirer le cordon ombilical et lécher vigoureusement le chiot nouveau-né 9. Cela est important pour stimuler la respiration et sécher le chiot, mais c’est aussi essentiel pour établir le lien maternel. L’inexpérience (chez la chienne primipare) et un niveau élevé d’anxiété pendant la parturition peuvent perturber le comportement maternel et entraîner une augmentation de la mortalité des chiots. L’ensemble du processus se répète jusqu’à ce que tous les chiots soient nés et la chienne interrompt le toilettage d’un nouveau-né lorsque les contractions reprennent lors de l’expulsion d’un autre chiot. En pratique, une chienne peut se concentrer entièrement sur le processus de mise-bas et sembler insensible aux pleurs des chiots 4, négligeant sa portée jusqu’à la fin de la deuxième étape 5.  En général, le premier chiot naît dans les 1 à 2 heures qui suivent le début de la deuxième phase, bien que cela puisse durer jusqu’à 4 heures. La durée totale de la deuxième phase varie en fonction de la taille de la portée et peut aller jusqu’à 12 heures ; un stress ou une perturbation sont susceptibles de retarder ou d’interrompre le processus 4,5.

Étape 2 de la mise-bas

Figure 1. Étape 2 de la mise-bas : la chienne doit ouvrir le sac amniotique juste après la mise-bas pour permettre au chiot de respirer.
Crédit : Shutterstock

La troisième étape consiste en l’expulsion des membranes fœtales, qui peut se produire après chaque chiot ou après la naissance de deux ou trois chiots. Si on lui permet de le faire, la chienne mangera les placentas ; chez les carnivores, cette ingestion est importante pour plusieurs raisons : pour l’hygiène, pour apporter de l’énergie à la mère 4 et éventuellement pour éviter d’attirer des prédateurs.

Comportement maternel dans la période de l’immédiat postpartum

Une fois la mise-bas terminée, la chienne doit présenter un ensemble de comportements qui permettront la survie, la croissance et le développement des chiots 13. Les études sur le comportement maternel ont tendance à se concentrer sur des paramètres faciles à mesurer, telles que les interactions oronasales (léchage ou tapotage des chiots), le temps passé avec la portée (à la fois en contact étroit et dans le nid), ainsi que la durée et la position de la chienne pendant l’allaitement. Bien que le comportement maternel soit important jusqu’au sevrage, l’accent sera mis ici sur la période néonatale et la période de transition car c’est à ce moment-là que les chiots sont le plus dépendants de leur mère. Cette étape est cruciale pour déterminer comment le caractère et les capacités maternelles de la mère peuvent affecter le développement des chiots. La période néonatale (définie comme allant du premier au 16e jour) est l’adaptation à la vie extra-utérine tandis que la période de transition commence lorsque les chiots ouvrent les yeux ; elle se caractérise par le développement de la capacité auditive et des compétences neurologiques 10. À la fin de cette période, les capacités sensorielles du chiot seront pleinement fonctionnelles, son niveau de dépendance commencera à diminuer et son comportement exploratoire augmentera.

Interaction oronasale

La chienne commence à interagir avec un chiot nouveau-né en le toilettant 4,6,9. Comme nous l’avons vu plus haut, ce comportement est essentiel à la survie du chiot mais aussi au déclenchement du lien maternel. Le léchage provoquerait la miction et la défécation au cours des trois premières semaines de vie 6,9,14 mais la mère lèche aussi les chiots pour les réveiller lorsqu’elle est prête à les allaiter, en les dirigeant vers les mamelles. La mère continuera à lécher les chiots au moins jusqu’au sevrage, bien que ce comportement diminue avec le temps ; vers l’âge de 21 jours, les chiots sont autonomes pour la fonction d’élimination.

Il est possible que la fréquence et le temps consacré au toilettage des chiots influencent le comportement cognitif des chiens. L’activité de léchage a été utilisée pour évaluer le comportement maternel 1,2,3,7 mais aucune corrélation directe n’a été établie ; des recherches chez les rongeurs ont cependant montré que les jeunes qui sont fréquemment léchés par leur mère résistent mieux au stress et que l’activation des gènes associés à l’apprentissage et à la mémoire est renforcée.

Temps de contact

Un autre comportement maternel important consiste à maintenir un contact étroit avec les chiots ; une nouvelle mère hésitera à quitter le nid (Figure 2) pendant au moins trois jours environ après la mise-bas 5,6,8,14. Ensuite, elle reprendra progressivement sa routine quotidienne, en abandonnant ses chiots plus souvent. À ce stade, elle peut se montrer extrêmement protectrice, surtout en présence d’étrangers 4. Le contact étroit entre la mère et les chiots est très important pour prévenir l’hypothermie ; comme les nouveau-nés ont une mauvaise thermorégulation, il faut absolument qu’ils aient accès à une source de chaleur (la mère ou un chauffage extérieur) pour maintenir leur température. L’hypothermie chez un nouveau-né peut altérer certains mécanismes physiologiques, notamment la digestion et la respiration. La température corporelle d’un chiot chute normalement juste après sa naissance 15 avant d’augmenter progressivement jusqu’à atteindre la fourchette normale pour les nouveau-nés au 7e jour, soit 35 à 37°C. La dépendance à l’égard de la température extérieure diminue progressivement mais une source de chaleur permettant aux chiots de maintenir une température interne stable semble être importante jusqu’à la 4e semaine de vie 16

La chienne reste presque constamment avec ses chiots dans les premiers jours suivant la mise-bas

Figure 2. La chienne reste presque constamment avec ses chiots dans les premiers jours suivant la mise-bas. 
Crédit : Shutterstock

Activités maternelles

Chez les mammifères, la nutrition dépend essentiellement du comportement de la mère. L’allaitement et la tétée sont évidemment liés : la mère propose l’allaitement et le chiot répond en tétant. Cette activité est essentielle à la survie de la portée car elle permet à la fois de nourrir les chiots et (dans les 24 heures suivant la naissance) de leur transférer des anticorps colostraux. C’est une des manifestations de l’instinct maternel qui est contrôlée à la fois par le statut hormonal et par le système nerveux central 17. L’allaitement peut commencer avant la fin de la parturition mais nourrir les chiots n’est pas une priorité pour la chienne tant que la mise-bas n’est pas terminée 4. Pendant les premiers jours suivant la parturition, la chienne allaite ses chiots presque constamment 8,14. Au cours des 21 premiers jours des chiots, la chienne s’allonge et les lèche pour les inciter à téter ; cette interaction s’intensifie la nuit 14. Une fois leur mobilité acquise, les chiots initient les tétées 8,14 mais leur durée et leur fréquence diminuent progressivement. La position préférée de la chienne pour allaiter évolue aussi avec le temps : la position assise est plus souvent observée le jour (Figure 3) tandis que la position couchée est plus fréquente la nuit (Figure 4) 14. Cela semble lié au développement des chiots, bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires. Des études sur les chiens guides ont montré que les chiots issus de chiennes qui allaitaient plus souvent en position couchée avaient moins de chances d’être sélectionnés pour le dressage que ceux dont la mère allaitait principalement en position assise ou debout 2.

Chienne allaitant en position assise

Figure 3. Chienne allaitant en position assise, une attitude plus fréquemment observée pendant la journée. 
Crédit : Shutterstock

Le chiot règle la fréquence et la durée de la tétée mais ses préférences pour une mamelle donnée n’ont pas été identifiées. Une fois repus, les chiots relâchent simplement les mamelles mais tant qu’ils restent attachés, la chienne quitte rarement le nid, du moins au début de la période postpartum. Après le 13e jour environ, peut décider elle-même d’interrompre une séance d’allaitement 17.

Chienne allaitant en position couchée

Figure 4. Chienne allaitant en position couchée, une attitude classiquement observée pendant la nuit. 
Crédit : Shutterstock

Évolution du comportement maternel

Au fur et à mesure que les chiots se développent, la fréquence et l’intensité du comportement maternel baissent 3,4,11. Le temps consacré au léchage diminue 6,17, tout comme le degré de contact : la chienne s’éloigne de plus en plus des chiots car ils dépendent moins de sa chaleur 14. La durée et la fréquence des tétées diminuent également progressivement 1,14 ; quand les chiots deviennent plus forts et tètent plus efficacement, la chienne les quitte plus souvent.

Un aliment humide devrait être proposé vers l’âge de 3-4 semaines pour habituer les chiots à l’alimentation solide et pour compléter leur régime, car la production de lait de la mère commence à baisser. À ce stade, les chiots sont capables de quitter le nid mais bien que l’allaitement ne soit plus indispensable d’un strict point de vue nutritionnel, ils continuent à téter, probablement pour obtenir une satisfaction émotionnelle 18.

Comportement du nouveau-né envers sa mère

Au cours de la période néonatale, le chiot se contente surtout de téter et de dormir. Après la naissance, les chiots cherchent un endroit chaud, s’orientent vers une mamelle (des signaux olfactifs semblent être à l’origine de cette attraction) et essaient de téter dès que possible. L’activité des nouveau-nés est minimale au cours des deux premières semaines de vie : les chiots restent près de la mère, collés les uns contre les autres (ou contre une source de chaleur externe), vraisemblablement pour maintenir leur température corporelle. Comme indiqué plus haut, c’est la mère qui initie normalement les interactions 14.

Quand les chiots ouvrent les yeux et que leurs mouvements commencent à être coordonnés, ils interagissent de manière plus dynamique avec la mère et la fratrie 6,8,14. Ils commencent à rechercher activement la chienne 6, les séquences d’allaitement deviennent variables 14 et ils interagissent de plus en plus avec la mère mais aussi avec le reste de la portée, des jouets et les humains. En situation de détresse (par exemple, s’ils ont froid ou faim), ils gémissent et pleurent pour inciter la mère à répondre à leurs besoins. Les éleveurs évaluent parfois la qualité de l’instinct maternel de la mère en prêtant attention aux vocalisations des chiots (Figure 5) 8. Si une portée pleure régulièrement, cela peut être le signe d’un comportement maternel inadéquat ; la chienne peut, par exemple, ne pas rester suffisamment avec ses chiots ou passer trop peu de temps à les allaiter et à les lécher. 

Si le comportement maternel de la chienne est adéquat, les chiots devraient être calmes et tranquilles

Figure 5. Si le comportement maternel de la chienne est adéquat, les chiots devraient être calmes et tranquilles.
Crédit : Shutterstock

Facteurs influençant le comportement maternel 

Le comportement maternel peut être divisé en deux phases : la phase critique ou sensible, associée à d’importants changements hormonaux pendant la parturition, précède une phase d’entretien qui dure jusqu’au sevrage, caractérisée par une composante plus psycho-sensorielle 19. Bien que peu d’informations soient disponibles sur ce qui déclenche le comportement maternel des chiennes et sur la façon dont il diffère d’un individu à l’autre, plusieurs facteurs peuvent être cités.

Facteurs hormonaux et stress 

Diverses hormones interviennent dans la mise-bas chez la chienne et elles sont probablement aussi impliquées dans le comportement maternel, bien que le rôle respectif de chaque hormone soit ici mal compris. La cascade hormonale provoque une chute de la progestérone qui déclenche la parturition, tandis qu’augmente la sécrétion d’œstrogènes, d’ocytocine, de relaxine, de prolactine, de prostaglandines et que l’activation des récepteurs se régule peu à peu. La façon dont la prolactine et l’ocytocine régulent le comportement maternel n’est toujours pas bien expliquée. L’ocytocine contribue aux contractions utérines et semble jouer un rôle important dans le comportement maternel. Son influence est bien documentée chez d’autres espèces et une étude a d’ailleurs associé le cannibalisme à de faibles niveaux d’ocytocine 20. La concentration de cette hormone dans la salive n’est pas un facteur prédictif de l’instinct maternel chez la chienne 21 mais l’administration d’ocytocine par voie nasale semble favoriser l’expression du comportement maternel après une césarienne 22. Aucune étude contrôlée n’a cependant été menée pour préciser les effets de cette hormone et le moment où elle est efficace. La prolactine stimule la production de lait et elle favorise probablement aussi le comportement maternel, bien que son mode d’action ne soit pas connu. La chute de la progestérone semble également jouer un rôle puisqu’elle est corrélée avec les modifications comportementales observées lors de pseudogestation.

La parturition et le début de la maternité peuvent être perçus comme des facteurs de stress. Les chiennes très nerveuses semblent avoir plus de mal à jouer leur rôle de mère et à accepter les contraintes que cela implique. Il a été montré que les phéromones apaisantes canines peuvent aider à contrôler le stress et à encourager l’expression de l’instinct maternel ; lors de leur utilisation, la chienne tend à rester plus longtemps avec ses chiots et la relation globale entre la mère et sa portée est améliorée 8.

Stimulation par les liquides cervicovaginal et amniotique

La stimulation cervicovaginale semble être importante pour initier le comportement maternel car les chiennes qui subissent une césarienne sans déclencher la mise-bas ont parfois des difficultés à interagir de manière appropriée avec leurs chiots. L’importance de cette stimulation reste cependant à prouver (Figure 6).

Les fluides amniotiques paraissent également jouer un rôle fondamental pour inciter une mère à accepter ses chiots 4,23. Une chienne refusera un chiot qui lui a été retiré à la naissance pour être lavé mais, si le nouveau-né est ensuite enduit de liquide amniotique, elle l’acceptera à nouveau 23. Lors de césarienne, l’utilisation du liquide amniotique avant de présenter sa portée à la chienne pourrait donc faciliter la reconnaissance maternelle.

Les chiots nés par césarienne seront présentés à la chienne aussitôt que les effets de l’anesthésie ont disparu

Figure 6. Les chiots nés par césarienne seront présentés à la chienne aussitôt que les effets de l’anesthésie ont disparu, pour optimiser les chances d’observer un comportement maternel normal.
Crédit : Natalia Ribeiro dos Santos

Rang et taille de portée

L’effet du rang de portée sur le comportement semble être relativement faible car aucune différence majeure n’a été observée en comparant des chiennes primipares et multipares 1,4. L’expérience de la parturition aide cependant la chienne à reconnaître les besoins du nouveau-né et réduit l’appréhension des changements physiologiques entourant la parturition 1. Les chiennes multipares ont tendance à constamment prodiguer des soins maternels tandis que les primipares améliorent leur comportement au fil du temps 7. Une étude menée auprès d’éleveurs de chiens a révélé que les chiennes primipares étaient surreprésentées lors de troubles du comportement maternel 24. Il est donc important de surveiller la mise-bas, en particulier chez les chiennes primipares nerveuses, car l’inexpérience de la mère peut l’empêcher d’exprimer un comportement maternel correct, voire s’accompagner d’un comportement anormal tel que le cannibalisme. Les mères ayant des portées de petite taille ont plus de contacts avec chacun des chiots et leur comportement maternel tend à être meilleur que lorsque la portée est nombreuse 1.

Génétique et race

La génétique jouerait un rôle important dans le comportement maternel mais celui-ci est mal connu et pour de nombreux éleveurs, sélectionner sur ce critère ne constitue pas une priorité. L’intervention humaine pourrait influencer négativement la façon dont la mère interagit avec ses chiots mais il est conseillé d’éviter de faire reproduire les chiens nés d’une mère ayant montré un piètre comportement maternel. Il existe des rapports anecdotiques à propos des qualités maternelles respectives des différentes races mais cette question n’a pas fait l’objet d’études approfondies. Selon l’une d’elles, aucune race spécifique ne montrerait de problèmes particuliers de comportement maternel 24. Dans une étude évaluant le comportement maternel et les critères de sélection des futurs chiens guides, le Golden Retriever semble cependant se classer mieux que le Berger Allemand 2.

Comportement maternel inadéquat

La qualité du comportement maternel peut se manifester dès la parturition. Une chienne inexpérimentée peut ne pas savoir comment faire pour rompre le sac amniotique et couper le cordon ombilical, ce qui augmente le risque de problèmes. De plus, les chiennes qui sont peu enclines à lécher leurs chiots peuvent également avoir un mauvais comportement maternel tout au long de la période postpartum. Une chienne choisit normalement un environnement calme et sûr pour faire naître ses chiots et, si elle se sent menacée, elle peut devenir agressive. La violence envers les chiots est rare ; elle est en général plutôt dirigée contre les étrangers et les autres animaux du foyer. Même une chienne très docile peut montrer des signes d’agressivité si la situation lui semble menaçante pour ses chiots. Lorsqu’un comportement agressif envers les chiots est observé, il se manifeste généralement dans les premiers jours du postpartum, surtout chez les chiennes primipares, et il conduit parfois au cannibalisme maternel. Un stress excessif, la surpopulation et la malnutrition sont des facteurs de risque, ainsi que de faibles niveaux d’ocytocine et de lipides sanguins, comme cela a été observé chez des Bergers d’Anatolie présentant des commémoratifs de cannibalisme 20. Selon l’expérience de l’auteure, une chienne primipare nerveuse peut aussi involontairement tuer et manger ses chiots lorsqu’elle tente de sectionner le cordon ombilical. Une production de lait insuffisante (agalactie) peut être observée chez des chiennes primipares, qui ont subi une césarienne prématurée ou qui souffrent d’une maladie systémique, mais aucune étude n’a pu établir de corrélation entre l’agalactie et un mauvais comportement maternel.

Natalia Ribeiro dos Santos

Il est important de surveiller le processus de la mise-bas, en particulier chez les chiennes primipares nerveuses, car l’inexpérience de la mère peut la conduire à ne pas exprimer un comportement maternel adéquat.

Natalia Ribeiro dos Santos

Influence de la mère sur le développement cognitif

Des études menées sur des rats confirment que la qualité et le nombre des interactions avec la mère au cours du postpartum immédiat peuvent influencer le développement physiologique, cognitif et comportemental des produits. Extrapoler ces résultats à la chienne et aux chiots, et dans quelle mesure, reste délicat pour l’instant. Chez le chien, les périodes néonatale et de transition sont caractérisées par un développement neurologique rapide et les conclusions des différentes études du comportement maternel sur le développement des jeunes se contredisent 1,2,3. À ce jour, les résultats obtenus dépendent apparemment de la race du chien et de sa fonction initiale. Ainsi, chez des chiots Bergers Allemands destinés à l’armée, un score maternel élevé a eu un effet positif sur les aptitudes cognitives nécessaires à l’accomplissement de leur travail 1. En revanche, dans le cadre de la sélection de chiens guides, des chiots issus de mères présentant un très bon comportement maternel ont présenté des traits de caractères qui ont diminué leurs chances d’être utilisés. Ils étaient, par exemple, plus susceptibles de présenter un niveau d’activité élevé lorsqu’ils étaient laissés seuls, la présentation d’un nouvel objet déclenchait très rapidement des vocalises et ils semblaient moins performants et moins persévérants pour arriver à résoudre des problèmes 2. En outre, les résultats des tests effectués sur de jeunes chiots (âgés de deux mois) en situation de stress étaient également paradoxaux : des soins maternels plus importants amélioraient les capacités des chiots élevés en laboratoire 25 mais étaient associés à des résultats négatifs chez les chiots élevés dans un environnement familial 3.

Il ne fait aucun doute que l’interaction précoce entre la mère et les chiots peut influencer leurs capacités cognitives. Cependant, plusieurs questions subsistent : où se situe la fenêtre cruciale en période postnatale, quels sont les effets à long terme sur les performances et le comportement des chiens, est-il possible de compenser ultérieurement un mauvais comportement maternel (si oui, avec quelle efficacité) ? La période de socialisation, qui démarre vers 3 semaines et qui s’achève vers 12-14 semaines environ, est sans doute la plus importante car les chiots sont plus matures à ce stade et ils sont donc plus sensibles aux effets positifs ou négatifs des interactions avec la mère, leur fratrie, les autres chiens et les humains. En raison des nombreux facteurs en jeu, l’enjeu des premières expériences de la vie devraient faire l’objet d’études et d’observations plus approfondies pour mieux comprendre leur influence sur le développement du chien.

Conclusion

De nombreux aspects du comportement maternel de la chienne doivent encore être explorés mais le vétérinaire doit connaître les facteurs qui peuvent grandement influencer la période péripartum en particulier. Le plus important est sans doute d’évaluer les prédispositions spécifiques à chaque chienne, en relation avec leur comportement maternel. Les chiennes primipares anxieuses, ainsi que celles qui ont subi une césarienne, doivent faire l’objet d’une attention particulière dans les premiers jours du postpartum. Les comportements maternels inadéquats doivent être compensés dès que possible afin d’éviter les effets négatifs à long terme sur les chiots et limiter le risque de comportements indésirables ultérieurs.

 

Remerciements

L’auteure tient à remercier Cindy Maenhoudt pour son aide à la rédaction de cet article et les nombreux éleveurs de chiens qui l’ont aidée à mieux comprendre le comportement maternel de la chienne.

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Natalia Ribeiro dos Santos

Natalia Ribeiro dos Santos

La Dre Natalia Santos est vétérinaire, diplômée de l’Université d’Uberlândia, et a obtenu une maîtrise et un doctorat en sciences animales (reproduction) à l’Université de Minas Gerais au Brésil. En savoir plus

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