Le chat et les fibres alimentaires
Les nutritionnistes et les vétérinaires s’intéressent depuis des années aux fibres alimentaires en tant qu’ingrédient des aliments pour animaux ou en tant que complément.
Numéro du magazine 24.3 Comportement
Publié 04/03/2021
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Deux tendances sont devenues à la mode chez les propriétaires de chiens ces dernières années :
Le régime alimentaire des loups ne doit pas servir de modèle pour l’alimentation des chiens domestiques, mais leur comportement alimentaire peut nous renseigner sur les besoins de nos chiens.
Les chiens ont une forte tendance à chercher et trouver eux-mêmes leur nourriture, mais ces besoins sont rarement satisfaits dans le contexte domestique, ce qui peut entraîner des problèmes comportementaux.
Il semble préférable que la relation du chien avec son propriétaire s'établisse à travers l’éducation et l’alimentation, en incluant des récompenses, plutôt qu’avec des méthodes reposant sur la notion de dominance.
La prévention des problèmes comportementaux est étroitement associée à l’utilisation de récompenses alimentaires durant l’éducation.
Deux tendances sont devenues à la mode chez les propriétaires de chiens ces dernières années :
Ces deux tendances résultent d’un retour à une vision naturaliste du chien, mais elles ont un même point faible qui est de ne pas tenir compte de l’impact qu’a eu la présence de l’Homme sur le chien domestique et sur le loup. Cet article dresse un tour d’horizon du comportement et des préférences alimentaires du loup et du chien, et montre comment leur compréhension peut permettre de réduire les problèmes de santé et de comportement chez le chien domestique.
L’histoire de la relation entre l’Homme et le chien remonte à très longtemps. L’Homo sapiens serait apparu en Afrique il y a environ 250.000 ans, après une expansion progressive de la boîte crânienne des premiers hominidés qui avait débuté 150.000 ans plus tôt. Le développement de l’utilisation d’outils et l’avancée culturelle dans notre espèce ont été réguliers à travers l’Histoire. Cependant, il semble qu’il y ait eu une accélération du développement culturel il y a environ 50.000 ans, ayant abouti à l’avènement d’une évolution comportementale fondée sur la présence du symbolisme, du langage et de la technologie spécialisée, et contenant tous les éléments reconnaissables dans les civilisations ultérieures, dont l’élevage des animaux (Figure 1).
L’ancêtre du chien domestique est Canis lupus (le loup gris), une espèce qui s’est différenciée du coyote il y a environ 1 à 2 millions d’années. L’origine géographique du chien domestique reste controversée. Les études génétiques indiquent une origine en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient ou en Chine du Sud-Est 1 2 3, avec l’hypothèse du début de la divergence génétique avec le loup remontant à 100.000 ans. Toutefois, l’analyse la plus récemment publiée sur l’ADN mitochondrial des canidés préhistoriques et des chiens modernes suggère que la domestication a débuté il y a entre 18.800 et 32.100 ans 4. Les premières preuves archéologiques reconnues de la domestication canine sont les restes d’un chien datant de 33.000 ans découverts en Sibérie en 2010 5, qui se sont ensuite avérés être génétiquement plus proches du chien domestique moderne que du loup 6.
En général, les données génétiques et archéologiques indiquent que, même s’il a pu y avoir une certaine relation entre nos deux espèces au début de l’histoire de l’Homo sapiens, le chien n’a commencé à subir le processus de domestication qu’à l’ère de la modernité comportementale de l’Homme (Figure 2). C’est important, car cela signifie que le chien aurait été présent avant et pendant tout le développement de l’agriculture.
Il aurait donc fait partie des communautés humaines pendant le développement des aspects les plus fondamentaux de la culture humaine liés la préparation et la consommation des repas. Dès le début de son association avec l’Homme, le chien domestique aurait vu son régime et ses habitudes alimentaires fortement modifiés par les pratiques humaines.
Régime alimentaire
Le comportement des loups modernes est souvent cité comme référence pour expliquer le comportement des chiens domestiques. Bien que cela soit riche en enseignements, le loup moderne a en réalité subi autant l’influence de l’Homme que le chien domestique, surtout en matière d’alimentation. Le loup a été l’un des mammifères les plus largement répandus dans le monde, colonisant tout l’hémisphère Nord. Dans les régions où il a survécu, son régime alimentaire inclut d’autres mammifères (allant de la taille de petits mammifères à celle de grands ongulés), des serpents, reptiles, oiseaux et œufs, poissons, primates, charognes, baies, légumes et fruits.
Avec une telle variété de sources alimentaires possibles, les loups ont un certain nombre de concurrents, dont les coyotes, les chacals, les renards et les ours. Formant un groupe de chasseurs plus important et mieux organisé que nombre de leurs concurrents, les loups sont de meilleurs prédateurs des grands ongulés, et nous observons donc une prédominance des élans, cerfs, bisons et caribous dans l’alimentation des loups modernes. Cela nous a conduit à penser que ces proies constituent l’alimentation naturelle des loups, et qu’ils sont donc, ainsi que les chiens domestiques, des carnivores stricts.
Avec le développement de l’agriculture, l’Homme a commencé à clôturer et à cultiver la terre, à élever les animaux et à chasser les prédateurs et les nuisibles. L’essor de l’agriculture, des habitations humaines et des routes commerciales auraient progressivement limité les habitats disponibles pour les loups, avec une restriction consécutive de leur régime alimentaire 7. Cette évolution a été relativement rapide, s’étendant sur moins de 2 % de l’histoire de cette espèce (Figure 3). Désormais confiné dans un espace réduit de moitié, et dans des régions généralement peu favorables aux habitats humains, le loup moderne dispose d’un choix alimentaire très différent, et pas nécessairement représentatif du passé. Si les loups modernes chassent essentiellement les grands ongulés, cela pourrait être dû à la restriction de leurs choix alimentaires et à leur compétition avec les autres espèces. Les caractéristiques anatomiques du loup corroborent cette idée ; par exemple, sa dentition est similaire à celle du chacal, qui est omnivore 7 8.
L’alimentation et la dentition actuelles du loup suggèrent qu’il est à classer parmi les carnivores facultatifs ; l’essentiel de son régime de prédilection est constitué de chair animale, complétée de végétaux, mais il peut subsister uniquement avec un régime non carné. Avant sa persécution par l’Homme, ses habitudes alimentaires auraient été plus variées et omnivores. La souplesse intrinsèque de cette nature omnivore aurait été un avantage pendant et après la domestication, quand l’alimentation du chien aurait été pauvre en protéines, et aurait abouti à l’adaptation permanente du chien à un régime riche en glucides, adaptation mise en évidence par les études du génome du chien domestique 9.
Chasse et alimentation
Quand ils chassent les grands ongulés, les loups opèrent en groupe collaboratif, mais seuls deux ou trois individus participent réellement à la mise à mort 10. Les autres loups jouent différents rôles, dont celui d’isoler un individu donné de son troupeau, de le traquer ou de tenir à distance les autres membres du troupeau pendant la traque. Dans les régions où les loups dépendent de l’élan pour leur alimentation, chaque loup capture habituellement un ou deux élans par mois, selon la saison, mais il a été observé qu’ils peuvent survivre jusqu’à 10 semaines avec les restes de carcasses 10. Les loups sont donc adaptés à l’alternance abondance/famine, qui leur permet de supporter de longues périodes de chasse infructueuse.
Si une chasse s’avère fructueuse, tous les membres du groupe cherchent à se partager la carcasse. Il est important que les animaux ne se blessent pas pendant ce partage, pour deux raisons. Premièrement parce que la capacité du groupe à continuer à chasser dépend de l’aptitude de l’ensemble de ses membres. Deuxièmement parce que les membres d’un même groupe sont souvent apparentés, et il y a donc une explication génétique à l’altruisme ; partager la nourriture avec ses parents proches augmente les chances pour un individu de transmettre une partie de ses gènes aux générations futures. L’ordre de distribution de la nourriture ne dépend pas seulement du statut et du rôle relatifs des individus dans le groupe, mais aussi des besoins alimentaires de chacun. Ainsi, les jeunes n’interviennent pas dans la compétition hiérarchique pour la nourriture.
Les loups ont donc développé des systèmes de communication et d’évaluation des concurrents leur permettant de gérer les situations de compétition délicates entre les membres du groupe, afin de prévenir toute blessure grave. La recherche de nourriture est en soi un comportement à forte motivation, indépendant du besoin même de nourriture. Cela a été confirmé par le phénomène de « contrafreeloading », observé dans un grand nombre d’espèces d’animaux sauvages et de laboratoire, dont les canidés sauvages 11 12. Le « contrafreeloading » correspond au fait que l’animal préfère faire un effort pour obtenir sa nourriture que de consommer la même mais plus facilement accessible – la majorité des espèces semblent préférer réaliser un comportement opérant pour obtenir une récompense alimentaire que de simplement consommer cet aliment (Figure 4).
Domestication
La capacité des loups à subsister avec des déchets alimentaires et avec une alimentation non carnée pourrait avoir joué un rôle crucial dans leur domesticabilité. Nous ne savons pas bien comment cette domestication a commencé, mais il existe deux grandes théories : des louveteaux ont été capturés et élevés par l’Homme, ou des loups se sont partiellement auto-domestiqués en s’approchant des habitations humaines attirés par leurs déchets alimentaires. Les phases de domestication volontaire auraient eu lieu pendant les périodes de baisse d’abondance des proies, avec une pression de sélection consécutive en faveur des animaux peu farouches, sociables et attirés par une alimentation non carnée. Il a été suggéré que le principal caractère transmis par ces animaux à leur descendance était une réduction du seuil de fuite (distance à laquelle une réaction d’évitement et d’échappement est déclenchée), ce qui a fait que les générations successives ont de mieux en mieux toléré la proximité de l’Homme.
Le besoin de faire un effort pour se nourrir pourrait être à la base des premières interactions avec l’Homme et des premières réponses à l’éducation (Figure 5). La motivation à adopter un comportement pour obtenir une récompense est au cœur de l’éducation canine. Les résultats des études comparant l’efficacité des méthodes éducatives basées sur la dominance et la punition ou bien sur le renforcement positif indiquent clairement que le renforcement positif utilisant des récompenses alimentaires donne de meilleurs résultats et est moins stressant pour le chien 13 14. Il est probable que l’éducation utilisant la nourriture ait été à la base des premières interactions entre l’Homme et le chien, car nos premiers ancêtres ne pouvaient pas avoir de connaissances, même rudimentaires, du comportement social du loup.
Malgré l’amélioration des techniques d’agriculture, les protéines de viande ou de poisson seraient restées très valorisées par l’Homme. Les louveteaux captifs et les premiers chiens domestiques auraient reçu une alimentation ne contenant que de faibles quantités de protéines de piètre qualité, associées à des restes essentiellement composés de lipides et de glucides. Toutefois, ils auraient été nourris plus régulièrement que les loups sauvages, réduisant leur besoin de compétition et établissant une relation avec l’Homme basée sur l’alimentation.
Le comportement de limitation des conflits des loups joue également un rôle important dans leur capacité à s’adapter aux communautés humaines. Les chiens domestiques n’auraient pas pu être tolérés en tant qu’animaux de compagnie ou de travail s’ils étaient restés violents dans leur compétition pour la nourriture.
Au fur et à mesure que la domestication a progressé et que les chiens ont commencé à faire partie des communautés humaines, de nouvelles pressions de sélection auraient pris de l’importance. Les qualités de sociabilité, de tolérance à la manipulation et de capacité à répondre à la communication humaine seraient toutes devenues de plus en plus importantes, les animaux non prometteurs étant retirés de la reproduction. Ce processus de sélection a favorisé le maintien de caractéristiques physiques et comportementales juvéniles chez les adultes (néoténie) : oreilles tombantes, babines souples et lourdes, caractère joueur, plasticité comportementale, et compétitivité et agressivité réduites, par exemple.
Dans une série d’expériences menées sur plus de 50 ans, il a été démontré que la reproduction sélective des renards argentés basée sur la domesticabilité entraîne des modifications héréditaires de leur sociabilité et de leur dépendance vis-à-vis de l’Homme, ainsi que des modifications de la couleur et des marques de leur pelage semblables à celles qui seraient apparues pendant la domestication du chien 15 16. La sélection réalisée pour rendre les chiens sociables et aptes au travail a eu d’énormes répercussions sur leur capacité de relation à l’Homme. Par exemple, les chiens domestiques ont montré des capacités à observer et à interpréter les expressions du visage humain comparables à celles des enfants 17. Cette aptitude n’est pas observée chez les loups ayant été élevés comme des animaux domestiques.
La sélection artificielle ultérieure a permis de renforcer des comportements spécifiques de certaines races, les chiens se spécialisant par exemple dans certaines parties de la chasse, comme le repérage ou le rabattage du gibier. Certains de ces comportements ont été tellement renforcés qu’ils compromettraient la survie et l’adaptation de l’animal en milieu sauvage. Cette distorsion du comportement de chasse a été mise en évidence lors d’études réalisées chez les chiens errants, qui paraissent incapables de chasser de manière collaborative comme les loups, et qui dépendent de la récupération de déchets alimentaires 18. Ainsi, en termes de régime et de comportement alimentaires, la somme des pressions de la sélection naturelle et de la sélection artificielle a fait que les chiens domestiques ont fini par devenir capables de survivre avec une alimentation moins carnée, être moins difficiles pour la nourriture, accepter le passage d’une alternance abondance/famine à des repas réguliers, et être moins compétitifs pour la nourriture. Ils ont échangé leur capacité à chasser efficacement en groupe contre une aptitude à déchiffrer et à répondre aux signaux émotionnels et communicatifs de l’Homme, et ont ainsi développé une relation avec l’Homme basée sur l’alimentation et le renforcement.
Satiété et préférence alimentaire
Chez les espèces herbivores et omnivores, il a été prouvé que le choix des aliments est lié à des mécanismes permettant de définir le meilleur équilibre de macronutriments. Il a été supposé que ces mécanismes étaient inutiles chez les carnivores, leur alimentation étant naturellement équilibrée et invariable 19. Toutefois, la diversité du régime alimentaire du loup laisse penser que cette espèce dispose aussi de mécanismes pour choisir sa nourriture. Une étude récente a montré que les chiens domestiques choisissent des aliments favorisant l’équilibre suivant : 30 % de protéines, 63 % de lipides et 7 % de glucides (sur l’énergie métabolisable) 19. Ce type de régime est très différent de celui choisi par les chats domestiques, plus riche en protéines (52 % de protéines, 36 % de lipides, 12 % de glucides) 20 du fait de la nature strictement carnivore du chat et du rapport protéines/lipides relativement élevé des petits mammifères (souris, par exemple) qui composent la base de son alimentation naturelle.
Dans un certain nombre d’études, les chiens ont montré une tendance à la surconsommation par rapport à leurs besoins énergétiques. Face à un choix de différents composants alimentaires en accès illimité, les chiens régulaient leurs apports protéiques et énergétiques globaux, mais cette consommation énergétique régulée était environ le double de leur besoin moyen quotidien 19. Cela signifie que les chiens possèdent des mécanismes de satiété hérités de l’adaptation des loups à l’alternance abondance/famine.
Il a été observé que les loups ingèrent pas moins de 10 kg de viande juste après la mise à mort d’un grand ongulé 10. On suppose également que l’ingestion rapide de nourriture aurait pu être favorisée pendant la domestication, à une période où la compétition pour la nourriture aurait été élevée 7 alors que la violence intra- et inter-spécifique n’était pas tolérée par l’Homme. Cela a des conséquences sur le contrôle pondéral chez le chien. La satiété est le résultat de signaux à la fois hormonaux et physiques provenant de l’appareil digestif indiquant qu’une quantité suffisante de nourriture a été ingérée. Chez de nombreux mammifères, dont l’Homme, un certain nombre d’hormones, dont la ghréline, la cholécystokinine (CCK), le peptide YY (PYY), l’oxyntomoduline et les adipokines jouent un rôle dans l’obtention de la satiété. Les résultats des études évaluant le dirlotapide, un médicament enregistré pour la perte de poids qui agirait sur le PPY, indiquent que la modulation du mécanisme de la satiété peut être un moyen efficace de traiter l’obésité chez le chien 21.
Toutefois, il est clair que les loups continuent souvent de manger jusqu’à ce que leur estomac soit dilaté au maximum. Il semble que cela soit également vrai, au moins en partie, chez le chien. Il a été démontré que les taux élevés de fibres alimentaires, entraînant une dilatation gastrique accrue, augmentent la satiété et diminuent la consommation volontaire à court et à moyen terme après un repas, avec un effet encore supérieur lorsqu’ils sont associés à des taux élevés de protéines alimentaires 22. Ce type de régime joue un rôle bénéfique démontré dans la réduction pondérale chez le chien 23.
Prévention des problèmes
Une socialisation et une adaptation correctes pendant la période sensible (entre l’âge de 3 semaines et 12 semaines) sont généralement jugées essentielles pour un développement comportemental sain. Cependant, la connaissance du phénomène de « contrafreeloading » et de conservation des comportements juvéniles chez le chien domestique indique que l’utilisation de récompenses alimentaires et l’alimentation en général est probablement la méthode la plus efficace pour éduquer les chiots et développer un lien avec eux. D’après ce que nous savons de l’éthologie du chien et du loup, les méthodes basées sur la dominance sont inefficaces, voire perturbantes, pour les chiots.
Pour preuve, des propriétaires utilisant le renforcement positif à l’aide de récompenses alimentaires ont constaté que leurs chiens étaient moins agressifs et plus attentifs 24. Il a également été démontré que l’éducation a des effets bénéfiques plus généraux, comme par exemple une augmentation de la capacité de résolution des problèmes chez le chien 25; un individu capable de résoudre les problèmes sera moins frustré et aura moins besoin de réagir instinctivement face à une difficulté ou un conflit.
Les problèmes courants d’agressivité des chiens envers leurs propriétaires impliquent la défense de nourriture, et les propriétaires sont souvent choqués la première fois qu’ils voient leurs jeunes chiens défendre leur gamelle. Nos connaissances du comportement de compétition des loups pour la nourriture, et des signaux qu’ils utilisent pour éviter les conflits, indiquent qu’un certain degré de défense de la nourriture est normal dans cette espèce. Il faut par conséquent laisser les chiens manger en paix et ne pas retirer la nourriture une fois distribuée. Cela va à l’encontre de l’idée commune selon laquelle un propriétaire doit retirer de manière répétée la gamelle de son chien jusqu’à ce que celui-ci finisse par la lâcher. La raison est que cette méthode traditionnelle apprend au chien que son propriétaire est un concurrent potentiel, comme le serait un autre loup dans une meute. Le chien peut effectivement apprendre à lâcher un aliment d’appétence moyenne et librement disponible, mais le fait que le propriétaire soit considéré comme un concurrent signifie que le chien peut défendre encore plus férocement un aliment ou un déchet alimentaire volé (donc pas donné par le propriétaire) riche en lipides ou en protéines. Ce type d’aliment est non seulement plus appétent mais aussi plus important dans les choix alimentaires du chien en faveur des lipides et des protéines. Il est préférable d’établir une association positive entre la présence du propriétaire et l’accès à un aliment ; par exemple, en ajoutant de petites quantités de nourriture très appétente dans la gamelle tandis que le chiot est en train de manger (la nourriture ainsi distribuée ne doit pas représenter plus de 10 % des besoins énergétiques journaliers).
Problèmes alimentaires
Ces problèmes incluent la gloutonnerie, la fouille des poubelles, le quémandage et l’appétit capricieux. La gloutonnerie est un problème prévisible, et notre connaissance du comportement alimentaire naturel des chiens nous permet également de comprendre l’appétit capricieux. Le comportement alimentaire du chien implique souvent l’ingestion rapide de grandes quantités d’aliment en un repas, ayant pour principale limite la dilatation gastrique. La fouille de poubelles provient du besoin de trouver des sources supplémentaires de nourriture en prévision de périodes de famine, et le quémandage et le vol sont une extension du phénomène de « contrafreeloading ». Une fois que le chien a compris qu’en sautant sur le plan de travail de la cuisine, il pouvait voler et manger un rôti entier, il est peu probable d’arriver à faire disparaître ce comportement. Cette tendance générale qu’ont la majorité des chiens à se suralimenter signifie que les propriétaires sont obligés de contrôler la consommation alimentaire de leur animal, et d’accepter et de prendre la responsabilité d’éviter le vol de nourriture et le quémandage
L’appétit capricieux est influencé par les mêmes mécanismes sous-jacents. Souvent, l’analyse du régime alimentaire des chiots capricieux montre qu’ils consomment en réalité plus que leurs besoins, mais essentiellement en quémandant à leur propriétaire des aliments souvent riches en graisses. Et ils refusent de manger dans leur gamelle. Ce problème peut se comprendre du point de vue de la sélection alimentaire normale chez le chien et du « contrafreeloading » ; ces chiens sont motivés à exprimer des comportements opérants tels que le quémandage pour obtenir leur nourriture. Pour les chiens capricieux, fouilleurs de poubelles et autres voleurs, une solution très efficace consiste donc à distribuer l’intégralité de la ration dans des jouets distributeurs et des récompenses éducatives, ce qui permet de renforcer le « contrafreeloading » et les comportements de recherche de nourriture (Figure 6). Proposer différents types de jouets distributeurs permet d’augmenter la complexité et la variété des comportements de résolution de problèmes et de recherche alimentaire, plus importants pour les chiens que l’appétence et la diversité des saveurs.
L’engouement pour une alimentation naturelle a amené les propriétaires à s’intéresser à la composition du régime alimentaire du chien et à s’inquiéter de la qualité des ingrédients utilisés. Cependant, la composition des régimes ainsi recommandés est souvent extrapolée du régime et des habitudes alimentaires du loup. Pour toutes les raisons préalablement évoquées, ces régimes ne sont pas représentatifs de ce que les loups ancêtres des chiens domestiques mangeaient avant d’être restreints par l’Homme, et ne tiennent pas compte des modifications survenues pendant la domestication des chiens en termes de sélection alimentaire et de besoins nutritionnels.
Cette approche de l’alimentation naturelle néglige également les aspects de l’alimentation qui peuvent être beaucoup plus importants pour le bien-être psychologique du chien et la qualité de sa relation avec l’Homme. Même si nous observons les mêmes comportements de recherche de nourriture chez le chien que chez le loup, la plupart des chiens sont nourris dans une gamelle et n’ont généralement pas la possibilité de faire un effort pour obtenir leur nourriture. Beaucoup de chiens sont éduqués par des méthodes excluant les récompenses alimentaires, ce qui non seulement frustre la motivation naturelle du chien à obtenir sa nourriture par des comportements appropriés, mais prive aussi le propriétaire d’un des éléments clés du développement d’une relation de confiance et de non compétition avec son animal. Les problèmes consécutifs d’obéissance et de comportement rencontrés par les propriétaires les amènent souvent à utiliser des méthodes basées sur la dominance et la punition, qui vont encore à l’encontre des motivations du chien. Il est donc important que nous, vétérinaires, commencions à dissiper les malentendus sur le rôle central que l’alimentation a joué dans le processus de domestication du chien, et qu’elle continue à jouer dans le développement de la relation entre le chien et son propriétaire.
Jon Bowen
Jon Bowen est diplômé du Royal Veterinary College depuis 1992 et a travaillé plusieurs années comme vétérinaire généraliste pour animaux de compagnie. En savoir plus
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