Prélèvement de liquide fœtal chez la chienne

Introduction

Les éleveurs consacrent beaucoup de temps et d’efforts à concevoir les meilleurs programmes d’élevage pour garantir la santé des portées mais très peu d’informations sont actuellement disponibles à propos de l’environnement immédiat des fœtus canins. Les membranes fœtales protègent le chiot durant toute la gestation et, avec le placenta, elles jouent un rôle essentiel dans la croissance et le développement du fœtus 1 ; tous les échanges métaboliques, gazeux et hormonaux entre la mère et le fœtus passent en effet par elles 2. Chez la chienne, les membranes fœtales sont l’allantoïde, l’amnios, le chorion et le sac vitellin 3 mais seules l’amnios et l’allantoïde sont concernés par le prélèvement de liquide fœtal dans cette espèce (Figure 1).

Quels sont les liquides fœtaux ?

La cavité amniotique assure la protection mécanique du fœtus et son développement dans un milieu liquide 4, le liquide amniotique. Il s’agit d’un liquide biologique complexe qui fournit une protection mécanique et antimicrobienne au fœtus, ainsi que la lubrification, la nutrition et des facteurs de croissance, des éléments essentiels au développement normal 5. Le liquide amniotique se forme à partir des sécrétions orales, nasopharyngées, trachéales, pulmonaires et de la production urinaire du fœtus 6.

Chez les carnivores, le liquide allantoïdien s’accumule dans la membrane allantoïde qui entoure l’amnios 7. Le sac allantoïdien se développe au point de recouvrir presque entièrement le sac chorionique et il persiste jusqu’à la mise-bas. Il communique avec l’appareil urinaire du fœtus et sert de réservoir pour les déchets métaboliques du fœtus 4. Les principaux mécanismes d’accumulation initiale du liquide allantoïdien sont probablement le transport transmembranaire et l’activité sécrétoire des membranes extra-embryonnaire et, plus tard au cours de la gestation, du mésonéphros, du métanéphros et des sécrétions rénales 8.

Par conséquent, le liquide fœtal peut être collecté à la fois dans les cavités amniotique et allantoïdienne chez le chien (Figure 2). Les modifications du volume et de la composition du liquide amniotique ou allantoïdien informent sur l’état métabolique et pathologique, ainsi que sur le développement du fœtus à un stade particulier de la gestation 8. Le prélèvement de liquide fœtal chez la chienne est réalisable à partir de la seconde moitié de la gestation car il y a suffisamment de liquide ; de plus, les membranes amniotiques et allantoïde sont visibles à l’échographie 9. La centèse sera effectuée à l’aiguille, par voie transabdominale, et sous guidage échographique continu 10.

Pourquoi prélever du liquide fœtal ?

La principale raison de prélever du liquide est de permettre d’évaluer la viabilité des fœtus ante-partum et de détecter des maladies 11,12,13. En médecine humaine, l’analyse du liquide amniotique est largement utilisée pour dépister des anomalies chromosomiques ou des troubles génétiques, ainsi que pour évaluer la maturité pulmonaire du fœtus, repérer l’invasion microbienne de la cavité amniotique, une inflammation intra-amniotique, une infection fœtale et pour déterminer le sexe 14,15,16. En médecine vétérinaire, détecter précocement des anomalies est important pour le bien-être des animaux mais cela est également intéressant pour l’éleveur, du point de vue de la santé des chiots (et de la chienne) et aussi sur le plan financier. Jusqu’à présent, seules quelques études ont analysé les liquides fœtaux de chiennes à terme 17,18 ; une étude de cas a montré que la diagnose du sexe était possible à partir des cellules amniotiques en cas de chiot unique 19. En outre, des prélèvements dans les cavités amniotique ou allantoïdienne ont été pratiqués chez la chienne à des fins de recherche 20,21, de thérapie génique et pour déclencher un avortement 22. Cette technique présente aussi un intérêt pour contribuer à faire progresser le concept de la « santé unique » : les chiens et leurs propriétaires partageant le même habitat et étant exposés aux mêmes conditions environnementales, les chiens peuvent constituer un bon modèle d’étude de certains polluants environnementaux, tels que les toxines (Figure 3).

En allant plus loin, la collecte de liquide fœtal est indispensable à l’établissement d’une base de données permettant de caractériser les liquides amniotique et allantoïdien chez les chiennes gestantes en bonne santé ; cela permettrait de déterminer des biomarqueurs utilisables dans le cadre du pronostic périnatal.

Quand faire la centèse ?

L’auteure a mis au point une technique efficace et pratique pour le prélèvement de liquide fœtal chez la chienne gestante pendant la seconde moitié de la gestation. La procédure est semblable à celle utilisée chez l’Homme et s’appuie sur un guidage échographique 9. Avant le 35^e jour suivant la fécondation, le volume de liquide fœtal de la chienne est faible et le risque de blesser le fœtus est sans doute plus élevé. La ponction de liquide fœtal entre le 35^e jour et la fin de la gestation ne devrait en revanche pas poser de problème 17,19.

Méthodologie

Une chienne devant subir un prélèvement de liquide fœtal sera soumise à un examen général et gynécologique complet, comprenant au moins une analyse d’urine, des analyses sanguines (numération formule sanguine et bilan biochimique) et une échographie abdominale pour évaluer sa santé et son statut de gestation. 

Avant le prélèvement, l’abdomen sera tondu et désinfecté à l’aide d’une solution à base de povidone iodée et d’une solution d’éthanol à 70 %. Une crème anesthésique locale topique (lidocaïne/prilocaïne) sera appliquée 30 à 60 minutes avant la procédure, à raison de 0,4 mL/kg maximum, sur la zone dans laquelle les aiguilles seront insérées. La peau traitée sera ensuite couverte d’un pansement adhésif jusqu’au début du prélèvement 23.

Il existe deux possibilités de prélèvement mais toutes deux utilisent une aiguille spinale jetable (soit 18-21G x 3½ pouces/9 cm).

Technique à main levée

Cette méthode est réalisée sans guidage de l’aiguille. La cavité utérine et gestationnelle, ainsi que le fœtus, seront d’abord examinées à l’échographie, afin de choisir le site optimal pour prélever du liquide sans léser le fœtus ou les membranes fœtales. En parallèle, le fœtus sera localisé (dans la corne utérine gauche ou droite) et le site de prélèvement (allantoïde ou amnios) sera évalué. L’aiguille spinale sera ensuite insérée selon un angle proche de 90° à travers la paroi abdominale et poussée d’abord dans la cavité utérine, puis dans le sac gestationnel (amnios ou allantoïde). Les membranes amniotiques et allantoïde sont souvent visibles à l’échographie mais il n’est pas toujours possible de repérer la position exacte de l’extrémité de l’aiguille (Figure 4). Une fois l’aiguille positionnée, le liquide sera aspiré avec une seringue de 3 ou 5 mL, immédiatement transféré dans un tube stérile et congelé à -20°C ou à -80°C en vue d’une analyse ultérieure.

Technique avec guidage de l’aiguille

Cette méthode fait appel à un dispositif de guidage de l’aiguille qui peut être fixé sur la partie convexe de la sonde échographique. Avant le prélèvement, le dispositif sera stérilisé à l’autoclave et (en cas de prélèvements multiples chez une même chienne) désinfecté avec de l’éthanol à 70 % entre les prélèvements de chaque sac gestationnel. Le guide sera fixé à la sonde conformément aux instructions du fabricant et l’aiguille spinale sera insérée dans un petit trou, à un endroit prédéfini sur le guide (Figure 5). La même procédure que celle décrite pour la technique à main levée sera ensuite appliquée pour pénétrer les membranes fœtales, collecter et conserver le liquide.

L’utilisation d’un guide peut être une option plus sûre et plus facile pour les personnes peu expérimentées mais le principal inconvénient réside dans la nécessité de stériliser l’appareil entre chaque prélèvement du liquide fœtal des différents fœtus présents chez la chienne pendant la procédure. La technique à main levée devient préférable lorsque l’opérateur acquiert de l’expérience. 

Entre 0,5 et 5,0 mL de liquide seront prélevés pour chaque fœtus, selon la taille de la chienne, le stade de la gestation et la position du fœtus. Après le prélèvement, le volume de liquide prélevé sera remplacé par un volume égal de solution stérile de chlorure de sodium à 0,9 % puis l’aiguille spinale sera retirée. Après le prélèvement, la chienne doit être maintenue dans un environnement calme pendant au moins 24 heures afin d’éviter toute complication éventuelle à court terme.

Quels sont les risques ?

En médecine humaine, les complications potentielles de l’amniocentèse incluent l’infection du sac amniotique, le déclenchement prématuré du travail, la détresse respiratoire de la mère, les malformations fœtales, l’allo-immunisation et la mauvaise cicatrisation du site de ponction 24. Bien que très rares en médecine humaine, des lésions fœtales peuvent être dues à un traumatisme causé par l’aiguille. À ce jour, l’auteure n’a détecté aucune lésion fœtale macroscopique après avoir pratiqué une centèse chez des chiennes, même si des lésions microscopiques ont pu apparaître. Il n’est cependant pas impossible que certains points de ponction microscopiques dans l’utérus, les membranes fœtales ou le fœtus lui-même n’aient pas été détectés ; s’ils sont apparus, ils n’ont apparemment pas eu de conséquences cliniques 9.

Conclusion

Bien qu’elle n’en soit qu’à ses débuts, le prélèvement de liquide fœtal chez la chienne est une technique qui peut offrir divers avantages aux vétérinaires, éleveurs et propriétaires dans les années à venir. Un clinicien compétent devrait être en mesure de prélever le liquide allantoïdien ou amniotique sans trop de difficulté et avec un risque minimal pour le fœtus. L’analyse du liquide peut ensuite servir à détecter précocement des anomalies et des troubles génétiques, des défauts placentaires, des infections microbiennes de la chienne ou du fœtus, et déterminer le sexe.